La faillite de l’État malien, responsable de l’échec de l’accord d’Alger
Le massacre de quelque 160 personnes sans distinction d’âge ni de sexe, samedi 23 mars, à Ogossagou, dans la zone du Bankass au centre du Mali, aux frontières du Burkina Faso, rappelle par son caractère cruel et massif les tueries à grande échelle perpétrées par les groupes armés de type « GIA » (Groupe islamique armé) en Algérie durant les années 1990.
Il fait penser aussi au « modèle » plus récent que représente par ses exactions et raids le mouvement djihadiste originaire d’Afrique de l’Ouest Boko Haram.
Les auteurs de ce carnage ont agi méthodiquement avec l’objectif manifeste de faire le maximum de victimes et l’intention, probable, de faire passer par la terreur le message qu’ils peuvent à nouveau frapper.
Ses destinataires sont les Peuls, potentiellement, puisque la plupart des victimes sont issues de cette communauté déjà ciblée à plusieurs reprises durant ces dernières années et ces derniers mois. En tous cas, la tonalité ethnique de cet avertissement sanglant ne fait pas de doute. Elle a même été amplifiée par le gouvernement malien et sa décision de dissoudre, au lendemain du massacre, la milice de chasseurs dogons, Dan Nan Ambassagou, qui reste jusqu’à présent le principal suspect désigné.
Le plus inquiétant pour l’avenir est qu’il pourrait être prémonitoire d’un début de nouveaux conflits intercommunautaires sans comparaison avec ceux déjà constatés par le passé. Si leur nature ne change pas, leur intensité pourrait atteindre des degrés jamais observés jusqu’ici au Mali, un pays depuis longtemps rongé par les violences mais qui n’a pas connu de tueries massives au sens où on les entend généralement, avec des bilans dépassant la centaine de victimes parmi des populations vulnérables et désarmées.
Si le gouvernement malien n’est pas mis sous pression de revoir son dispositif politique et sécuritaire, ce massacre présage d’un déferlement d’atrocités de masse
Si rien n’est fait pour éviter ce scénario déjà craint dans des études d’experts et par des connaisseurs du pays, en particulier dans sa région centre, les violences qu’il subit, en particulier depuis la grande crise de 2012, peuvent prendre de nouvelles courbes et produire une tendance à la hausse en nombre d’attaques et de victimes, sans parler des méthodes barbares qui ont été utilisées dans le village d’Ogossagou. « Agir pour éviter la catastrophe », a réagi le président du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), Soumaïla Cissé, le 25 mars, à l’adresse du Premier ministre Soumeylou Boubeye Maga dont il veut la démission. Mais Bamako est déjà en retard de plusieurs trains.
Selon un décompte de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW), durant toute l’année 2018, 202 civils ont été tués dans 42 attaques dans la région de Mopti. Le bilan du massacre du 23 mars dernier dans ce même cercle géographique de Mopti a fait en un seul endroit et en une seule journée quelque 160 morts et de nombreux blessés.
Il se passe de commentaires inutiles et présage d’un déferlement d’atrocités de masse si on n’y prend pas garde et si le gouvernement malien n’est pas mis sous pression de revoir son dispositif politique et sécuritaire, car le milieu comme le contexte sont propices à l’engrenage.
Mécanique sanglante
Les assaillants d’Ogossagou sont passés à l’acte trois jours après une précédente attaque d’un groupe djihadiste contre une caserne où vingt-cinq soldats sont morts. Le lien entre ces deux évènements n’est pas formellement établi, son examen suggère toutefois l’hypothèse de la vengeance et de représailles de l’armée par milice interposée.
Cette supposition est permise par les déclarations de l’association de défense des peuls Tabital Pulaaku, qui affirme que « prévenus, les militaires maliens ne sont pas intervenus pour empêcher le massacre ».
Elle est accentuée par l’affirmation du gouverneur de Mopti, Sid Alassane Touré, qui précise que « quand le détachement est arrivé, il n’y avait plus d’assaillants ». Elle est rendue plausible, enfin, par la décision du chef l’État Ibrahim Boubacar Keïta de remplacer huit responsables de l’armée dont le chef d’état-major général.
La bienveillance des militaires dans les zones chaudes du centre du Mali à l’égard de groupes ethniques contre d’autres n’est pas un secret : la milice des chasseurs dogons aujourd’hui incriminée et qui nie toute responsabilité dans le massacre existe depuis 2016.
Ses actions paramilitaires ont été signalées à maintes fois sans qu’elles ne suscitent de réaction officielle. La nouveauté, cependant, est que la complaisance qu’elle a eue – elle ou un autre groupe – pourrait être à l’origine du massacre d’Ogossagou.
Ce qui signifie l’échec dramatique, non pas de la seule armée malienne, mais de l’État qui ne parvient pas à assurer la sécurité, obligeant des communautés sur le qui-vive à trouver la protection là où elle se trouve, risquant une surenchère guerrière d’ampleur dans un secteur saturé de groupes armés en tous genres : corps d’autodéfense à fort ancrage ethnique, islamistes armés aux motivations locales et /ou géopolitiques, bandes armées.
Ce qui signifie l’échec dramatique, non pas de la seule armée malienne, mais de l’État qui ne parvient pas à assurer la sécurité
Ces groupes sont à l’ouvrage depuis la grande cassure de 2012. Il était prévu que les réductibles d’entre eux – ceux qui ont notamment appuyé l’effort sécuritaire du gouvernement – disparaissent et se fondent dans le cadre établi par l’accord de paix d’Alger de 2015 : déposer les armes et rejoindre par exemple les rangs de l’armée.
Or, c’est le contraire qui s’est produit. Depuis les années 2015-2016, on assiste à la montée en puissance de ces groupes avec, en perspective, une autonomie d’action accrue ainsi qu’une militarisation des revendications économiques et sociales, donc des probabilités d’exaction sur un territoire où les concurrences entre communautés ethniques, déjà animées par des griefs ancestraux, s’exacerbent sous l’effet des amalgames dangereux.
Relancer les programmes de développement
Aux yeux d’une grande partie de militaires de l’armée malienne sur place et de gens parmi les Dogons, les Dozos et les Bambaras, les Peuls sont des djihadistes de facto, parce qu’un des leurs, le prédicateur salafiste Amadou Kouffa, un ancien du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) est aujourd’hui chef du Front de libération de la Macina (FLM).
Que faire ? Les réponses politiques, sécuritaires et sociales apportées à la crise malienne par l’accord d’Alger n’ont pas suffisamment profité aux régions du centre du Mali.
Bamako, qui s’est davantage focalisé sur le nord et le sud du pays, a mis beaucoup de temps avant de se manifester sérieusement dans cette partie du pays. Son gouvernement, parce que la question de l’autorité intérimaire n’est plus posée à Mopti, gagnerait donc à accélérer le travail de la commission dite DDR (Désarmement, démobilisation, réinsertion), un des éléments de l’accord de 2015.
Son président, l’ancien chef de la diplomatie Zahabi Ould Sidi Mohamed, assure que des progrès ont été réalisés. Quelque 1 500 hommes, islamistes armés et membres de groupes d’autodéfense confondus, se seraient selon lui déjà enregistrés pour rejoindre le cantonnement qui leur est destiné. Mais il a été rattrapé lui aussi par les réalités du terrain : le village d’Ogossagou abritait un camp informel de repentis et de candidats au désarmement.
Les programmes de développement censés atténuer l’empreinte sécuritaire et qui tardent à se concrétiser devraient être relancés. Le Plan de sécurisation intégrée des régions (PSIRC) mis en œuvre en août 2017 et destiné à faire la jonction entre sécurité et développement a besoin de soutien et d’accompagnement nouveau pour aboutir.
Le rôle des partenaires internationaux du Mali devraient également réfléchir à des initiatives politiques et d’influence comme celles qui ont été opérées au Nord-Mali
Le rôle des partenaires internationaux du Mali, qui semblent avoir privilégié jusque-là l’option antiterroriste, devraient également réfléchir à des initiatives politiques et d’influence comme celles qui ont été opérées au Nord-Mali.
Il s’agit entre autres de démentir l’inquiétude des Maliens qui se posent des questions sur l’ampleur du déploiement militaire étranger chez eux alors que « les massacres continuent », selon un témoignage recueilli auprès d’un journaliste à Bamako.
À ce jour, outre les 4 500 hommes de la force française Barkhane répartis sur plusieurs pays du Sahel, plus de 12 000 soldats composent la MINUSMA, la mission multidimensionnelle des Nations unies au Mali. Cette force, selon les ambassadeurs du Conseil de sécurité réunis le 24 mars à Ouagadougou, devrait appuyer de façon opérationnelle et logistique la force conjointe du G5 Sahel, lancée dans le paysage sécuritaire en juin 2017.
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