La forteresse Europe défendue par les armes israéliennes
L’Union européenne (UE) a récemment adopté un plan prévoyant l’usage de mesures extrêmes visant à contraindre le flux de demandeurs d’asile en provenance d’Afrique et du Proche-Orient qui traversent la Méditerranée dans une tentative désespérée de sauver leur vie et celle de leurs proches face à la guerre et à la famine. Selon un document révélé par Wikileaks, l’UE a décidé de détruire les embarcations que les réfugiés empruntent pour traverser la mer afin que leurs morts n’adviennent pas sur le sol européen.
L’extrême-droite galopante en Europe a choisi d’oublier le fait que ces personnes sont forcées de fuir des crises dans lesquelles l’Europe joue un rôle central – bien que non le seul. La sécheresse, la désertification et les mauvaises récoltes sont un résultat du changement climatique provoqué par le monde industriel. La guerre – essentiellement civile – à une échelle quasi industrielle est alimentée par les armes européennes, cinq des dix plus grands exportateurs d’armes au monde étant membres de l’UE. L’exploitation économique et les accords commerciaux injustes ont enraciné la pauvreté en Afrique et au Moyen-Orient, contribuant à l’instabilité politique.
La guerre contre les réfugiés est menée à deux niveaux. Au niveau physique, les gouvernements européens mettent en place des mécanismes visant à détecter les demandeurs d’asile, à stopper leurs déplacements et à les empêcher d’atteindre l’Europe. S’ils y parviennent tout de même, les gouvernements européens tentent alors de faire en sorte que les demandeurs d’asile relèvent de la responsabilité du premiers pays européen dans lequel ils posent le pied. Le deuxième niveau est la guerre de légitimité, dans laquelle les gouvernements européens cherchent à dépeindre les réfugiés comme une influence dangereuse et négative sur la société européenne, et tentent de convaincre le public que la violence d’État à l’encontre des réfugiés est légitime et que l’Europe n’est aucunement responsable de la situation désespérée dans laquelle ils se trouvent.
Les technologies israéliennes
L’Europe est l’un des marchés les plus importants d’Israël en ce qui concerne l’exportation d’armes. En 2014, les exportations israéliennes vers l’Europe s’élevaient à 724 millions de dollars, soit 13 % du total des exportations d’armes israéliennes cette année-là. Israël est l’un des plus grands exportateurs d’armes au monde et la capitale des technologies en matière de sécurité nationale, un domaine qui englobe les technologies visant à surveiller, contrôler et gérer les populations civiles. Les sociétés israéliennes fabriquent des drones ayant la capacité de voler pendant des heures et d’envoyer des enregistrements vidéo, produisent des équipements de surveillance sophistiqués, conçoivent des programmes d’exploitation de données qui recueillent les informations personnelles pour créer des dossiers sur des individus sur la base de renseignements collectés contre eux, et forment des agents de sécurité.
Ces technologies ne sont pas de celles qui font remporter les guerres, mais plutôt de celles qui permettent aux gouvernements de contrôler les populations civiles et d’empêcher toute résistance citoyenne. C’est exactement le type de technologie qui est requis pour contrôler les flux d’êtres humains en provenance d’Afrique et d’Asie occidentale.
Les sociétés israéliennes jouent de fait un rôle essentiel dans le marché de la sécurité européen, et l’Union européenne elle-même cherche à inclure des sociétés de sécurité israéliennes dans des projets de sécurité européens. Israël joue ainsi un rôle majeur dans la guerre physique de l’Europe contre les demandeurs d’asile, selon un échange de bons procédés qui permet aux sociétés israéliennes du secteur militaire et de la sécurité d’engranger d’importants revenus et à la « Forteresse Europe » de disposer de la technologie israélienne afin de sceller ses portes.
Israël : le modèle
Plus importante encore que les technologies est la justification politique. Israël joue en effet un rôle central non seulement dans la guerre physique contre les demandeurs d’asile mais aussi dans la guerre pour la légitimité. Le traitement par Israël des demandeurs d’asile africains compte parmi les exemples les plus extrêmes de non-respect des droits des réfugiés. Le gouvernement israélien nie le droit de millions de réfugiés palestiniens de rentrer en Israël, et répugne donc à accepter le statut de réfugiés des demandeurs d’asile pour ne pas créer de précédent.
La « Loi sur la prévention de l’infiltration », adoptée en 1954, a été conçue pour légaliser l’usage de la force contre les Palestiniens tentant de retourner dans leur foyer (tout en les définissant comme des « infiltrateurs »). La même loi est appliquée aujourd’hui à l’encontre des demandeurs d’asile africains. Le texte a même été amendé en 2011 pour permettre au gouvernement d’arrêter les demandeurs d’asile et de les incarcérer pendant trois ans sans procès.
Le gouvernement israélien a construit le centre d’incarcération d’« Holot » pour y enfermer des milliers de réfugiés africains, la plupart originaires du Soudan et d’Érythrée. Bien que la Cour suprême israélienne ait exigé la fermeture du centre, le gouvernement israélien continue d’y incarcérer des réfugiés. Le gouvernement israélien a également approuvé des réductions massives des dépenses sociales pour financer l’érection d’une longue barrière le long de la frontière avec l’Égypte afin de bloquer physiquement l’accès à Israël des demandeurs d’asile, ajoutant ainsi un nouveau mur à la fortification du pays.
À l’instar des pays européens, Israël refuse d’admettre sa responsabilité dans la catastrophe humanitaire qui sévit en Érythrée et au Soudan. Le 2 juin dernier, quelques Israéliens ont organisé une manifestation pour attirer l’attention sur les ventes d’armes israéliennes au Soudan du Sud, qui contribuent à déstabiliser la région.
Le grand nombre de réfugiés fuyant pour sauver leur vie et arrivant dans des pays qui refusent de les accueillir et les traitent avec hostilité a placé la droite européenne dans le même camp politique que le gouvernement israélien. Les politiques israéliennes envers les demandeurs d’asile sont actuellement plus agressives que les politiques européennes, mais la droite européenne a hâte de copier le modèle israélien – tant son idéologie militariste et xénophobe que son arsenal technologique meurtrier.
Tant que durera cette alliance, il ne sera guère surprenant que de nombreux dirigeants européens choisissent de fermer les yeux sur les violations du droit international par Israël.
- Shir Hever est un étudiant de troisième cycle à l’université libre de Berlin et chercheur en économie à l’Alternative Information Centre.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des demandeurs d’asile africains entrés illégalement en Israël via l’Égypte manifestent devant le ministère israélien de l’Intérieur à Tel Aviv, le 11 février 2014 (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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