La Journée de Jérusalem exprime l’animosité persistante de l’Iran envers Israël
Depuis trente-six ans, les processions annuelles organisées en Iran à l’occasion de la Journée d’al-Quds (Jérusalem en arabe) marquent une date importante du calendrier révolutionnaire. Coïncidant avec le dernier vendredi du mois de jeûne du Ramadan, la journée d’al-Quds a été instaurée par l’ancien leader de la révolution, l’ayatollah Rouhollah Khomeini, comme un point de ralliement de la politique étrangère de la République islamique.
Ostensiblement dédiés à la libération de Jérusalem – et par extension à la destruction de l’État d’Israël –, en termes pratiques les rassemblements de la Journée d’al-Quds visent à afficher le soutien du public à la politique étrangère de la République islamique.
Des rassemblements ont lieu à travers l’Iran et au-delà, dans les capitales les plus importantes du monde, pour mettre en valeur la supposée popularité mondiale de la politique étrangère de la République islamique.
Au-delà de l’affichage de l’animosité iranienne envers Israël, la Journée d’al-Quds a deux autres importantes fonctions politico-idéologiques : l’opposition à l’Occident pour son soutien à Israël et une démonstration de l’unité des musulmans face à l’occupation et à l’humiliation.
À la veille d’un accord historique sur le nucléaire avec la communauté internationale – un accord susceptible de donner lieu à une détente plus globale avec les États-Unis –, l’opposition à l’Occident deviendra difficile à vendre aux électeurs au-delà de la base naturelle de la République islamique.
En outre, le vernis de l’unité musulmane subit au quotidien des attaques féroces à travers la région, comme l’illustrent la montée en puissance de l’État islamique et la réaction inévitable de l’Iran et des groupes alliés.
Iran & Israël : ennemis à jamais ?
Dans le communiqué publié à l’occasion de la Journée d’al-Quds, le Corps des gardiens de la révolution islamique (GRI) a décrit la suppression de la « tumeur cancéreuse » qu’est Israël comme la plus haute priorité du monde musulman. Sur une note triomphaliste, se référant implicitement au « camp de la résistance » organisé par l’Iran, le communiqué des GRI se targue du fait que le rêve sioniste d’un « Grand Israël » du Nil à l’Euphrate a malgré lui renforcé un mouvement qui cherche à restaurer la Palestine « du fleuve à la mer ».
En 2005, quand l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad a provoqué un tollé en appelant apparemment à la destruction d’Israël, les diplomates iraniens et leurs amis se sont donné beaucoup de mal pour modérer cette prise de position et rationaliser la politique de la République islamique sur la question palestinienne.
La ligne diplomatique officielle est que l’Iran vise l’abolition d’Israël par des moyens pacifiques, de préférence un referendum – incluant les Palestiniens de la diaspora – qui fixerait l’identité politique et la destinée non seulement des territoires occupés mais de l’ensemble de la Palestine historique.
Cependant, ce discours diplomatique est inconfortablement contredit par une multitude de déclarations des GRI et d’autres corps révolutionnaires projetant une animosité implacable à l’endroit d’Israël et cherchant à encourager une résistance antagoniste – voire armée – contre l’occupation israélienne.
Les analystes ont longuement étudié la question de savoir si la position intransigeante de l’Iran à l’encontre d’Israël est davantage influencée par des considérations géopolitiques qu’idéologiques. En moyenne, les tenants d’une explication géopolitique remportent le débat, décrivant le conflit Iran-Israël comme étant avant tout une rivalité stratégique pour le contrôle et l’influence au Moyen Orient.
Cette version est également privilégiée par les rivaux arabes de l’Iran dans le golfe Persique et au-delà afin de discréditer le statut revendiqué par l’Iran de formidable puissance idéologique ayant une influence profonde parmi certaines franges de la population du monde arabe.
Le problème principal de la théorie géopolitique est qu’elle ignore certaines réalités stratégiques de base ainsi que la mémoire historique récente. Pour commencer, l’Iran et Israël étaient des alliés embryonnaires avant la Révolution islamique, précisément parce que les dirigeants iraniens de l’époque avaient correctement identifié Israël comme un contrepoids possible aux voisins arabes hostiles de l’Iran.
Plus généralement, l’expérience des trois dernières décennies a montré que, quelle que soit la profondeur de l’engagement de l’Iran en faveur de la cause palestinienne, les craintes de la majorité des dirigeants arabes, ainsi que d’une majorité de l’opinion publique du monde arabe sunnite, ne peuvent être dissipées. En fait, c’est le contraire qui s’est produit, comme le prouve l’émergence de sentiments anti-Iran d’une intensité jamais observée auparavant à travers la plus grande partie du monde arabe sunnite.
En outre, les défenseurs de la théorie géopolitique ignorent les profondes croyances et attitudes antisionistes des dirigeants iraniens et de leurs partisans les plus fidèles. En vertu de ces croyances, et de la conséquente coalition régionale anti-Israël organisée par les Iraniens, la République islamique peut de façon crédible se vanter d’être l’ennemi le plus efficace et le plus déterminé d’Israël.
L’ère post-nucléaire
Il semble désormais probable que l’Iran et la communauté internationale concluent tôt ou tard un accord visant à contraindre le développement de l’industrie nucléaire iranienne en échange d’une levée des sanctions, entre autres bénéfices.
Cet accord nucléaire potentiel est un élément central de la volonté du président iranien Hassan Rohani de rationaliser entièrement la politique étrangère de l’Iran en vue de parvenir à une entente globale avec les États-Unis.
Cependant, même la forme la plus nuancée de normalisation des liens avec les États-Unis requiert un adoucissement de la position iranienne vis-à-vis d’Israël. Eu égard à l’improbabilité d’un tel scénario en raison des raisons susmentionnées, la politique étrangère de Rohani devra faire face à une profonde contradiction ; une contradiction qu’il ne sera probablement pas en mesure de résoudre.
En fait, un accord sur le nucléaire pourrait intensifier le conflit Iran-Israël au-delà d’une simple guerre par procuration, surtout si Israël exploite les inévitables difficultés et incompréhensions liées à la mise en œuvre de l’accord en frappant les infrastructures nucléaires iraniennes.
La montée du sectarisme accroît également la potentialité d’un conflit, en particulier au Liban, où une bataille entre Israël et l’allié de l’Iran, le Hezbollah, n’est qu’une question de temps.
Dans leur communiqué annuel, les GRI associent la montée en puissance du groupe auto-proclamé État islamique à la détermination d’Israël à renforcer ses capacités sécuritaires en semant la discorde et le trouble à travers la région. De même, la campagne militaire menée par l’Arabie saoudite au Yémen est interprétée par les GRI comme relevant avant tout d’un plan de détruire des structures antisionistes émergentes, une référence claire au mouvement pro-iranien des houthis.
Il semble que, face au chaos généralisé dont la région est victime et à un possible changement majeur dans les difficiles relations de l’Iran avec l’Occident, la République islamique soit déterminée à maintenir son intransigeance à l’égard d’Israël.
Les rassemblements de la Journée d’al-Quds pourraient donc bien devenir plus animés et significatifs dans les années à venir.
- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un manifestant iranien brandit une pancarte représentant le guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei (à droite), et l’une des personnalités politico-religieuses les plus influentes d’Irak, le grand ayatollah Ali al-Sistani, pendant que sont brûlés les drapeaux d’Israël, des États-Unis et de l’Arabie saoudite lors des commémorations de la Journée mondiale d’al-Quds (Jérusalem) à Téhéran, le vendredi 10 juillet 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original).
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