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La majorité du terrorisme n’est pas « islamique », ni en Occident ni au Moyen-Orient

Alors qu’islamisme et terrorisme sont pratiquement vus de nos jours comme synonymes, une analyse des actes terroristes commis à travers le monde montre que la majorité d’entre eux n’est nullement commis par des musulmans agissant au nom de leur religion

En opposition flagrante avec les perceptions communes, les déclarations politiques et la couverture médiatique, la notion selon laquelle la majorité du terrorisme – que l’on peut définir comme l’usage ou la menace de l’usage de la violence contre des civils et des non-combattants pour des raisons politiques, religieuses ou sociales non strictement personnelles (type règlements de compte ou crimes passionnels) – serait le fait de musulmans agissant au nom de leur religion est tout simplement fausse.

En effet, tant la recherche universitaire et le journalisme d’investigation que les statistiques officielles d’organismes comme le FBI et Europol démontrent que dans nos sociétés occidentales, seule une infime partie des attaques terroristes sont commises par des « islamistes », « djihadistes » ou autres du même jus, quand bien même cette variété connaît une poussée certaine depuis quelques années dans une petite poignée de pays, trois ou quatre tout au plus. (En fait, surtout la France, le seul pays occidental gravement touché par ce phénomène. Hors France, dans le reste du monde occidental, à savoir 38 pays, une population de presque un milliard d’habitants, le « djihadisme » a fait environ 450 victimes, Manchester inclus, et ce sur les quinze dernières années depuis le 11 septembre 2001.)

Entre 1980 et 2005, seulement 6% des attaques terroristes sur le sol états-unien ont été perpétrées par des islamistes, tandis que plus de 90 % ont été commises par d’autres groupes : hispaniques, chrétiens, juifs, extrême gauche, activistes écologiques, suprématistes blancs d’extrême droite, groupes anti-gouvernementaux, anti-avortement, souverainistes, séparatistes et autres.

Cela est vrai du nombre d’attentats (réussis ou pas) et du nombre de terroristes, comme on le voit clairement si on prend la peine d’éplucher les statistiques annuelles et exhaustives, pays par pays, de la Global Terrorism Database (START/GTB) basée à l’Université du Maryland, la référence de base sur ce sujet. 

De même en Europe occidentale, la proportion d’incidents terroristes d’inspiration « islamique » ou « islamiste » de 1970 à 2014 est minuscule par rapport à la totalité des attaques, comme le montre clairement ce graphique.

Nombre d’attaques terroristes en Europe de l’Ouest 1970-2014 (Inspirées par l’islam ; Autres)

Et cela reste vrai pour le nombre de victimes :  même dans la dernière décennie depuis 2006, pourtant la période où le « djihadisme » monte en puissance, la majorité des pertes occidentales ont été causées non pas par des musulmans mais par d’autres types de terroristes, comme aux États-Unis : extrême-droite chrétienne anti-avortement, individus et groupes souverainistes anti-gouvernementaux, séparatistes (ETA, IRA, etc.), ethno-nationalistes, suprématistes blancs et chrétiens comme Anders Breivik ou Dylan Roof, etc.

À LIRE : Anders Lubitz : le racisme sous-jacent au discours sur le contre-terrorisme

Rares sont les années où dans la zone UE, le terrorisme d’inspiration « islamique » arrive en tête en ce qui concerne le nombre de victimes : de 1970 à 2016 (tableau 3), le terrorisme « islamiste » a surpassé les autres sur cinq années seulement : 2004-2005 avec les attentats Londres-Madrid ; 2012, l’année Mohammed Merah ; et 2015-2016, essentiellement les quatre attaques Charlie Hebdo, 11 novembre, Bruxelles et Nice, pour autant que ce dernier cas ait bien été le fait d’un « islamiste », ce qui n’a jamais été prouvé.

Ambulanciers et policiers près du Bataclan, le vendredi 13 novembre 2015 (AFP)

L’acte terroriste le plus meurtrier sur le continent européen ? Non, pas le Bataclan

Chacun peut vérifier empiriquement le résultat de l’intox à laquelle média et monde politique nous exposent depuis des années. Par exemple, demandez autour de vous qui a commis le pire attentat terroriste en Europe ces dix ou vingt dernières années. À quasiment 100 %, vous aurez droit au classique « Je ne sais pas exactement mais ça doit être des djihadistes, n’est-ce-pas ? Charlie Hebdo ? Le Bataclan le 11 novembre ? Nice ? Londres en 2005 ? ». 

Or, il se trouve que l’acte terroriste de loin le plus meurtrier sur le continent européen dans son entier, de la France à la Russie pour ratisser large et ne rien omettre, n’a aucunement été commis par des musulmans : il s’agit de la destruction par un missile russe du vol 17 de la Malaysia Airlines, le 17 juillet 2014 au-dessus d’une zone de l’Ukraine contrôlée par les forces séparatistes pro-russes en pleine guerre civile, tuant la totalité des 298 passagers et membres d’équipage. Chose que les médias, les politiques et avec eux nos populations se sont aussitôt empressés d’oublier, étrangement.

Cette mémoire curieusement sélective s’explique bien évidemment par le fait que le second attentat a été perpétué par deux musulmans

Et cette attaque est survenue il y a moins de trois ans, à un moment où tous les feux des médias occidentaux étaient braqués sur cette région. Mais vous aurez bien du mal à trouver quelqu’un qui vous donne la bonne réponse.

Par contre, tout le monde se souvient de l’attentat du Marathon de Boston en 2013, quoique plus lointain et qui, à seulement trois victimes, a été nettement moins meurtrier. 

Cette mémoire curieusement sélective s’explique bien évidemment par le fait que le second attentat a été perpétué par deux musulmans, ce qui n’est pas le cas du premier, celui-ci ayant donc immédiatement été évacué de notre disque dur alors qu’il reste bien, loin devant Charlie Hebdo et le 11 novembre 2015 combinés, le pire acte terroriste commis en Europe depuis le 11 septembre. Mais de cela, personne n’en parle et personne ne s’en souvient.

Quant au 11 septembre, pour élargir aux États-Unis, il fait bien figure d’exception qui confirme la règle (toute règle en a une), car l’ampleur et le bilan meurtrier de cet attentat historique n’a jamais été reproduit, on n’en trouve aucun équivalent même lointain, ni avant ni après, ni en Occident ni ailleurs, ni même en zone Moyen-Orient/Afrique du Nord, là où l’activité djihadiste est pourtant la plus intense et le terrain des plus fertiles.

Assad, le terroriste le plus sanglant du Moyen-Orient

Même au Moyen-Orient, région de loin la plus affectée par le « djihadisme », l’idée que la majorité du terrorisme serait de nature « islamiste » est également fausse.

Les terroristes les plus meurtriers de cette région ne sont aucunement al-Qaïda, le Front al- Nostra et autres Daech, mais en majorité des régimes laïcs et des chefs d’États non islamistes dont la violence politique n’est nullement accomplie au nom d’Allah ou d’un quelconque « Califat ».

Les terroristes les plus meurtriers de cette région ne sont […] en majorité des régimes laïcs et des chefs d’États non islamistes dont la violence politique n’est nullement accomplie au nom d’Allah ou d’un quelconque « Califat »

Les pires terroristes de l’humanité ont d’ailleurs toujours été des États et des régimes en place.

Ainsi, aujourd’hui, le plus meurtrier terroriste de la zone Moyen-Orient-Maghreb n’est pas du tout Daech, contrairement au mensonge inlassablement propagé par nos médias et gouvernements, mais le président syrien Bachar al-Assad en personne, aidé en cela par la Russie et l’Iran, et dont les victimes civiles dépassent de loin celles de l’État Islamique, ce que personne ne nie.  

Ni Assad ni Poutine ne sont des « islamistes ». Leurs régimes et forces armées sont cependant bel et bien depuis 2011 les deux sources principales de la violence dans cette région, chose qui n’est même plus à démontrer.

Le président syrien Bachar al-Assad (AFP)

Dans la hiérarchie de l’horreur, Assad réussit également à surpasser le pire de Daech puisqu’il va jusqu’à utiliser le meurtre et la torture d’enfants, et ce par centaines, comme punition, outil d’interrogation et de dissuasion, et arme de guerre contre les familles de ses opposants. Cette politique est bien documentée par l’UNICEF, les Nations unies et d’autres sources privées (activistes syriens, etc.), qui se recoupent toutes.

En avril 2016, la fuite d’un demi-million de documents officiels grâce à des activistes syriens et des avocats en droit humain international a ainsi révélé l’ampleur et l’atrocité de la campagne de torture et de meurtres de masse décidée et minutieusement planifiée par le régime de Damas et Assad en personne. La méticulosité administrative et la froideur bureaucratique de cette campagne de terreur et de violence rappellent les plans d’extermination des juifs par le Troisième Reich.

Sont désormais documentés et archivés dans cette montagne de documents officiels (sortis du pays par un téméraire espion infiltré à Damas, le mythique « César ») les milliers d’ordre de capture, de torture et d’assassinats d’opposants signés par Assad en personne.

À LIRE : Terrorisme : une histoire de violence

L’Américain Stephen Rapp, qui a dirigé pendant six ans des équipes d’avocats en droit humanitaire international et s’est occupé des dossiers du Rwanda et de la Sierra Leone en tant qu’ambassadeur des États-Unis en charge de la politique contre les crimes de guerre (nommé par Barack Obama en 2009), a déclaré que cette documentation « est beaucoup plus riche que tout ce qu’il m’a été donné de voir jusqu’à présent ». Et on imagine qu’avec son parcours, il en a vu.

Les persécutions et sévices infligés aux opposants et activistes syriens anti-Assad sont souvent insupportables ne serait-ce qu’à lire. Ils sont également exercés sur des enfants dont l’âge ne dépasse pas 13 ans dans certains cas. On épargnera les détails aux lecteurs, mais pour avoir une idée, on peut consulter la documentation, à condition d’avoir le cœur bien accroché. Ou alors il suffira de dire qu’ils feraient vomir d’horreur même les plus endurcis des combattants de Daech, car même eux ne se livrent pas à ce genre d’atrocités. 

On a récemment appris que les massacres de prisonniers et d’opposants atteignent une telle échelle industrielle qu’Assad doit désormais construire des crématoires pour disposer des corps.

Daech, à côté ?  Des amateurs.  Des débutants.  Des gagne-petit.

Les islamistes politiques, parmi les premières victimes du terrorisme

Avant Assad, la tristement célèbre palme d’or du terrorisme au Moyen-Orient/Afrique du Nord revient à Saddam Hussein, qui a exterminé environ 200 000 opposants nationaux selon les estimations, auxquels il faut ajouter les centaines de milliers de victimes civiles iraniennes et kurdes qui ont péri dans la guerre Irak-Iran (qu’Hussein a lui-même déclenchée), dont de nombreuses tuées dans ses attaques chimiques, comme le massacre de Halabja en mars 1988.

Or, aucun de ces deux chefs d’État n’est ou n’était « islamiste ». Et ils n’ont certainement pas commis leurs massacres au nom de l’islam. Bien au contraire, Assad et Hussein sont (fut, dans le second cas) des dirigeants baathistes laïcs.

Quant au père de Bachar, Hafez al-Assad, c’est contre les islamistes qu’il a déchaîné son propre terrorisme d’État, massacrant entre 15 000 et 40 000 civils et Frères musulmans rebelles dans la seule année 1982.

Sissi, lui aussi un chef d’État non islamiste, a assassiné plus de civils sans défense en quelques heures que des groupes dits « terroristes » du Sinaï n’en ont tué en plusieurs années

À côté de ce terrorisme-là, même Daech et al-Qaïda réunis font figure d’amateurs tant par le nombre de victimes et les méthodes utilisées que par l’ampleur et le degré de la cruauté déployée contre leurs ennemis.

Autre exemple probant : en Égypte, le 14 août 2013, quelques semaines après son coup d’État militaire du 3 juin, les forces militaires et policières du général Abdel Fattah al-Sissi ont massacré en une seule journée près de 1 000 partisans civils du président démocratiquement élu Mohammed Morsi, que Sissi avait renversé et kidnappé du bout du fusil et dont les Frères musulmans demandaient par leur sit-in non-violent la restitution.

Égyptiens fouillant les décombres suite au massacre de la place Rabia al-Adawiya (Le Caire), le 15 août 2013 (AFP)

Ce massacre de masse a été méthodiquement planifié et exécuté par Sissi et ses forces armées, comme l’ont désormais documenté toutes les organisations humanitaires égyptiennes ou internationales, dont Amnesty International et Human Right Watch. Cette dernière a même qualifié la répression du sit-in du Caire comme « la plus grande et la pire tuerie dans toute l’histoire moderne de l’Égypte ».

À LIRE : Se souvenir de Rabia, trois ans après : l’histoire d’un survivant

Et ce n’était que l’une d’entre elles, d’autres l’avaient précédée et d’autres ont suivi, toutes commises par le régime Sissi contre ses opposants politiques libéraux ou pro-Morsi, en premier lieu les Frères musulmans. Sans même compter les victimes de ces autres massacres, dans la seule journée du 14 août 2013, Sissi, lui aussi un chef d’État non islamiste, a assassiné plus de civils sans défense en quelques heures que des groupes dits « terroristes » du Sinaï n’en ont tué en plusieurs années.

Qui plus est, ces groupes ciblent essentiellement des soldats, contrairement au régime égyptien qui, lui, s’en prend en premier lieu à des civils.

Terrorisme d’État et complicités occidentales

Soi-dit en passant, étant donné que et la France et les États-Unis sont les alliés politiques et militaires du Boucher du Caire et que tous deux arment son régime, on doit en conclure sans fioritures et en toute logique qu’en plus de Poutine et Assad, Hollande, Obama, Trump et sans doute bientôt Emmanuel Macron sont eux aussi des terroristes d’État. Ce crime s’étend en effet (y compris légalement) à toute personne aidant des terroristes à accomplir leur terreur et leurs meurtres, par exemple en leur fournissant des armes comme c’est ici le cas. (Voir ici comment Hollande a été accueilli par le plus sanguinaire des terroristes égyptiens).

On ne peut parler de terrorisme d’État sans mentionner Israël, [...] qui a fait du terrorisme un véritable mode de gouvernement

On voit donc que ce mensonge permanent qui sans cesse nous affirme que les pires terroristes sont des groupes comme Daech, al-Qaïda ou Boko Haram ne tient en place que grâce à une supercherie et une pirouette sémantique aussi simple qu’efficace : à savoir, la réduction exclusive, par tous — politiciens, journalistes, média, think tanks et une grande partie des centres de recherche et « spécialistes » universitaires — du mot « terrorisme » au terrorisme non-étatique, et l’oubli concomitant et délibéré du terrorisme d’État, pourtant de loin le plus meurtrier de tous.

Enfin, on ne peut parler de terrorisme d’État sans mentionner Israël, cet État-voyou dirigé par des extrémistes religieux et des racistes démentiels qui a fait du terrorisme un véritable mode de gouvernement. Là, c’est littéralement par milliers que les civils palestiniens sont exterminés — hommes, femmes, enfants, vieillards et blessés, même dans les hôpitaux. Or, pas plus que leur colonisation illégale et ultra-violente accomplie armes à la main ou leur mépris total pour le droit international, les agissements terroristes des autorités israéliennes n’ont jamais empêché nos dirigeants de les armer et de leur apporter un soutien inconditionnel, y compris lorsqu’ils exterminent des familles entières sous nos yeux en clamant « auto-défense ! ». 

Alain Gabon est professeur des universités et maître de conférences en Études françaises aux États-Unis. Il dirige le programme de français de l’Université Wesleyenne de Virginie et est l’auteur de nombreuses conférences et articles sur la France contemporaine et l'islam en Europe et dans le monde pour des ouvrages et revues universitaires spécialisés, des think tanks comme la Cordoba Foundation en Grande-Bretagne, et des médias grands publics comme Saphirnews ou Les cahiers de l'Islam. Un essai intitulé « Radicalisation islamiste et menace djihadiste en Occident : le double mythe » sera publié dans quelques semaines par la Cordoba Foundation.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : messages et gerbes de fleurs déposés à Manchester en hommage aux personnes tuées et blessées lors de l'attentat du 22 mai (AFP).

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