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La reconnaissance de la Palestine : du bon, du mauvais et de l’incertitude

Les reconnaissances diplomatiques de la Palestine traduisent un changement d’ordre sismique dans l’approche internationale et prouvent qu’il est temps de se libérer de l’hégémonie américaine

Quoique fasse Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne (AP), sa popularité ne fait que diminuer. D’un certain point de vue, la popularité d’Abbas n’a jamais été impressionnante et cette tendance est peu susceptible de s’inverser dans un proche avenir.

Mais maintenant qu’une lutte de pouvoir se fait jour à l’intérieur du Fatah et que son investissement dans le « processus de paix » s’est avéré stérile, Abbas fait ce qu’il aurait dû faire il y a longtemps : internationaliser la lutte palestinienne et s’extraire définitivement de l’influence et du double standard de la « diplomatie » américaine.

Si l’on prend en compte son sinistre héritage légué aux Palestiniens - son rôle majeur dans l’entretien du [prétendu] processus de paix, la répression de la dissidence, l’incapacité à œuvrer pour l’unité de son peuple, sa gestion antidémocratique, et encore bien pire - il est douteux que ses efforts d’internationalisation n’aient que des motifs louables. Mais cela a-t-il de l’importance si les résultats sont une plus large reconnaissance pour un État palestinien ?

L’initiative du Vatican

Le 13 mai dernier, le Vatican a officiellement reconnu l’État de Palestine. En réalité, le Vatican avait déjà fait bon accueil au vote de l’Assemblée générale des Nations unies de 2012 pour reconnaître un État palestinien. D’ailleurs, il avait réservé depuis à la Palestine le traitement d’un État.

Mais ce qui rend le 13 mai particulièrement notable, est que cette reconnaissance a été concrétisée sous la forme d’un traité, même si celui-ci n’est pas très important. Pour tout dire, cette nouvelle reconnaissance est encore dans une certaine mesure symbolique, mais aussi significative car elle valide la nouvelle approche de la direction palestinienne qui consiste à internationaliser le conflit et à l’extraire du processus de paix sous tutelle américaine.

Le Vatican peut être considéré comme une autorité morale pour les plus de 1,2 milliard de personnes qui se considèrent « catholiques romains ». Sa reconnaissance de la Palestine est cohérente avec l’attitude politique des pays qui sont considérés autour du monde comme les meilleurs défenseurs des droits des Palestiniens, la majorité d’entre eux étant situés en Amérique Latine et en Afrique.

Il y a plus d’une manière d’interpréter ce dernier développement dans le contexte de l’important changement stratégique palestinien pour échapper à l’hégémonie politique du discours américain sur la Palestine. Mais tout n’est pas positif, et la route pour « l’État de Palestine, » qui doit encore s’imposer en dehors du virtuel et du symbolique, est pavée de dangers.

Des raisons d’être optimistes

1. Les reconnaissances permettent aux Palestiniens de s’extraire de l’hégémonie des États-Unis et de son discours politique sur « le conflit palestino-israélien ».

Pendant presque vingt-cinq années, la direction palestinienne - d’abord l’OLP puis ensuite l’AP - est tombée sous le charme de l’influence américaine lors des premières négociations multilatérales conduites par les États-Unis entre Israël et les pays arabes à Madrid en 1991. La signature des Accords d’Oslo en 1993 et l’installation de l’AP l’année suivante ont cédé aux États-Unis une influence politique grandissante sur le discours politique palestinien. Tandis que l’AP accumulait en retour un argent considérable et un certain degré de reconnaissance politique, les Palestiniens d’une manière générale ont beaucoup perdu.

2. Les reconnaissances internationales déconsidèrent le « processus de paix, » qui a été au mieux futile, mais aussi destructif pour les aspirations nationales palestiniennes.

Depuis que le « processus de paix » sous tutelle américaine a été lancé en 1993, les Palestiniens ont peu gagné et surtout perdu. Cette perte tient essentiellement dans ce qui suit : l’expansion massive par Israël des colonies juives et illégales dans les territoires occupés, doublant par là le nombre de colons illégaux ; l’incapacité du soi-disant processus de paix à réaliser un seul de ses objectifs affichés, à savoir une plus grande souveraineté politique palestinienne et un État indépendant ; la fragmentation de la cause nationale palestinienne au milieu de factions se faisant concurrence.

Le dernier clou dans le cercueil « du processus de paix » a été enfoncé quand le secrétaire d’État américain John Kerry, n’a pas pu faire respecter sa date butoir d’avril 2014 pour un « accord-cadre » entre l’AP et le gouvernement d’extrême-droite de Benyamin Netanyahou.

L’effondrement du processus était en grande partie le résultat d’un mal niché en profondeur où les entretiens, aussi « positifs » et « encourageants » qu’ils pouvaient être présentés, n’ont jamais été vraiment prévus pour attribuer aux Palestiniens ce à quoi ils aspiraient : un État qui soit le leur. Netanyahou et son gouvernement (le dernier étant indiscutablement « le plus belliciste » dans l’histoire d’Israël) ont à plusieurs reprises fait clairement connaître leurs intentions.

Trouver une solution de rechange au futile « processus de paix » en portant le conflit au niveau des institutions internationales et des différents gouvernements est sûrement une stratégie beaucoup plus sage que répéter maintes et maintes fois la même erreur.

3. Au lieu de se voir contraints à s’engager dans des entretiens frivoles en échange d’argent, les reconnaissances diplomatiques de la Palestine permettent aux Palestiniens de reprendre l’initiative.

En 2012, Abbas s’est présenté devant l’Assemblée générale des Nations unies pour obtenir la reconnaissance de la Palestine. Une fois obtenu ce nouveau statut, il a continué à internationaliser la cause palestinienne, bien qu’en hésitant parfois.

Ce qui est plus important que les manœuvres d’Abbas est qu’à l’exception des États-Unis, d’Israël, du Canada et de quelques îles minuscules, une longue liste de pays incluant des alliés occidentaux des États-Unis ont semblé réceptifs à l’initiative palestinienne. Certains sont allés jusqu’à confirmer cet engagement par des votes parlementaires en faveur d’un État palestinien. La décision du Vatican de signer un traité avec « l’État de Palestine » représente un pas plus loin dans la même direction. Mais somme toute, le mouvement vers la reconnaissance de l’État de Palestine s’est développé en marge des États-Unis et conteste son rôle de « courtier honnête » qui s’imposait de lui-même dans un processus de paix mort-né.

Aussi, c’est un beau jour que celui où recule l’influence politique militaire des États-Unis, au profit d’un monde plus démocratique et au pluralisme renforcé. Mais il n’est pas question que de bonnes nouvelles pour les Palestiniens, parce que ces reconnaissances ont un coût.

Des raisons de douter

1. Ces reconnaissances sont conditionnées par la soi-disant idée de solution à deux États, elle-même un point de départ impraticable pour résoudre le conflit.

Une solution à deux États qui puisse présenter le pas minimum pour la justice, n’est pas possible considérant la géographie de l’occupation israélienne, les énormes constructions de colonies illégales constellant la Cisjordanie et Jérusalem, le droit au retour dans leurs maisons pour les réfugiés palestiniens et les questions concernant des droits sur l’eau, etc. Cette « solution » est une relique de la période des années 1970 où Henry Kissinger menait ses navettes diplomatiques. Elle n’a aucune place dans le monde d’aujourd’hui quand les vies des Palestiniens et des Israéliens se recouvrent et s’imbriquent de trop de manières pour qu’une séparation nette soit réalisable.

2. Les reconnaissances légitiment un président palestinien dont le mandat est expiré et qui dirige un gouvernement non élu.

En fait, c’est Abbas, également connu sous le nom d’Abou Mazen, qui en grande partie a concocté l’affaire d’Oslo, commençant secrètement en Norvège tout en écartant toute recherche d’un consensus palestinien sur un processus intrinsèquement très mal engagé. Depuis lors, il a plus ou moins tenu la barre, tirant bénéfice de la catastrophe politique qui en est résultée. Faut-il donner à Abbas, âgé aujourd’hui de 80 ans, une nouvelle occasion de pervertir la stratégie palestinienne en l’engageant dans une direction totalement différente ? Ces efforts devraient-ils être validés ? Ou n’est-ce pas le moment pour une plus jeune, et capable, génération de dirigeants palestiniens de conduire le projet national palestinien sur de nouvelles voies politiques ?

3. Les reconnaissances sont au mieux symboliques.

La reconnaissance d’un pays qui n’est pas totalement formé et vit sous occupation militaire, changera difficilement la réalité sur le terrain, de quelque façon que ce soit. L’occupation militaire israélienne, l’expansion des colonies, et les étouffants barrages militaires restent la réalité quotidienne à laquelle les Palestiniens sont confrontés. Même si la stratégie d’Abbas réussit, il n’est pas du tout établi qu’elle soit du moindre effet sur la réalité, réfrénant Israël ou diminuant la souffrance des Palestiniens.

Conclusion

On pourrait argumenter que la reconnaissance de la Palestine a une bien plus grande valeur qu’Abbas, comme personne ou comme héritage. Ces reconnaissances révèlent qu’un bouleversement majeur s’est produit au niveau international à propos de la Palestine, beaucoup de pays des hémisphères nord et sud convenant en définitive qu’il est temps d’affranchir le destin de la Palestine de l’hégémonie américaine. Sur le long terme, et au vu du rééquilibrage de plus en plus marqué entre les puissances mondiales, c’est un bon début pour les Palestiniens.

Cependant, une question demeure : y aura-t-il une direction palestinienne capable et réactive qui saura tirer profit de cette évolution et l’exploiter dans la plus large mesure possible au profit du peuple de Palestine ?

Ramzy Baroud (www.ramzybaroud.net) est chroniqueur pour divers médias internationaux, conseiller dans le domaine des médias, auteur de plusieurs livres et fondateur de PalestineChronicle.com. Il complète actuellement ses études de doctorat à l’université d’Exeter. Son dernier livre, My Father Was a Freedom Fighter: Gaza’s Untold Story (Pluto Press, London), est disponible en version française (Résistant en Palestine. Une histoire vraie de Gaza, éditions Demi-Lune).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : 17 mai 2015 - Des pèlerins brandissent des drapeaux palestiniens avant de suivre une messe tenue sur la Place St Pierre à l’occasion de la canonisation de deux nonnes palestiniennes qui ont vécu en Palestine ottomane (AFP).

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