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La stratégie de Tony Blair pour le gaz égyptien favorise l’empire énergétique israélien

L’accord gazier entre l’Egypte et BP constitue la première étape d’une stratégie américano-britannique visant à contrer les crises énergétiques affectant les despotes régionaux favoris de l’Occident

Cette semaine, l’Egypte a signé un accord historique de 12 milliards de dollars avec British Petroleum (BP) afin de développer ses ressources naturelles gazières offshore. Le projet West Nile Delta vise, dans un délai de deux ans, à intégrer ce gaz dans le réseau national destiné à la consommation domestique dans le but de faire face à la crise énergétique du pays.

Cet accord, qui implique aussi BG Group (une autre entreprise britannique) et RWE Dea (dont le propriétaire est un milliardaire russe), est un des nombreux accords régionaux qui incluent Israël actuellement. Tony Blair, l’ancien Premier ministre britannique et actuel envoyé spécial du Quartet pour le Moyen-Orient (Etats-Unis, Royaume-Uni, Union européenne et Russie), est profondément impliqué.

Des sources officielles ont éclairé le rôle joué par les ressources gazières palestiniennes dans une stratégie internationale visant à faciliter les exportations israéliennes à destination des régimes arabes voisins. Elles confirment que le récent accord avec l’Egypte participe d’une stratégie plus large destinée à utiliser le gaz de Gaza afin d’amadouer l’opinion publique arabe et de consolider la dépendance énergétique arabe envers Israël.

Ouvrir la Méditerranée

Depuis que le général en chef de l’armée égyptienne Abdel Fattah al-Sissi a pris le pouvoir en novembre 2013, environ 2,9 milliards de dollars d’investissements étrangers ont afflué en Egypte pour la production et l’exploration énergétiques. Plus tôt dans l’année, des représentants du ministère de l’Energie ont confirmé que trois nouveaux accords pétroliers et gaziers de plusieurs milliards de dollars étaient en cours de négociation.

Ce qui ne figure pas dans les médias, c’est l’importance primordiale de l’accord entre l’Egypte et BP au sein d’une architecture plus large d’accords d’importation et d’exportation centrée autour d’Israël.

Le 8 novembre 2014, les chefs d’Etat égyptien, grec et chypriote étaient au Caire pour des pourparlers relatifs à la lutte contre le terrorisme et l’exploitation des réserves gazières et pétrolières de l’est de la Méditerranée. La rencontre s’est conclue par la signature d’un accord de coopération régionale portant notamment sur l’exportation des ressources énergétiques de la région vers les marchés européens.

Selon des sources présentes lors de cette rencontre, cet accord est précurseur de futures discussions tripartites impliquant Israël et dont le but est mettre à mal les efforts turcs d’accéder aux gisements revendiqués par Chypre.

Le programme d’exportation israélien

Ce nouvel accord n’implique pas seulement le développement des réserves domestiques de gaz égyptien mais aussi l’importation du gaz de « tierces parties ».

« BG Egypte travaille en collaboration étroite avec le gouvernement égyptien et nos partenaires afin de permettre l’augmentation de l’approvisionnement en gaz d’une tierce partie dans le pays, reflet de notre évaluation du besoin en énergie [de l’Egypte] », a indiqué un porte-parole du Groupe BG. « Ces accords permettront le développement et la livraison de nouveaux volumes gaziers au marché domestique égyptien, au travers de l’utilisation de BG Egypte et des infrastructures onshore et offshore de nos partenaires en amont. »

Cette tierce partie, c’est Israël. En juin 2014, le Groupe BG a signé une lettre d’intention non contraignante avec Noble Energy et Delek relative à l’envoi de sept milliards de mètres cubes de gaz du site israélien Léviathan aux installations de BG dans le nord de l’Egypte sur une période de quinze ans.

Selon une source de haut rang du gouvernement égyptien, début 2014, une délégation de représentants du gouvernement israélien avait rendu visite à ses homologues égyptiens au Caire dans le but de confirmer la proposition d’exportation de gaz.

A peu près à la même période à laquelle BG signait cette lettre d’intention avec le consortium énergétique israélien, Israël lançait son incursion militaire dans Gaza, l’opération « Bordure protectrice ». Même après la reprise des attaques aériennes israéliennes contre le Hamas suite à l’échec prévisible d’un « cessez-le-feu » négocié par l’Egypte, les représentants israéliens et égyptiens menaient des pourparlers secrets relatifs à la vente de gaz israélien à l’Egypte pour un montant de 60 milliards de dollars.

L’objectif de ces accords n’était pas seulement de satisfaire la demande domestique égyptienne mais de fournir également à Israël un accès à l’exportation vers les marchés globaux. David Shrem, un gestionnaire de portefeuilles à Sphera Funds Management Ltd, décrit les accords comme « les plus significatifs en matière d’exportation régionale […] Depuis ces installations en gaz naturel liquéfié en Egypte, Israël peut atteindre les marchés asiatiques et européens ».

Toujours selon la source du gouvernement égyptien, depuis lors, des représentants du ministère du Pétrole égyptien ont eu plusieurs réunions à Londres avec des représentants de Noble, l’entreprise de pétrole du Texas, et le Groupe Delek basé à Tel Aviv, afin de négocier la proposition d’exporter le gaz israélien en Egypte. La semaine dernière, avant l’annonce de l’accord de BP, des responsables de Noble et Delek rencontraient à Londres des représentants de BP dans le but d’affirmer leur engagement d’exporter du gaz israélien aux installations de liquéfaction égyptiennes de Damiette et d’Idku.

La plupart des pressions exercées en faveur de cet accord proviennent de l’Union européenne et des Etats-Unis, en dépit des préoccupations égyptiennes quant à la possibilité que cet accord avec Israël génère des problèmes sécuritaires ainsi qu’une opposition populaire compte tenu de l’occupation de la Palestine par Israël.

Amos Hochstein, l’envoyé spécial du département d’Etat aux affaires énergétiques, et Guenther Oettinger, le Commissaire européen à l’Energie, ont confirmé leur rôle dans la promotion ou la négociation d’accords d’exportation de gaz entre Israël, l’Egypte, la Jordanie, Chypre et, potentiellement, la Turquie.

Piller Gaza

Un document officiel du bureau du représentant du Quartet, Tony Blair, démontre qu’il est prévu que le gaz de Gaza joue un rôle intégral dans l’architecture de l’exportation du gaz méditerranéen.

Intitulé « La dimension palestinienne du paysage énergétique régional », le document contient une série de diapositives présentées par le conseiller en énergie de Tony Blair, Ariel Ezrahi, durant la conférence internationale sur le pétrole et le gaz tenue le 20 novembre 2014 en Israël.

La présentation souligne que les ressources offshore de la réserve de gaz Gaza Marine ont le potentiel de « transformer le secteur palestinien de l’énergie et de stimuler l’économie », et ajoute que « des ressources additionnelles en hydrocarbure peuvent être explorées dans le futur ».

Elle suggère aussi que le gaz de Gaza Marine devrait être exporté aux marchés étrangers et que la Palestine devrait importer l’énergie nécessaire à ses besoins électriques domestiques d’Israël et d’Egypte.

Selon le document, le réseau électrique devrait être modernisé non seulement dans le but d’une meilleure distribution interne, mais aussi afin d’établir des « réseaux régionaux interconnectés », ce qui implique pour Gaza une « augmentation des importations d’électricité depuis Israël et l’Egypte ». La Cisjordanie deviendra dépendante de l’« électricité d’Israël et de Jordanie » alors que le gaz du « secteur électrique palestinien » pourra provenir d’un « accord Léviathan avec les installations électriques de Jénine ».

Quant au développement de Gaza Marine, il devrait avoir pour but la « vente de gaz » plutôt que la consommation domestique, mais le document ne détaille pas quels sont les marchés d’exportation envisagés. Il mentionne cependant « les accords gaziers israéliens avec la Jordanie (NEPCO, Potash & Bromine) et l’Egypte (BG, Union Fenosa, Dolphinus) pour les sites de Tamar et Léviathan ».

Dans le document, cette matrice de relations énergétiques est décrite come créant « des opportunités pour des synergies entre Palestiniens, Israéliens et d’autres acteurs régionaux ». Or dans les faits, son impact augmente fondamentalement la dépendance palestinienne en matière de sécurité énergétique vis-à-vis d’Israël et de ses alliés.

L’enjeu réel réside dans la volonté d’intégrer le gaz palestinien dans les accords d’exportation israéliens afin de les légitimer aux yeux d’un public arabe hostile. « Il serait sage pour Israël d’au moins considérer la contribution de la dimension palestinienne à ces accords », indique Ezrahi au journal Ha’aretz. « Je pense que c’est une erreur pour Israël de précipiter des accords régionaux sans au moins considérer la perspective palestinienne et comment celle-ci peut contribuer aux intérêts israéliens. »

Israël, soutenu par ses alliés occidentaux, souhaite utiliser les Palestiniens « comme atout dans son ambition d’intégrer le réseau électrique régional, et comme un pont avec le monde arabe », en vendant le « gaz palestinien sur plusieurs marchés » ou en promouvant un accord avec les entreprises développant « les sites israéliens de Tamar et Léviathan qui permettra la vente de gaz bon marché à l’Autorité [palestinienne] ».

Le document du Quartet contredit le démenti émis par Tony Blair l’été dernier suite à des rapports selon lesquels il aurait conseillé le Président égyptien Sissi pour développer un plan global de développement économique pour le pays. Ce document démontre que les relations énergétiques de l’Egypte avec Israël et Gaza figurent clairement dans la vision de Tony Blair pour la région et le solutionnement des crises économiques de l’Egypte.

Selon des sources familières du dossier, les conseils prodigués par Tony Blair à l’Egypte interviennent dans le cadre d’un groupe de travail financé par les Emirats arabes unis (EAU), le Koweït et l’Arabie saoudite. Des enregistrements rendus publics de conversations entre des responsables du gouvernement égyptien semblent corroborer les accusations selon lesquelles Tony Blair travaille étroitement avec le régime de Sissi à la condition que son engagement soit caractérisé de « non officiel ».

Le plan n’a pas été conçu pour bénéficier aux Palestiniens. Comme le signale le journaliste David Cronin, le plan général de Tony Blair pour la modernisation économique de la Palestine implique la « saisie commerciale » des territoires par des entreprises transnationales comme Goldman Sachs, Coca Cola et Microsoft qui travaillent en connivence avec l’élite économique palestinienne corrompue et pro-israélienne. Cet arrangement établirait des « zones économiques spéciales » permettant l’« exploitation impitoyable » de la main d’œuvre palestinienne, dans de très mauvaises conditions de travail, ainsi que « l’usurpation de terres agricoles ».

La vision de la « paix » au Moyen-Orient de Tony Blair se fonde sur l’asservissement : la consolidation du contrôle de la Palestine par Israël en convertissant les territoires en une colonie par l’intermédiaire du capitalisme.

Approbation officielle

La conférence de 2014 en Israël, durant laquelle le conseiller en énergie de Blair, Ariel Erzahi, a présenté son plan, a été organisée par une obscure compagnie britannique, Universal Oil and Gas (UOG). UOG est très proche du gouvernement britannique.

Selon le rapport rédigé par l’UOG après la conférence, l’événement a été sponsorisé par le ministère de l’Economie israélien, le département d’Etat britannique pour le Commerce et l’Investissement, Conservative Friends of Israel, le ministère danois de l’Enseignement supérieur et de la Science, et la Chambre de commerce Texas-Israël. La responsable du développement économique d’UOG est Cordelia Evans, vice-présidente de London Conservative Future, l’aile jeune du Parti conservateur.

Début juin 2014, trois jours avant qu’Israël ne commence à réduire Gaza à néant, le directeur général d’UOG, Michael Beagelman, et son fils Joshua Beagelman, chef des opérations, étaient à Ramallah, en Cisjordanie, afin de célébrer l’anniversaire de la reine, courtoisie du gouvernement britannique. « Après un voyage réussi dans le but de collaborer avec les responsables palestiniens », annonçait alors un communiqué d’UOG, « en 2014, UOG inclura des activités gazières et pétrolières dans les territoires palestiniens ».

En 2011, le vice-Premier ministre Nick Clegg a pris part à un « petit-déjeuner d’affaire » co-organisé par Michael Beagelman et visant à récolter des fonds pour la célèbre association caritative en matière de services de santé, Jewish Care.

Le président de la conférence de l’UOG de 2014 était le Dr. Harold Vinegar, ancien directeur scientifique de la Royal Dutch Shell et actuellement directeur scientifique de plusieurs entreprises d’énergie israélienne, dont Israel Energy Initiatives (IEI), Afek Israel Oil & Gas et Genie Oil & Gas. Afek est une filiale de Genie, une entreprise américaine dont le conseil d’administration inclue l’ancien vice-Président américain Dick Cheney, le propriétaire de News International Rupert Murdoch, et le banquier de renommé mondiale Lord Jacob Rothschild. Genie mène actuellement des opérations de forage dans le plateau du Golan.

Un autre délégué de première importance était le vice-amiral Eliezer Marom, ancien chef de la marine israélienne, qui a pris part à l’opération « Plomb durci » contre Gaza en 2008, ainsi qu’à l’abordage de la flottille pour Gaza de 2010 durant lequel des officiers de marine israéliens ont tué neuf civils turcs et blessé une vingtaine d’autres.

Marom est actuellement directeur principal chez Seagull Maritime Security, un contractant privé de défense israélienne qui emploie des anciens officiers de l’armée et du renseignement israéliens. Son conseil d’administration est présidé par Ami Ayalon, ancien chef des services de sécurité intérieure israéliens, le Shin Bet. L’entreprise est étroitement liée à des militaires israéliens du renseignement.

L’entreprise de Marom a été engagée en 2013 par Sissi afin d’assurer la sécurité de navires traversant le canal de Suez en Egypte, où transite actuellement environ 2,5 % de la production mondiale de pétrole et 7,5 % du commerce mondial. Seagul a bénéficié aussi des droits d’opérer dans la mer Rouge et les ports de Jordanie, des EAU et d’Oman.

L’alliance de Sissi avec Israël par le biais d’un entrepreneur privé en vue de s’assurer le canal de Suez est cruciale pour les intérêts stratégiques américains. Un câble secret du département d’Etat de 2009 relatif aux 1,3 milliard de dollars d’aide militaire américaine au régime Moubarak explique « les bénéfices tangibles de notre relation militaire » comme suit : « L’Egypte demeure en paix avec Israël, et l’armée américaine jouit d’un accès prioritaire au canal de Suez et à l’espace aérien égyptien ».

Contrer les crises

Il est de plus en plus urgent de négocier des accords fructueux pouvant faciliter une infrastructure gazière d’import-export efficace dans l’Est de la Méditerranée.

Le renversement inattendu d’Hosni Moubarak après des décennies d’autoritarisme soutenu par les Etats-Unis n’a pas été seulement une conséquence de griefs attisés par la répression politique. Ces plaintes ont été envenimées par une tempête de crises économique, environnementale et énergique.

L’un des principaux facteurs contextuels est la pression sur les ressources. L’Egypte a atteint le pic de sa production de pétrole en 1996. Depuis, la production a chuté, et avec elle les revenus pétroliers de l’Etat et donc la capacité de maintenir les subsides alimentaires et les aides à l’achat de combustible domestique. Compte tenu du fait que 50 % des Egyptiens dépensent la moitié de leur revenu en nourriture, le doublement des prix du blé et la réduction des subsides domestiques sont devenus intolérables. Dans la phase préparatoire aux événements de 2011, des millions d’Egyptiens ne pouvaient pas se permettre d’acheter du pain. Des conditions similaires ont prévalu dans d’autres endroits de la région, propulsant des protestations populaires de masse prolongées.

Le régime de Morsi a été incapable d’améliorer ces problèmes structurels inextricables, de même que Sissi n’est pas parvenu à restaurer l’ordre militaire.

La junte est coincée entre le marteau et l’enclume. Afin d’éviter de nouvelles explosions d’agitations populaires, le régime de Sissi se voit contraint de maintenir un haut niveau de subsides. Mais ceux-ci font pression sur les coffres de l’Etat et aggravent les pénuries régulières de gaz et d’électricité liées à la flambée de la demande domestique.

Le régime doit trouver un moyen de satisfaire la demande domestique tout en continuant à exporter suffisamment de gaz afin de maintenir des revenus étatiques suffisants pour maintenir l’économie à flot et attirer les investissements étrangers. Les exportations israéliennes de gaz à l’Egypte sont essentielles afin de l’aider à atteindre ces buts.

Le défi fondamental représenté par la transition d’économies post-pétrole à des économies capables de survivre alors que les énergies non conventionnelles sont beaucoup plus coûteuses s’étend à toute la région.

La Jordanie par exemple, importe 96 % de ses besoins énergétiques au prix de 7,1 milliards de dollars par an, soit 20 % de son PIB. Les initiatives nationales en matière d’énergie incluant le nucléaire et le pétrole ont échoué, non seulement à cause de problèmes de gestion, mais aussi à cause des coûts astronomiques. De même, après avoir connu un pic de la production de pétrole en 1991, la Turquie importe à présent quasiment la totalité de son pétrole et de son gaz. Chypre aussi importe beaucoup de son énergie, mais a récemment découvert d’importantes ressources gazières offshore dont elle espère tirer profit pour sa consommation domestique et ses exportations. La Grèce importe presque tout son gaz de Russie.

A l’intérieur même d’Israël, l’incompétence persistante dans le secteur de l’énergie continue à générer des tensions politiques.

En 2012, avant qu’Israël ne lance l’opération « Pilier de défense » à Gaza, le pays a été confronté à une crise énergétique continue due à une demande en hausse durant l’été. Le prix de l’électricité a grimpé, amenant à des pannes d’électricité. En 2013, les coupures d’électricité ont continué, et les prix de l’électricité ont augmenté de 47 %, causant le « chaos » dans le pays.

Le problème est que la production de gaz et de pétrole non conventionnels n’est pas bon marché et que le taux de forage pour atteindre des niveaux de production suffisants est si élevé que le gaz produit en excès fait baisser les prix du marché, qui alors deviennent souvent trop bas pour maintenir la rentabilité, ainsi qu’est en train de l’expérimenter l’industrie du schiste aux Etats-Unis.

Alors que le coût de production de l’énergie monte en flèche, le Quartet voit la domination des ressources gazières de l’est de la Méditerranée par Israël et Chypre comme critique pour que ses alliés régionaux puissent répondre à la demande grimpante en énergie et garantir leurs revenus. Le risque, autrement, est qu’ils ne parviennent pas à enrayer l’agitation populaire.

Dans un contexte géopolitique de plus en plus délicat, la volonté de renforcer la dépendance énergétique arabe, asiatique et européenne envers Israël est aussi une manière de diminuer l’expansion de l’influence régionale russe, ou du moins de la limiter à un cadre contrôlé par l’Occident.

Le problème du Hamas

Le plus grand problème dans tout cela, c’est le Hamas. Tant pour le Quartet que pour Israël, il n’est pas possible de traiter avec lui. Comme l’a confirmé un an avant l’opération « Plomb durci » le ministre de la Défense israélien de l’époque Moshe Yaalon, la seule manière concevable d’accéder aux ressources de Gaza (et ainsi utiliser le dossier palestinien comme manière de légitimer des accords avec les régimes arabes) est une « action militaire visant à déraciner le Hamas ».

Depuis, les efforts répétés d’Israël en ce sens n’ont toutefois réussi qu’à détruire des vies et des infrastructures civiles tout en renforçant l’emprise du Hamas sur Gaza.

Tony Blair semble douloureusement conscient du fait que la préférence d’Israël pour les solutions militaires n’a pas produit le résultat escompté.

En février dernier, alors que des responsables égyptiens et israéliens étaient occupés à rencontrer les représentants de leur entreprise pétrolière respective, Tony Blair visitait Gaza et demandait au Hamas de clarifier s’il faisait oui ou non partie d’un « mouvement islamiste plus vaste doté d’ambitions régionales », ou s’il accepterait une paix à long terme aux côtés d’Israël. Les conditions d’une telle paix, à en juger par le plan économique de Tony Blair pour les territoires, serait d’accepter le statut d’une informelle « colonie par l’intermédiaire du capitalisme » sous domination israélienne, légitimée internationalement par le tampon de la souveraineté étatique.

Comme pour encourager le Hamas, Tony Blair a également exhorté un « changement radical d’approche » de la part d’Israël afin de lever les restrictions économiques « pour que Gaza puisse réellement être ouverte au monde extérieur, et que les Gazaouis bénéficient de la liberté de mouvement et des biens et services que Gaza et son économie requièrent ». Il a aussi appelé l’Egypte à jouer un rôle central dans les négociations sur le futur de Gaza.

Le changement d’approche suit étroitement le jugement de la cour générale de l’UE ordonnant le retrait du Hamas de la liste noire des organisations terroristes de l’Union. L’UE fait actuellement appel de cette décision.

Alors que les négociations sur les accords gaziers régionaux se sont accélérées ces dernières années, les pourparlers secrets entre représentants américains et européens et les dirigeants du Hamas en Jordanie, en Egypte et au Qatar ont suivi la même tendance. Selon un haut diplomate américain, les pourparlers en cours visent à amener le Hamas à « rentrer dans le rang » des demandes israéliennes et à « répondre aux critères établis par le Quartet », comme condition pour une reconnaissance officielle.

Il ne fait aucun doute que l’action militaire demeure une option si les membres du Quartet concluent que le Hamas ne semble pas prêt à suffisamment « rentrer dans le rang » et pour éviter à temps les instabilités régionales générées par les défis énergétiques et économiques locaux.

En décembre dernier, un rapport de l’Institut d’études stratégiques de l’Académie militaire américaine a fait référence aux contours généraux de la vision régionale du Quartet pour une nouvelle architecture énergétique centrée sur Israël. L’étude, rédigée par des consultants du ministère de la Défense britannique, avertit qu’un vaste engagement militaire américain  « peut se révéler essentiel pour la gestion de possibles conflits à venir », en cas d’« éruption de conflits liés aux ressources naturelles dans l’est de la Méditerranée » en raison de la découverte d’importants gisements de gaz.

- Nafeez Ahmed est journaliste d'investigation et auteur à succès. Titulaire d’un doctorat, il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale, examinant ce qu'il appelle les « crises de civilisation ». Il a obtenu une récompense de la part de l’organisation  Project  Censored  dans  la  catégorie « Outstanding Investigative Journalism » (« journalisme d’investigation d’exception ») pour un reportage d’investigation, publié par le journal The Guardian, sur l'intersection des crises globales de nature écologique, énergétique et économique et des conflits et géopolitiques régionales. Il a également écrit pour The Independant, Sydney Morning Herald, The Age, The Scotsman, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, Prospect, New Statesman, Le Monde diplomatique et New Internationalist. Son travail sur les causes profondes et les opérations secrètes liées au terrorisme international a officiellement contribué à l’établissement de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis du 11 septembre 2001 et à l'enquête du Coroner sur les attentats du 7 juillet 2005 à Londres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : Tony Blair, l’ancien Premier ministre britannique et envoyé spécial du Quartet pour le Moyen-Orient.

Traduction de l'anglais (original).

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