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La véritable histoire derrière la lettre des républicains à l’Iran

La réalité, c’est que des agents de la politique du Likoud sur l’Iran ont utilisé un jeune politicien républicain pour tenter de provoquer une rupture des négociations nucléaires

La « lettre ouverte » du sénateur Tom Cotton et de quarante-six autres sénateurs républicains aux dirigeants de l’Iran, qui, de l’aveu même des Républicains, visait à encourager les opposants iraniens aux négociations nucléaires à faire valoir que les Etats-Unis n’allaient pas respecter l’accord, a créé une nouvelle tempête politique. Cette lettre a été sévèrement condamnée par les démocrates, la qualifiant de « stupéfiante » et « affligeante », et ses détracteurs ont accusé les signataires de « trahison » pour avoir prétendument violé une loi interdisant aux citoyens de négocier avec une puissance étrangère.

Mais la réponse à la lettre a surtout distrait l’attention du public de la vraie question que celle-ci soulève : comment les grands bailleurs de fonds du Likoud en Israël contrôlent les actions du Congrès en ce qui concerne l’Iran.

Cette lettre scandaleuse est un effort maladroit entrepris par les partisans républicains du gouvernement de Benjamin Netanyahou pour tenter de saper les négociations sur le nucléaire entre les Etats-Unis et l’Iran. L’idée était d’encourager les Iraniens à conclure que les Etats-Unis ne s’acquitteraient pas réellement de leurs obligations en vertu de l’accord (c’est-à-dire la levée des sanctions contre l’Iran). Tom Cotton et ses collègues invitaient à établir une inévitable comparaison avec le complot de Richard Nixon en 1968 qui, via la campagne de la droite menée par Anna Chennault, visait à encourager le gouvernement du président Nguyen Van Thieu à boycotter les pourparlers de paix à Paris.

Mais alors que Nixon complotait secrètement pour que Nguyen Van Thieu attende de meilleures conditions sous sa propre administration, les quarante-sept sénateurs républicains ont œuvré ouvertement pour saboter les négociations avec l’Iran sur le nucléaire. De plus, les intérêts servis par la lettre n’étaient pas ceux d’un éventuel futur président américain mais du gouvernement israélien.

La lettre du sénateur Cotton présente des arguments clairement inexacts. La lettre suggère que tout accord qui ne reçoit pas l’approbation du Congrès « est un simple accord exécutif », comme si ces accords ne revêtent en quelque sorte qu’une importance marginale dans la diplomatie américaine. Or, les accords sur le retrait des forces américaines lors de la guerre du Viêt Nam et en Irak n’étaient pas des traités, mais des accords exécutifs.

L’affirmation selon laquelle « les futurs membres du Congrès pourraient modifier les termes de l’accord à tout moment » est tout aussi stupide. Le Congrès peut annuler l’accord en adoptant une loi contraire à ce dernier, mais ne peut pas le renégocier. En outre, l’assertion selon laquelle le prochain président pourrait « révoquer l’accord d’un simple trait de plume » néglige le fait que l’accord nucléaire avec l’Iran, s’il est signé, deviendra une loi internationale contraignante par résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, comme l’a souligné le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif.

Les signataires de la lettre ont été accusés de « trahison » et une demande de poursuites judiciaires pour négociations avec un gouvernement étranger en violation de la loi Logan a été lancée. En un peu plus de 24 heures, plus de 200 000 personnes avaient signé une pétition sur le site de la Maison Blanche pour que ces poursuites soient engagées.

Cependant, bien qu’il puisse sembler satisfaisant de s’engager dans cette voie dans un premier temps, cela demeure problématique pour des raisons tant juridiques que politiques. La loi Logan a été adoptée en 1799 et n’a jamais fait condamner quiconque, en grande partie parce qu’elle a été rédigée plus d’un siècle avant que les tribunaux américains ne créent des normes juridiques pour la protection de la liberté d’expression garantie par le premier amendement. En outre, il est difficile de savoir si la loi Logan n’a jamais été conçue pour s’appliquer aux membres du Congrès.

Les ordres de l’AIPAC

Plus grave encore, en se concentrant sur la loi Logan on oublie que Tom Cotton et ses collègues républicains ne négociaient pas avec un gouvernement étranger, mais essayaient d’influencer l’issue des négociations dans l’intérêt d’un gouvernement étranger. Le postulat du Sénat républicain qui se reflète dans la lettre (selon lequel l’Iran ne doit disposer d’aucune capacité d’enrichissement quelle qu’elle soit) n’est pas apparu spontanément. Les points de vue défendus par Tom Cotton et les autres républicains sur l’Iran sont le fruit du lobbying assidu d’agents d’influence israéliens agitant la promesse de financement de campagnes électorales et la menace d’apporter leur soutien à leurs opposants lors des prochaines élections.

Ces membres du Congrès ne parviennent pas à leurs conclusions sur les questions liées à l’Iran par la discussion et le débat interne. Ils reçoivent leurs ordres des lobbyistes de l’AIPAC et ils ne font que signer les lettres et voter les lois ou les résolutions qu’on leur présente, comme l’a rappelé un ancien lobbyiste de l’AIPAC, M. J. Rosenberg. Ce contrôle israélien sur le Congrès en ce qui concerne l’Iran et les préoccupations israéliennes en général ressemble davantage à la façon dont l’Union soviétique dirigeait ses régimes satellites et les partis communistes loyaux qu’à un quelconque procédé démocratique, les contributions au financement des campagnes remplaçant les mesures incitatives qui gardaient les alliés de l’URSS dans le droit chemin.

La loyauté de Tom Cotton à Israël

Selon M. J. Rosenberg, l’AIPAC doit avoir rédigé la lettre avant de la remettre au sénateur Cotton. « Pour tout ce qui concerne Israël, rien ne se passe au Capitole », a-t-il tweeté, « à moins et jusqu’à ce que Howard Kohr (chef de l’AIPAC) souhaite que cela se produise. Rien. » Si l’AIPAC a apparemment apporté son soutien à la lettre, l’histoire ne s’arrête peut-être pas là. Le sénateur Cotton se trouve être un protégé du politicien néoconservateur Bill Kristol, dont l’Emergency Committee for Israel (Comité d’urgence pour Israël) a versé près d’un million de dollars à la fin de sa campagne sénatoriale en 2014 et a garanti que Tom Cotton aurait le soutien des quatre plus grands bailleurs de fonds des principales organisations contre l’Iran.

Tom Cotton a prouvé sa fidélité absolue à la politique du Likoud sur l’Iran en parrainant un amendement à la loi sur la prévention du programme nucléaire iranien datant de 2013 (« Nuclear Iran Prevention Act ») qui aurait puni les contrevenants aux sanctions contre l’Iran par des peines de prison allant jusqu’à vingt ans et étendu la peine au « conjoint ou tout parent, jusqu’au troisième degré » du contrevenant. En présentant l’amendement à la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, Tom Cotton a apporté une clarification utile précisant qu’il aurait compris les « parents, enfants, tantes, oncles, neveux, nièces, grands-parents, grands-parents, petits-enfants, arrières petits-enfants. »

Cet amendement qui, croyait-il apparemment, refléterait le mieux son adoption de l’opinion israélienne sur la façon d’écraser l’Iran, a échoué mais il a prouvé sa fiabilité aux yeux des faiseurs de roi républicains fidèles au Likoud. Bill Kristol le prépare maintenant à être candidat à la vice-présidence en 2016.

Ainsi, la réalité qui se cache derrière la lettre de Tom Cotton et de ses collègues républicains, c’est que des agents de la politique du Likoud sur l’Iran ont utilisé un jeune et ambitieux politicien républicain pour tenter de provoquer une rupture des négociations sur le nucléaire iranien. La question que cela soulève est bien plus grave que la violation de la loi Logan, mais jusqu’à présent, les principaux organes de presse ont évité d’évoquer cette histoire.
 

- Gareth Porter est un journaliste d’investigation indépendant, lauréat en 2012 du prix Martha Gellhorn pour le journalisme. Il est l’auteur de Manufactured Crisis: The Untold Story of the Iran Nuclear Scare (« Une crise fabriquée de toute pièce : l’histoire jamais racontée de la menace nucléaire iranienne »).

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou s’adresse aux membres du Congrès des Etats-Unis au Capitole, Washington, le 3 mars 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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