Le génocide des Rohingyas au nom de l’or noir : une complicité de l’Occident et du Golfe
La chef de l’opposition Aung San Suu Kyi a remporté la majorité absolue au Parlement lors d’élections historiques en Birmanie.
Des observateurs de l’Union européenne ont vivement encensé la « transparence » et la « crédibilité » des élections – tout en admettant simultanément qu’elles ne sont pas « véritablement authentiques » dans la mesure où la minorité musulmane Rohingya de Birmanie est privée de droit de vote, ce qui représente 1,3 million de Birmans.
En octobre dernier, l’Initiative Internationale sur les crimes d’État (ISCI) de l’université Queen Mary de Londres a montré que le peuple Rohingya, qui réside vastement dans l’État d’Arakan, se retrouve face « aux étapes finales d’un processus de génocide ». Des documents gouvernementaux ont été divulgués et ces derniers illustrent des plans visant à organiser un « anéantissement massif » des plus intenses.
Le rapport de l’ISCI fait état de viols, de tortures, de massacres, de détentions arbitraires, de vols de droits fonciers et de la ghettoïsation perpétrés, tous ces actes perpétrés dans le cadre d’une « stratégie à long terme, organisée par l’État, visant à isoler, affaiblir et anéantir le groupe ».
Globalement, quatre millions de Birmans sont privés de droits de vote. Les travailleurs birmans à l’étranger ne peuvent pas s’inscire pour voter, les listes de vote sont criblées d’erreur, et des suffrages ont été annulés dans des zones ravagées par des violences ethniques – alors qu’un quart des sièges parlementaires sont réservés aux militaires.
Depuis 2012, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) d’Aung San Suu Kyi a, à maintes reprises, accepté les décisions des autorités gouvernementales, refusant de critiquer l’agression militaire à l’encontre des rebelles chrétiens de l’État Kachin. A cela s’ajoutent des allégations faisant état d’une élection interne organisée dans le but d’empêcher des milliers de jeunes membres de la Ligue nationale pour la démocratie de voter.
« Elle fut, d’une certaine manière, contrôlée par le gouvernement, qui est dirigé par un grand nombre d’anciens généraux », a fait remarquer l’ancien Ambassadeur australien pour la Birmanie, Trevor Wilson.
Guy Horton, « l’homme qui a dévoilé la vérité sur la Birmanie » et ami de Michael Aris, défunt mari d’Aung San Suu Kyi, a fortement critiqué les compromis de la NLD avec la junte militaire qui avaient pour but de proposer une « couverture, apparemment légitime et démocratique, pour protéger un gouvernement illégitime contrôlé par l’armée et une transition politique complètement grotesque ».
De la poudre aux yeux
Des « militants pour la démocratie » américains et britanniques jouent un rôle essentiel dans la défense de la Birmanie.
En mai, le Département d’État américain a publié sa Déclaration sur le climat des investissements pour la Birmanie, développée dans le but « d’aider les investisseurs américains en les informant des décisions en matière d’investissements ».
Le rapport met en avant les « intérêts du secteur international des affaires en Birmanie et les opportunités uniques représentées par le pays – à savoir des ressources naturelles riches, un fort potentiel en termes de marché, une main-d’œuvre jeune et un emplacement stratégique entre l’Inde, la Chine et les pays à l’origine de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) ».
Le rapport du Département d’État insiste sur l’importance, pour Myamae, de poursuivre les « réformes économiques » néolibérales visant à inciter les investisseurs étrangers à investir dans le pays.
Plutôt que de reconnaître la culpabilité de la junte, le document fait brièvement mention de « violences politiques », jugées « neutres » et comparées à des « activités organisées par des insurgés à l’encontre du gouvernement dans divers lieux » et « des violences intercommunales … entre les bouddhistes et les musulmans ».
Un rapport rédigé par le Département du Commerce et des investissements du gouvernement britannique (UKTI) fait référence aux mêmes éléments : « d’après les estimations, la Birmanie dispose de 3,2 milliards de barils de pétrole et de 18 billions de pieds cubes (tcf) de réserves de gaz naturel… Les ressources non identifiées du pays peuvent être encore plus importantes ».
Avec ses ressources, la Birmanie figure « parmi les cinq plus grandes nations du monde en termes de ressources établies ».
Selon le journal The Economist, « les experts étrangers du secteur pétrolier » estiment que « les ressources de la Birmanie se situent au même niveau que les ressources britanniques en Mer du Nord avant leur exploitation, ou les ressources actuelles du Brésil ».
Les leaders américains, britanniques, australiens et européens du secteur pétrolier ont obtenu des contrats grâce à la junte, parmi eux BG Group et Ophir (Royaume-Uni) ; Shell (Royaume-Uni-Pays-Bas) ; Statoil (Norvège) ; Chevron et Conoco Phillips (États-Unis) ; Woodside (Australie) ; Eni (Italie) et Total (France).
La plupart de ces contrats – en particulier ceux impliquant Chevron, Ophir, Woodside, et Eni – sont des initiatives mêlant production et partage dans le bassin d’Arakan, situé ur la côte de l’État d’Arakan où les musulmans de la population locale Rohingya sont menacés d’extinction.
Mais l’ardeur de l’Occident, à utiliser les ressources énergétiques inexploitées de la Birmanie, est également partagée par la Chine.
« Extraire la Birmanie de la sphère d’influence de la Chine est un point qui fut abordé à Washington dans la mesure où le pays représente une importante aubaine diplomatique pour la présence des États-Unis en Asie » explique Hunter Marsten, un ancien agent du Département d’État basé à Rangoun, en Birmanie. « L’objectif des États-Unis est d’empêcher la Chine d’étendre son influence régionale… afin de préserver le statu quo et l’architecture mis en place pour la sécurité par les États-Unis et l’Europe ». C’est la « raison pour laquelle les États-Unis se sont abstenus de critiquer les manquements de la Birmanie… Les États-Unis ont besoin d’un partenaire démocratique “suffisamment efficace” en Birmanie pour former un rempart contre la frontière stratégique du sud de la Chine avec l’Inde ».
Complicité du Golfe
L’accroissement des investissements occidentaux dans le secteur pétrolier en Birmanie fait donc partie intégrante d’une stratégie plus vaste visant à limiter l’influence de la Chine.
Le gazoduc Chine-Birmanie construit l’année dernière fournit le premier accès terrestre vers la Chine pour le pétrole et le gaz en provenance du Moyen-Orient. Il est capable de satisfaire pas moins de 0,5 % de la demande mondiale en pétrole.
L’Arabie saoudite est un acteur clé du gazoduc de Birmanie. En 2011, la société saoudienne Aramco a signé un mémorandum d’accord l’engageant à fournir à la Chine 200 000 barils de brut par jour via le gazoduc Chine-Birmanie. En retour, la Chine devra faciliter le développement de la raffinerie saoudienne de Yanbu sur la côte de la mer Rouge.
Un gazoduc similaire a, depuis 2014, transporté quatre milliards de mètres cubes de méthane depuis la Birmanie et le Qatar vers la Chine via le port maritime de Kyaukpyu dans l’État d’Arakan. Ce dernier est « devenu une plate-forme opérationnelle dans le cadre d’investissements de plusieurs milliards de dollars par Daewoo International, qui dispose de concessions pétrolières en mer, et de China National Petroleum Co. [CNPC] », selon Simon Montlake, responsable du bureau Forbes de Pékin.
Daewoo, une entreprise sud-coréenne, est présente à Kyaukpya grâce à un partenariat avec la société australienne Woodside.
Ce n’est pas par hasard que les lieux par lesquels passe le gazoduc dans les États d’Arakan et Shan en Birmanie ont été le théâtre de conflits fréquents entre les sécessionnistes et les forces gouvernementales, dans le cadre d’efforts visant à prendre le contrôle des routes utilisées pour le transport de l’énergie.
Ces efforts englobent la purification ethnique des communautés Rohingya implantées sur la côte de Kyaukpyu, dans l’État d’Arakan.
« Une grande partie de l’attention fut portée au parcours diagonal du gazoduc au cœur de la Birmanie et au rôle des militaires en charge de le sécuriser», signale Forbes.« Mais des inquiétudes subsistent quant à l’impact sur Kyaukpyu et sur les autres zones côtières ».
Simon Montlake fait référence à l’expulsion du peuple Rohingya de la ville côtière en octobre 2012. Les images satellites publiées par Human Rights Watch « identifient la communauté menacée comme vivant sur la côte est, à proximité des zones industrielles où CPNC et Daewoo investissent ».
D’après les dires d’Anne Gillman, de l’Agence du commerce international du Département du Commerce des États-Unis, l’Occident et les pays du Golfe voient la Birmanie comme un point d’entrée économique clé vers l’Asie.
Ils souhaitent « utiliser les terres birmanes pour la sécurité alimentaire ». L’Arabie saoudite, par exemple, souhaite exporter ses « activités axées sur les produits chimiques et les fertilisants agricoles » en Birmanie.
La société Ooredoo, au Qatar, a déjà investi des milliards de dollars dans le secteur de la télécommunication en Birmanie. Et depuis octobre 2012 - alors qu’un quart du territoire Rohingya de Kyaukpyu a été décimé - Qatar Airways a récompensé la Birmanie en proposant des vols directs de Doha à Rangoun.
Cette année, le conglomérat al-Marwan des Émirats arabes unis a également cherché des contrats visant à « construire une infrastructure routière et des hôtels tout en développant les services commerciaux et maritimes du pays ».
La fin causée par la croissance
Les ouvriers agricoles, soit une moitié de la population, privés de plus en plus de leurs droits, paient le prix de la croissance économique durable, d’environ 8,5 % à ce jour.
Les réformes économiques ont été synonymes de « déplacements, violations des droits de l’homme et de mécontentement social. Tous ces éléments ont remis la transition démocratique du pays en question », écrit David Baulk dans Foreign Policy.
Plus simplement, la croissance n’a pas eu les effets escomptés, mais a bénéficié à une minorité au détriment de la majorité, ce qui a entraîné des tensions ethno-religieuses.
Entre-temps, la lutte pour les ressources birmanes a offert à la junte l’impunité dont elle avait besoin pour accélérer le génocide du peuple Rohingya.
- Nafeez Ahmed est journaliste d’investigation et auteur à succès. Titulaire d’un doctorat, il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale, examinant ce qu’il appelle les « crises de civilisation ». Il a obtenu une récompense de la part de l’organisation Project Censored dans la catégorie « Outstanding Investigative Journalism » (« journalisme d’investigation d’exception ») pour un reportage d’investigation, publié par le journal The Guardian, sur l’intersection des crises globales de nature écologique, énergétique et économique et des conflits et géopolitiques régionales. Il a également écrit pour The Independent, Sydney Morning Herald, The Age, The Scotsman, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, Prospect, New Statesman, Le Monde diplomatique et New Internationalist. Son travail sur les causes profondes et les opérations secrètes liées au terrorisme international a officiellement contribué à l’établissement de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis du 11 septembre 2001 et à l’enquête du Coroner sur les attentats du 7 juillet 2005 à Londres.
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Photo: Des femmes Rohingya dans l'Etat Kachin (AFP).
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