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Le Hezbollah et les enjeux de la puissance

Selon de nombreux analystes, une nouvelle guerre est inéluctable entre Israël et le Hezbollah. Une guerre bien plus violente que le dernier affrontement en 2006, et aux conséquences imprévisibles

Le Hezbollah, organisation politico-militaire chiite libanaise créée en 1982 pour lutter contre Israël, a toujours été un facteur de nuisance pour ce dernier. Près de dix ans après le conflit qui les a opposés en 2006, le « parti de Dieu » est devenu un acteur majeur au Moyen-Orient, avec un degré de puissance et d’influence bien plus important que beaucoup d’États dans la région.

La Syrie, école militaire du Hezbollah

La complication de la guerre civile syrienne, entre rebelles, armée gouvernementale et Daech, s’est révélée être un terrain très favorable aux combattants du Hezbollah qui étaient habitués aux techniques de la guérilla et des affrontements en milieux urbains, là où l’armée régulière syrienne et les Gardiens de la révolution islamique n’étaient formés qu’à la traditionnelle guerre conventionnelle. 

En plus de la technique militaire et de l’avantage stratégique du positionnement du Hezbollah en Syrie, la milice libanaise a considérablement modernisé son équipement et grossi son arsenal grâce à la guerre en Syrie

Les années d’intervention de la milice libanaise en territoire syrien ont été marquées par un lourd bilan humain, avec le décès de plus de 1 500 combattants depuis 2011 ainsi que de nombreux hauts cadres de l’organisation, à l’image du commandant Imad Moughniyah, assassiné par les services de renseignement israéliens dans l’explosion d’une voiture piégée à Damas

Cependant, par le biais des nombreuses batailles livrées en Syrie, notamment dans le sud, le Hezbollah a pu prendre position le long de la frontière avec Israël, sur le plateau du Golan occupé. 

En plus des objectifs stratégiques, le parti de Dieu a considérablement gagné en expérience militaire. Déjà formée à la guérilla urbaine, la milice s’est perfectionnée et a, cette fois, acquis une expérience militaire offensive, capable de planifier et de mettre en œuvre la conquête de vastes territoires.

Des milliers de personnes assistent aux funérailles du commandant du Hezbollah Moustapha Badreddine, assassiné en Syrie, dans le quartier de Ghobeiry à Beyrouth en mai 2016 (AFP)
Enfin, le Hezbollah a maintenant la maîtrise géographique et logistique de son approvisionnement en arme et matériel. L’Iran, du fait de son influence, a un droit de passage quasi absolu en territoire irakien et le Hezbollah, fort de son soutien apporté au régime de Bachar al-Assad, peut récupérer directement la marchandise en territoire syrien. Il est désormais bien plus difficile de mettre fin à cette chaîne d’approvisionnement du fait de l’ampleur du territoire syrien et d’une plus grande zone d’influence du Hezbollah dans le pays.

En somme, en plus de la technique militaire et de l’avantage stratégique du positionnement du Hezbollah en Syrie, la milice libanaise a considérablement modernisé son équipement et grossi son arsenal grâce à la guerre en Syrie.

De la résistance à Israël à l’oppression des rebelles syriens

Si, d’un point de vue militaire, le Hezbollah a gagné en puissance, l’organisation s’est affaiblie d’un point de vue politique. La popularité dont jouissaient le parti politique et son chef dans le monde arabe étaient immense.

Si, d’un point de vue militaire, le Hezbollah a gagné en puissance, l’organisation s’est affaiblie d’un point de vue politique

En 2008, selon le quotidien israélien Haaretz, Hassan Nasrallah était  l’homme le plus populaire du monde arabe. Le secrétaire général du Hezbollah avait déclaré, à la fin de la guerre de 2006 contre Israël, que celle-ci était une victoire pour la Oumma (la communauté musulmane) – discours habile qui voulait transcender le caractère exclusivement chiite du mouvement. 

Or, la décision de participer à la guerre en Syrie et de soutenir le régime de Bachar Al-Assad a mis à mal la justification de l’existence de son volet militaire, qui n’avait initialement pour but que de résister à Israël. 

Les critiques virulentes à l’encontre du Hezbollah se sont multipliées, les détracteurs accusant notamment le mouvement de n’être que le vassal du guide suprême d’Iran, et d’être à son tour tombé dans ce mal qui ronge le Moyen-Orient, à savoir la guerre fratricide que se livrent sunnites et chiites.

Bien que le Hezbollah ait tenté de justifier son intervention en Syrie en disant qu’il combattait seulement l’État islamique, pour le monde arabe, majoritairement sunnite et opposé à Bachar al-Assad, dorénavant le Hezbollah est associé au dictateur syrien et à ses exactions.

Le Hezbollah a multiplié les ententes avec le Hamas et le Jihad islamique palestiniens, notamment pour tenter de rééquilibrer son image auprès des sunnites, mais il faudra un certain temps – et la fin totale de la guerre en Syrie – pour que cela puisse éventuellement porter ses fruits.

En plus de perdre sa popularité, la milice libanaise s’est fait de nouveaux ennemis du fait de son nouveau statut régional. En mars 2016, les six monarchies du Conseil de coopération du Golfe ont déclaré le Hezbollah organisation terroriste. La milice libanaise est tout particulièrement dans le collimateur de Mohammed ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite, comme en témoigne la démission forcée du Premier ministre libanais Saad Hariri à Ryad. Hariri a clairement cité le Hezbollah et a fustigé l’organisation lors de son discours de démission, accusant le groupe de source d’instabilité pour le pays et la région (un discours probablement dicté par Ryad).

À LIRE : La dernière carte de l’Arabie saoudite au Liban : se servir d’Israël pour frapper le Hezbollah

La désolidarisation de plusieurs pays arabes couplée au contrôle de la frontière israélo-syrienne ont fait dire à de nombreux analystes qu’une nouvelle guerre était inéluctable entre les deux protagonistes. À ceci près qu’elle serait totalement différente, bien plus violente que le dernier affrontement en 2006.

Pourquoi une guerre entre Israël et le Hezbollah semble inévitable ?

Les autorités israéliennes ont été divisées dès l’implication du Hezbollah quant à savoir s’il fallait laisser faire ou intervenir. En effet, d’aucuns craignaient la montée en puissance de la milice, tandis que d’autres y voyaient l’affaiblissement de l’organisation du fait des nombreuses pertes militaires que susciterait probablement le conflit dans les rangs du parti de Dieu.

Le contexte international d’isolement du Hezbollah, sur fond de tensions entre chiites et sunnites, est une garantie pour Israël d’effectuer une intervention lourde sans aucune pression de la part des dirigeants et de la rue arabes

 C’est finalement le courant qui misait sur l’affaiblissement du Hezbollah qui l’a emporté. Cette erreur d’appréciation amène Israël dans une tout autre situation géopolitique aujourd’hui. Outre sa frontière nord, Israël se retrouve confronté à la présence de combattants du Hezbollah et de conseillers militaires iraniens à sa frontière nord-est avec la Syrie.

 À ce titre, le ministre israélien de la Coopération régionale, Tzachi Hanegbi, proche de Netanyahou, a déclaré que voir l’Iran aux frontières [d’Israël] serait un casus belli. En septembre dernier, Israël organisait le plus grand exercice militaire de ces vingt dernières années, réunissant 10 000 soldats dix jours durant dans une simulation de guerre contre le Hezbollah.

De la fumée s’élève du village syrien de Jubata al-Khashab sur le plateau du Golan annexé par Israël, le 10 septembre 2016 (AFP)

Le contexte international d’isolement du Hezbollah, sur fond de tensions entre chiites et sunnites, est une garantie pour Israël d’effectuer une intervention lourde sans aucune pression de la part des dirigeants et de la rue arabes.

À quoi ressemblerait la prochaine guerre entre Israël et le Hezbollah ?

En 2006, l’armée israélienne avait la supériorité du fait de sa domination aérienne sans partage et de la maîtrise des côtes par la marine militaire. Or, l’acquisition par le Hezbollah des missiles antinavires Yakhont et du système antiaérien russe SA-17 a changé la donne. Ces systèmes confèrent au Hezbollah la capacité de contester la supériorité aérienne et navale d’Israël.

De plus, depuis 2006, l’arsenal balistique du Hezbollah a considérablement augmenté : le groupe possède entre 100 000 et 150 000 missiles de courte, moyenne et longue portée. Les analystes estiment que le Hezbollah pourrait tirer plus de 1 000 missiles par jour en cas de conflit avec Israël, ce qui empêcherait le système de défense antibalistique israélien Arrow de fonctionner à pleine capacité.

Cinq années de guerre sur le théâtre syrien en plus de l’entraînement initial donné par les Gardiens de la révolution islamique ont fait du Hezbollah l’une des armées de terre les plus expérimentées de la région

Privée d’une sécurité totale aérienne et maritime, en cas de conflit, l’armée israélienne n’aurait d’autre choix que de tout miser sur les opérations au sol. Or, cinq années de guerre sur le théâtre syrien en plus de l’entraînement initial donné par les Gardiens de la révolution islamique ont fait du Hezbollah l’une des armées de terre les plus expérimentées de la région, tandis que le gros de l’armée israélienne est composé d’appelés dont la plupart ont passé leur service militaire à tenir des check-points en territoire palestinien.

Quant aux soldats de métier de l’armée israélienne, ils appartiennent à une génération qui n’a pas vécu les grandes guerres israélo-arabes et qui n’a connu comme opération militaire de grande envergure que celle contre le Hezbollah en 2006. Pour rappel, ces mêmes soldats d’élites entrés au Sud Liban avaient été confrontés à de violents accrochages près du village d’Ayta ash-Shab. À cette occasion le Hezbollah s’était battu à un contre dix et avait mis en échec l’armée israélienne, qui avait perdu neuf soldats et n’était jamais parvenue à prendre le village.

À LIRE : L’Iran en Syrie : le dilemme d’Israël au nord

Entre temps, l’écart des équipements technologiques s’est considérablement resserré, comme en témoigne l’utilisation de drones de combat par le Hezbollah en Syrie.

Enfin, la construction de remparts à la frontière israélo-libanaise pour empêcher les combattants du Hezbollah d’atteindre le nord d’Israël laisse présager la nature différente que pourrait prendre la guerre entre les deux protagonistes.

Si Netanyahou a déclaré qu’il ne fera plus de distinction entre le Liban et le Hezbollah, Nasrallah a prévenu qu’il pourrait ordonner à ses combattants d’entrer en territoire israélien. On assisterait alors certainement à un conflit loin du schéma de 2006, beaucoup plus violent et aux conséquences imprévisibles.

- Anas Abdoun est un analyste géopolitique spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Il a publié de nombreuses analyses sur les enjeux internationaux au Moyen-Orient. Il est également contributeur régulier auprès de nombreux sites spécialisés en analyse prospective et en risque politique, tel que Global Risk Insight.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : char et combattants du Hezbollah dans le sud de la Syrie (AFP).

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