L’alliance israélo-saoudienne bat les tambours de guerre
Ces derniers jours, les tambours de guerre se sont emballés au Moyen-Orient. L’Arabie saoudite a provoqué une crise nationale et internationale afin de permettre au prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) de concrétiser sa vision grandiose de l’État saoudien.
Au niveau national, MBS a soudainement créé une commission anticorruption et, en l’espace de quatre heures, celle-ci a ordonné l’arrestation de certains des princes les plus haut placés du royaume, y compris quatre ministres en poste et le fils d’un ancien roi.
Le plus connu d’entre eux, également l’un des hommes les plus riches au monde, est Al-Walid ben Talal.
Sous la contrainte
Quelques heures plus tôt, après avoir été convoqué en Arabie saoudite pour des réunions, le Premier ministre libanais Saad al-Hariri a déclaré à un auditoire saoudien qu’il quittait ses fonctions en raison de « menaces de mort » à son encontre.
Pourquoi le Premier ministre d’un pays démissionnerait-il dans la capitale d’une nation étrangère ? Cela reste inexplicable.
Après avoir perdu au Yémen et en Syrie, Mohammed ben Salmane semble vouloir faire une troisième tentative, transformant le Liban en un match de football politique en vue d’égaliser le score avec ses ennemis étrangers
La couverture médiatique de la déclaration de Hariri a évoqué sa manière hésitante de parler face à la caméra et ses coups d’œil hors-champ, indiquant que sa déclaration avait pu être écrite par d’autres et qu’il l’avait peut-être prononcée sous la contrainte.
Compte tenu des tactiques musclées de ben Salmane pour assurer son propre titre de prince héritier et de l’arrestation subséquente de dizaines d’éminents Saoudiens jugés pas assez loyaux à son égard, convoquer le chef d’un État vassal et lui présenter un ultimatum (démissionnez ou on coupe court, littéralement) lui ressemblerait assez.
Le rédacteur-en-chef de Middle East Eye, David Hearst, abonde dans ce sens : « Il est difficile de ne pas conclure que, lorsqu’il a quitté le Liban, Hariri n’avait pas l’intention de démissionner, qu’il ne savait pas qu’il démissionnerait et que sa démission lui a été imposée par les Saoudiens. »
Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a fait référence à Hariri comme « notre Premier ministre » dans son propre discours à la nation après la « démission » de ce dernier. Cela ne ressemble pas à un homme qui voudrait renverser Hariri. Le président libanais a annoncé qu’il n’acceptera pas la démission de Hariri tant que celui-ci ne sera pas revenu la présenter en personne.
En outre, l’Arabie saoudite a annoncé que Hariri ne retournerait pas au Liban en raison des menaces pesant sur sa vie. Quelque chose cloche.
Hariri et son défunt père ont tous deux acquis leur fortune grâce aux largesses saoudiennes. Ils doivent également leur rôle de premier plan dans la politique libanaise à la protection saoudienne.
L’assassinat de Rafiq Hariri en 2005 faisait suite à des menaces lancées contre lui par le président syrien Bachar al-Assad, ce qui explique en partie l’hostilité persistante entre le régime syrien et la famille royale saoudienne.
Cette hostilité était probablement le principal facteur ayant poussé l’Arabie saoudite à devenir le plus important financier des groupes d’opposition armés syriens, y compris certains des combattants les plus sanguinaires affiliés à l’État islamique (EI) et à al-Qaïda.
Le nouvel allié de MBS
Après avoir perdu au Yémen et en Syrie, Mohammed ben Salmane semble vouloir faire une troisième tentative, transformant le Liban en un match de football politique en vue d’égaliser le score avec ses ennemis étrangers. Malheureusement, la vie de Hariri, comme celle de son père avant lui, ne tient qu’à un fil. Cette fois, aux mains des Saoudiens et non plus des Syriens.
Le prince héritier saoudien semble désireux de faire monter d’un cran le conflit avec l’Iran. Mohammed ben Salmane, comme son nouvel allié, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, semble vouloir exploiter et manipuler l’hostilité envers un ennemi étranger afin de renforcer sa propre stature nationale.
Étant donné qu’il est déterminé à établir sa propre domination dans la politique intérieure saoudienne, un tel ennemi est très utile pour éloigner les rivaux.
Israël a réagi de même. Lundi, le ministère israélien des Affaires étrangères a envoyé un télégramme urgent à tous les diplomates pour leur demander d’afficher une ligne pro-saoudienne concernant la démission de Hariri. Le correspondant diplomatique de Haaretz, Barak Ravid, a tweeté le contenu du câble :
Traduction : 1 \ J’ai publié sur Channel 10 un câble envoyé aux diplomates israéliens demandant de faire pression en faveur des Saoudiens|Hariri et contre le Hezbollah http://news.nana10.co.il/Article/?ArticleID=1272790&sid=126 … – Barak Ravid (@BarakRavid)
Cela indique qu’Israël et l’Arabie saoudite développent le genre de relation « no daylight » (c’est-à-dire sans le moindre désaccord apparent) que les dirigeants israéliens avaient l’habitude de promouvoir avec leurs homologues américains. Avec leur puissance militaire et leur richesse pétrolière, ces deux pays pourraient constituer un produit hautement inflammable.
MBS a peut-être aussi appris une autre leçon auprès d’Israël : il est vain de chercher l’aide de puissances extérieures pour mener de tels conflits. Il a vu Netanyahou passer des années à supplier en vain deux présidents américains de le rejoindre dans une aventure militaire contre l’Iran.
La nouvelle alliance de Netanyahou avec l’Arabie saoudite pourrait fournir l’élan militaire dont il a besoin pour mener à bien une série d’attaques contre ses ennemis régionaux.
Netanyahou a désespérément besoin de détourner l’attention. Une guerre contre le Liban est justement ce qu’il lui faut
Les Saoudiens et les Israéliens ont observé avec tristesse l’accord nucléaire de l’ancien président américain Barack Obama, négocié en dépit de l’opposition virulente de Netanyahou, qui a ôté cette carte de leur jeu politique. Netanyahou avait joué cette carte pendant des années en menant l’opposition au prétendu programme nucléaire iranien.
Il était furieux de ne plus pouvoir l’utiliser pour neutraliser les contestations politiques intérieures ou invoquer une crise nationale.
Au cours des derniers mois, les deux pays ont perdu une autre « carte » régionale essentielle : leurs alliés islamistes syriens ont plié sous l’assaut conjoint du régime syrien et de ses soutiens irano-russes.
Quelques années plus tôt, Netanyahou s’était joint à l’Arabie saoudite pour intervenir en Syrie, attaquant des installations militaires associées à l’Iran ou au Hezbollah. Il a poursuivi cette politique en tant que moyen de dissuasion, pour réduire l’arsenal dont disposeraient les islamistes libanais lors de la prochaine guerre avec Israël, et pour renforcer son image de garant de la sécurité aux yeux des Israéliens obsédés par la sécurité.
Mais alors que la guerre civile en Syrie approche de sa fin et que les intermédiaires de l’Arabie saoudite et d’Israël dans le pays ont échoué, Netanyahou ne peut plus agiter l’épouvantail syrien devant les électeurs israéliens. Il est en outre confronté à quatre scandales de corruption majeurs. Et un nombre grandissant de ses plus proches confidents sont happés par l’enquête policière le concernant.
Netanyahou a désespérément besoin de détourner l’attention. Une guerre contre le Liban est justement ce qu’il lui faut. Cela ferait des merveilles pour unir le pays juste assez longtemps pour voir les charges contre lui s’évaporer.
Cependant, il y aura une grande différence dans cette guerre à venir : l’Arabie saoudite se joindra à cette lutte spécifiquement pour faire un œil au beurre noir à l’Iran. Donc attaquer le Liban ne sera qu’une partie de son plan, attaquer directement l’Iran sera le véritable objectif saoudien.
Avec l’adhésion d’Israël à cette lutte, les deux États pourraient mener une guerre régionale avec des attaques lancées contre des cibles au Liban, en Syrie et en Iran, suscitant éventuellement des contre-attaques contre l’Arabie saoudite, Israël et les États du Golfe.
Ennemi étranger
Comme je l’ai mentionné ci-dessus, MBS semble avoir appris une leçon politique critique auprès de son allié israélien : il vous faut un ennemi étranger afin d’instiller la peur dans votre électorat national. Vous devez faire de cet ennemi une force menaçante, inquiétante, œuvrant pour le mal dans l’univers.
C’est l’une des raisons pour lesquelles MBS intervient dans la guerre civile au Yémen. Bien que le massacre perpétré par les Saoudiens ait provoqué une famine massive et une épidémie, MBS a réussi à invoquer les schismes musulmans afin de dépeindre l’Iran comme « l’agresseur » et une menace pour les intérêts saoudiens.
À LIRE : Pile, l’Arabie saoudite perd. Face, l’Iran gagne
Plus récemment, il a déclaré que ses voisins du Qatar étaient persona non grata pour ne pas avoir suffisamment soutenu les Saoudiens contre l’Iran. Dans l’esprit de MBS, vous êtes avec lui ou contre lui. Il n’y a pas de terrain d’entente.
Heureusement, la majeure partie du reste de la race humaine cherche ce terrain d’entente.
Ceux qui évitent les compromis deviennent des dictateurs ou des fous comme Adolf Hitler, Staline, Mao ou Pol Pot. Cela semble être la direction qu’emprunte le prince saoudien.
Au Liban, sa stratégie semble être de provoquer une crise politique et financière. L’Arabie saoudite apporte un énorme soutien financier et commercial au Liban.
Avec l’adhésion d’Israël à cette lutte, les deux États pourraient mener une guerre régionale avec des attaques lancées contre des cibles au Liban, en Syrie et en Iran, suscitant éventuellement des contre-attaques contre l’Arabie saoudite, Israël et les États du Golfe
MBS semble croire que s’il retire ce soutien, cela forcera les Libanais à maîtriser le Hezbollah. Comment les Libanais sont censés restreindre un mouvement politique qui est l’un des plus grands et des plus populaires dans le pays reste toutefois obscur.
Le prince saoudien tente la stratégie même qui a échoué jusqu’à présent avec le Qatar. Là, il a décrété un boycott. Il a armé tous les États qui comptaient sur lui pour obtenir des largesses afin qu’ils se joignent au blocus. Les frontières ont été fermées. Les vols ont été annulés. Le commerce a été arrêté.
Mais au lieu de plier, les Qataris (avec les encouragements de l’Iran sans aucun doute) ont porté leur cause devant le monde et ont riposté. Ils ne montrent aucun signe indiquant qu’ils plieront.
Le facteur russe
On ne sait pas comment les Saoudiens pensent que MBS va forcer un État beaucoup plus grand et lointain comme le Liban à se soumettre. Il peut fermer les vannes et décréter un boycott. En effet, Bahreïn, l’un des États vassaux saoudiens, a ordonné à ses citoyens de rentrer du Liban et a décrété une interdiction de voyager similaire à celle concernant le Qatar.
Tout cela ne fera que renforcer le jeu du Hezbollah. Cela servira également d’invitation tacite pour l’Iran à jouer un rôle beaucoup plus important au Liban. Tout vide sera comblé.
Il y a une puissance encore plus grande qui se profile derrière tout cela : la Russie. L’impasse en Syrie entre les rebelles financés par l’Arabie saoudite et Assad a permis à Poutine d’intervenir de manière décisive et d’agir sur l’issue de ce conflit. Si Poutine perçoit une stratégie saoudienne similaire au Liban, je vois peu de raisons pour que l’Iran et la Russie ne s’associent pas de la même manière pour soutenir leurs alliés sur le terrain.
Il est intéressant de noter que le roi Salmane a effectué la première visite d’un membre de la famille royale saoudienne à Moscou le mois dernier et s’est entretenu avec Vladimir Poutine.
N’aimeriez-vous pas savoir de quoi ils ont parlé ? Cela devait certainement impliquer la Syrie et le Liban, car ce sont les deux pays où les intérêts saoudiens sont en conflit, ou potentiellement en conflit, avec ceux de la Russie.
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Peut-être le roi saoudien a-t-il prévenu Poutine de ne pas profiter du chaos au Liban comme il l’a fait en Syrie. Je doute que Poutine soit très intimidé compte tenu de l’échec saoudien en Syrie.
Les actions futures de la Russie seront déterminées par ce que Poutine pressent qu’il a à gagner s’il devait prendre parti pour le Hezbollah et l’Iran dans un futur conflit au Liban.
Il est important de se rappeler qu’à l’époque de l’Union soviétique, alors que les États-Unis étaient une force dominante dans la région, Moscou a soutenu la plupart des États arabes en première ligne dans leur conflit avec Israël.
Poutine est connu pour chercher à restaurer l’ancienne gloire qu’était l’empire soviétique. Sans aucun doute, cela ne manquerait pas de lui permettre de mettre au point un véritable retour de la Russie au pouvoir au Moyen-Orient.
Les stratèges militaires à Riyad et à Tel Aviv
Israël est le principal problème ici. Il borde le Liban et y a mené deux grandes guerres, ainsi qu’une occupation ratée de vingt ans dans le sud. Le Hezbollah est l’ennemi juré d’Israël et l’Iran, le plus grand soutien du mouvement, est aussi l’un des principaux adversaires d’Israël.
Les Saoudiens ont les moyens financiers de soutenir un conflit prolongé au Liban (ils ont également dépensé 1 milliard de dollars pour soutenir la campagne de sabotage d’Israël contre l’Iran). Ils peuvent être plus que disposés à financer une autre invasion israélienne.
Mohammed ben Salmane, comme son nouvel allié, semble vouloir exploiter et manipuler l’hostilité envers un ennemi étranger afin de renforcer sa propre stature nationale
Pour leur part, les Saoudiens pourraient vouloir créer un nouveau gouvernement libanais bricolé par des collaborateurs et des politiciens achetés, tout en écartant le Hezbollah du pouvoir politique.
L’histoire des interventions israéliennes est remplie de ce type de constructions politiques trompeuses. En Cisjordanie, les Israéliens créèrent des « conseils de village ». Au sud du Liban, ils créèrent l’Armée du Liban Sud. Et en Syrie, ils ont financé les rebelles d’al-Nosra combattant le régime dans le plateau du Golan.
On ne peut qu’espérer que les stratèges militaires de Riyad et de Tel Aviv ne soient pas assez fous pour envisager un tel scénario. Mais étant donné l’histoire horrible du Liban et son rôle d’agneau sacrificiel dans les conflits entre grandes puissances, on ne peut l’exclure.
Enfin, les États-Unis, qui ont joué un rôle décisif dans la prévention d’une attaque israélienne contre l’Iran pendant des années, sont maintenant dirigés par un président qui est très entiché d’Israël et de l’Arabie saoudite.
La première visite à l’étranger de Trump en tant que dirigeant du pays était en Arabie saoudite. Ses relations chaleureuses avec Netanyahou et son soutien aux politiques les plus extrêmes d’Israël sont également bien connues. Personne ne devrait s’attendre à ce que cette administration restreigne les Saoudiens ou les Israéliens. Si Washington devait agir, il choisirait au contraire de les provoquer.
- Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006, A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (Reuters).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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