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Les attaques iraniennes ont exposé la faiblesse d’Israël

Les frappes menées ce week-end par l’Iran ont montré qu’Israël avait besoin des autres pour se défendre et qu’il n’était pas libre de choisir comment riposter
Un missile est lancé lors d’un exercice militaire à Ispahan, en Iran, le 28 octobre 2023 (Reuters)

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou savait exactement ce qu’il faisait lorsqu’il a ordonné l’attaque du consulat iranien à Damas le mois dernier, lors de laquelle a été tué le plus haut gradé iranien, le général de brigade Mohammad Reza Zahedi, entre autres commandants du corps des Gardiens de la révolution islamique.

Cette attaque allait bien au-delà des tactiques actuelles consistant à limiter le flux d’armes vers le Hezbollah libanais ou à repousser les groupes soutenus par l’Iran loin de la frontière nord d’Israël.

Il s’agissait d’une tentative visant à éliminer les dirigeants iraniens en Syrie.

Après six mois, la guerre à Gaza tourne mal. Les forces terrestres israéliennes font face à une résistance palestinienne obstinée qui ne montre aucun signe de capitulation ou de fuite face à l’ampleur biblique des destructions et aux souffrances réelles de son peuple.

Au contraire, l’humeur des combattants du Hamas s’est raffermie. Ils ont le sentiment d’avoir survécu au pire et de n’avoir rien à perdre. Les habitants de Gaza ne se sont pas retournés contre eux et l’occupation de Rafah, affirment-ils, ne changeraient rien pour eux. Ils méprisent Israël en comptant leurs forces en bataillons. Après un tel assaut, ils disposent d’une réserve illimitée de recrues et d’armes.

Plusieurs messages

Alors que l’offensive israélienne à Gaza s’enlise, l’opposition au leadership de Netanyahou va croissante et il existe une réelle pression pour qu’un accord qui permettrait de ramener les otages vivants soit conclu.

Les divergences avec son principal soutien, le président américain Joe Biden, sont désormais exposées au grand jour et Netanyahou perd rapidement l’opinion mondiale. Israël, sous sa direction, est devenu un État paria.

Une fois de plus, Israël a dû jouer le rôle de la victime, afin d’entretenir le mythe selon lequel il se bat pour son existence. Quel meilleur moment pour Netanyahou, le joueur, de lancer les dés et attaquer un consulat iranien, sachant très bien ce que cela signifiait ?

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Les États-Unis savaient également ce que faisait Netanyahou, c’est-à-dire tenter d’entraîner l’Amérique dans une attaque contre l’Iran pour au moins la troisième fois en quatorze ans. C’est pourquoi les États-Unis ont directement dit aux Iraniens qu’ils n’avaient rien à voir avec la frappe et qu’ils n’en avaient été informés que lorsque les avions étaient en vol.

L’Iran a pris son temps. Il a vu ce qui s’est passé au Conseil de sécurité, lorsqu’une déclaration rédigée par la Russie condamnant l’attaque du consulat s’est heurtée au veto des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. Il a ensuite déclaré qu’il ne frapperait pas Israël en cas de cessez-le-feu à Gaza. Ceci aussi a été ignoré. Ensuite, tous les pays occidentaux ont demandé à l’Iran de ne pas frapper Israël. Biden a donné un conseil aux dirigeants à Téhéran : « Ne le faites pas. »

Lorsqu’elle a eu lieu, l’attaque a été soigneusement chorégraphiée de manière à transmettre un certain nombre de messages aux États-Unis, à Israël et à la région arabe.

Téhéran voulait créer un précédent en montrant qu’il pouvait frapper directement Israël sans déclencher une guerre à grande échelle. Il voulait dire à Israël qu’il pouvait le frapper. Il voulait dire aux États-Unis que l’Iran était une puissance du Golfe qui n’était pas près de disparaître et qui contrôlait le détroit d’Ormuz. Il voulait dire à tous les régimes arabes qui se prosternent devant Israël que la même chose pouvait leur arriver.

Seule une poignée de roquettes ont atteint leur cible, mais chaque message envoyé a été transmis. L’attaque a donc été un succès stratégique et un revers pour la réputation d’Israël en tant que principal tyran du quartier.

La transmission de ces multiples messages a commencé avec la saisie par les Gardiens de la révolution d’un porte-conteneurs battant pavillon portugais, le MSC Aries, qui, selon l’agence de presse officielle IRNA, est géré par une société dont le président est le milliardaire d’origine israélienne Eyal Ofer.

Il a ensuite lancé des essaims de drones bon marché sur Israël et a donné à tout le monde huit heures pour se préparer. L’activation de ses systèmes de défense aérienne a coûté à Israël plus d’un milliard de dollars, a déclaré le général de brigade Reem Aminoach à Ynet News.

Le message adressé aux États-Unis est tout aussi puissant : l’Iran est prêt à attaquer Israël avec des missiles balistiques et à défier l’Occident, y compris un avertissement direct de Biden. Il pourrait faire la même chose contre n’importe quel allié des États-Unis dans la région du Golfe

Il s’agit probablement de la plus petite partie de l’addition.

On sait qu’au moins quatre pays ont aidé Israël à abattre les drones : les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Jordanie. Le cinquième est très probablement l’Arabie saoudite, car elle se trouvait sur la trajectoire entre le sud de l’Irak et Israël, et le sixième pourrait très bien avoir été l’Égypte.

Il s’agit d’un effort aérien défensif majeur que, comme certains Ukrainiens l’ont amèrement noté dimanche, ces mêmes pays ont choisi de ne pas leur fournir. Cela ne pourrait certainement pas être fait régulièrement.

En échange, l’Iran a utilisé 170 drones bon marché, tandis que 25 des 30 missiles de croisière ont été abattus par Israël. Ils constituaient le leurre. Les armes étaient des missiles balistiques et un petit nombre d’entre eux ont traversé les défenses israéliennes et touché la base aérienne de Nevatim, dans le sud d’Israël.

Le porte-parole de l’armée israélienne Daniel Hagari a déclaré que ces missiles avaient causé de légers dégâts structurels. Nous ne le saurons jamais, mais le message selon lequel l’Iran a la capacité de le frapper et d’atteindre ses cibles à distance, sans avoir à recourir au Hezbollah, à Ansar Allah (les Houthis) au Yémen ou à ses alliés en Irak, a été délivré à Israël.

Les armes utilisées étaient un échantillon gratuit de sa véritable puissance de feu. Après la frappe, l’Iran a averti les États-Unis que si Israël répondait de la même manière, leurs bases situées juste de l’autre côté de la mer dans le Golfe et à travers l’Irak deviendraient des cibles, comme elles l’ont été après l’assassinat de Qasem Soleimani, le chef de la Force al-Qods, en 2020.

Le message adressé aux États-Unis est tout aussi puissant : l’Iran est prêt à attaquer Israël avec des missiles balistiques et à défier l’Occident, y compris un avertissement direct de Biden. Il pourrait faire la même chose contre n’importe quel allié des États-Unis dans la région du Golfe. L’Iran ne veut pas de guerre, mais il est capable de riposter.

Donc, s’il ne veut pas de guerre, le message adressé aux États-Unis est qu’ils doivent retenir leur adolescent capricieux, Israël, l’enfant qui a été gâté par ses parents pendant si longtemps qu’il pense pouvoir faire à la région ce qu’il veut.

Bourdes de politique étrangère

Netanyahou se trouve désormais face à un dilemme. Il pourrait choisir de satisfaire l’extrême droite et lancer une contre-attaque écrasante contre l’Iran, mais il n’aurait pas l’aide des États-Unis pour ce faire. Et si cela ne se concrétisait pas, il pourrait trouver légèrement plus difficile de se frayer un chemin à travers l’espace aérien entre Tel Aviv et Téhéran.

Si Netanyahou attaque l’Iran, ses relations fragiles avec les États-Unis iront de mal en pis. Il ferait également face à une réelle opposition de la part de l’establishment de la défense et de la sécurité, ce qui l’a empêché de faire une chose similaire en 2010.

S’il ne fait rien, il paraît encore plus faible qu’il ne l’est déjà et cède du terrain à Benny Gantz, chef de l’opposition et membre du cabinet de guerre, qui a parlé dimanche d’une offensive diplomatique contre Téhéran, exactement la même formule que celle utilisée par les États arabes chaque fois qu’Israël leur a infligé une défaite militaire écrasante.

Les États-Unis constatent également que, pour la cinquième fois en trois décennies, un élément majeur de leur politique étrangère s’effondre entre leurs mains.

Des Jordaniens manifestent près de l’ambassade d’Israël à Amman, le 28 mars 2024 (AFP)
Des Jordaniens manifestent près de l’ambassade d’Israël à Amman, le 28 mars 2024 (AFP)

La décision de renverser les talibans en Afghanistan, l’invasion de l’Irak, le renversement de Mouammar Kadhafi en Libye, la tentative de renversement de Bachar al-Assad – tous ces désastres en matière de politique étrangère sont désormais surmontés d’un cinquième : la décision de soutenir l’invasion de Gaza par Israël.

Bien entendu, il leur faut du temps pour se rendre compte de l’ampleur de l’erreur de jugement qu’ils ont commise en soutenant Israël jusqu’au bout après l’attaque du Hamas le 7 octobre. Mais il leur a également fallu du temps pour prendre conscience de l’ampleur de l’erreur commise en envahissant l’Irak.

La déclaration du secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, devant le Congrès, selon laquelle les États-Unis n’ont aucune preuve qu’Israël commet un génocide à Gaza, rappelle étrangement le discours de Colin Powell à l’ONU, dans lequel il avait déclaré avoir des preuves des armes de destruction massive de Saddam Hussein. Le discours de Powell en 2003 a été un moment décisif dans la perte de crédibilité internationale des États-Unis. Depuis, elle s’effondre de plus en plus vite chaque année.

Powell a ensuite regretté ce qu’il avait dit. Austin est destiné, a posteriori, à faire de même.

Entraînés en enfer

Israël a maintenant entraîné ses soutiens dans un enfer dans lequel il n’y a ni paix ni même perspective de paix, pas de défaite du Hamas, pas de perspective d’un gouvernement d’après-guerre, une dissuasion amoindrie pour tous les autres groupes armés de la région et la perspective d’une guerre régionale de faible intensité sur toutes les frontières d’Israël simultanément.

La chose la plus stupide que les sources de sécurité israéliennes aient faite dimanche a peut-être été de se vanter publiquement de la coopération qu’elles ont obtenue de l’armée de l’air jordanienne, qui les a aidées à abattre les drones et les missiles de croisière.

Des sources israéliennes se sont vantées que des missiles dirigés vers Jérusalem avaient été interceptés du côté jordanien de la vallée du Jourdain et que d’autres avaient été interceptés près de la frontière syrienne.

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Le message qu’Israël voulait faire passer était qu’en dépit des apparences, il dispose d’alliés dans la région qui sont prêts à le défendre.

Mais c’est un jeu imprudent si Israël veut préserver en Jordanie une monarchie extrêmement faible, aux prises avec un raz-de-marée d’opinion publique désireuse de prendre d’assaut la frontière.

La Jordanie a peut-être montré deux visages dans le passé et le roi Hussein a bel et bien transmis des renseignements à son ami fumeur de cigare, l’ancien Premier ministre Yitzhak Rabin.

Mais à ma connaissance, c’est la première fois que l’armée jordanienne, qui porte encore son nom d’origine depuis la libération de l’Empire ottoman, l’« Armée arabe », s’est effectivement jointe au combat pour protéger les frontières d’Israël.

C’est une énorme erreur.

Alors que la population jordanienne, tant palestinienne que transjordanienne, acclamait ces missiles, l’armée jordanienne les abattait au nom d’Israël.

Israël n’a de relations qu’avec des dirigeants arabes qui défient la volonté de leur peuple et lui imposent leur gouvernance corrompue. Si l’action de la Jordanie samedi a peut-être apporté un secours à court terme à Israël, elle entraînera à long terme des troubles sur la plus longue frontière du pays.

Le roi Hussein a fait la paix avec ses ennemis, mais il avait suffisamment de fierté en tant que soldat pour ne jamais mener une bataille en leur nom. Nous tombons de plus en plus bas. Israël se réjouit peut-être d’avoir de véritables alliés, mais ce faisant, il sape fatalement la légitimité de ses amis.

L’Iran s’est fait comprendre et Israël s’en trouve affaibli.

C’est la première fois qu’il est attaqué directement par l’Iran qui, comme le Hamas, lui a donné l’impression qu’il n’était pas intéressé par la guerre. C’est également la première fois qu’Israël se voit interdire par Biden de riposter. Après une telle attaque, le tableau est sombre : Israël a besoin des autres pour se défendre et n’est pas libre de choisir comment riposter.

L’attaque laisse son protecteur, les États-Unis, à la recherche d’options politiques.

Toutes, pour le moment, semblent mauvaises.

David Hearst est cofondateur et rédacteur en chef de Middle East Eye. Commentateur et conférencier sur des sujets liés à la région, il se concentre également sur l’Arabie saoudite en tant qu’analyste. Ancien éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, il en a été le correspondant en Russie, en Europe et à Belfast. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

David Hearst is co-founder and editor-in-chief of Middle East Eye. He is a commentator and speaker on the region and analyst on Saudi Arabia. He was the Guardian's foreign leader writer, and was correspondent in Russia, Europe, and Belfast. He joined the Guardian from The Scotsman, where he was education correspondent.
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