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Guerre Israël-Palestine : l’Iran n’a pas besoin de cette guerre

Le conflit à Gaza présente deux risques potentiels pour Téhéran : celui d’une perte de crédibilité et celui de la destruction d’un allié régional clé
Le président iranien Ebrahim Raïssi au siège de l’ONU à New York, le 20 septembre 2023 (AFP)

La révolution islamique de 1979 en Iran a eu deux impacts majeurs sur le gouvernement et la nation : une prévalence des intérêts idéologiques sur les intérêts objectifs et matériels, et un soutien apporté aux mouvements islamiques, même au-delà du monde islamique. 

Or, au cours des quatre dernières décennies, Téhéran a choisi à plusieurs reprises le pragmatisme plutôt que l’idéalisme, en dernier lieu dans le cadre du conflit à Gaza.

Un mois et demi après le début de la guerre, Téhéran n’est pas directement entré dans le conflit et son allié libanais, le Hezbollah, n’a pas lancé de guerre à grande échelle contre Israël.

Certains discours dans les médias occidentaux prétendent que l’Iran a abandonné son allié palestinien. Il semblerait en réalité que l’objectif de Téhéran soit d’aider le Hamas à mettre fin à la guerre et à sauver sa peau.

Le conflit à Gaza comporte deux conséquences potentielles pour Téhéran, dont le plan consiste à les maîtriser en subissant le moins de dégâts possible. La première est le risque de perdre le Hamas, allié de l’Iran en Palestine. 

Le Hezbollah est un joyau de la couronne iranienne, mais compte tenu de la présence du Hamas dans les territoires palestiniens occupés, il constitue un acteur clé lorsqu’il s’agit de contenir Israël. 

Au début de la guerre, le guide suprême iranien Ali Khamenei a démenti tout rôle dans l’offensive du 7 octobre. Il a toutefois déclaré : « Nous baisons la main de ceux qui ont planifié l’attaque contre le régime sioniste. » Ces propos témoignent de la réticence de l’Iran à s’engager directement dans la guerre à Gaza.

Une influence régionale

La guerre par procuration est depuis des décennies la principale tactique déployée par l’Iran pour gagner en influence dans la région. La meilleure option pour l’Iran vis-à-vis du conflit à Gaza serait de s’appuyer sur un allié, plutôt que d’affronter directement Israël et potentiellement les États-Unis

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a déclaré que son pays ne souhaitait pas voir la guerre s’étendre. Il a toutefois ajouté : « La région est en ébullition et peut exploser à tout moment, ceci pourrait être inévitable. Si cela se produit, toutes les parties perdront le contrôle. » Les groupes armés au Liban, au Yémen, en Irak et en Syrie pourraient ouvrir de multiples fronts contre Israël, a-t-il prévenu.

L’ouverture de nouveaux fronts pourrait aider Téhéran en accentuant la pression sur Israël et en limitant sa capacité à lutter contre le Hamas. En parallèle, les bases américaines en Irak et en Syrie ont été ciblées à 55 reprises au cours du mois dernier, selon le Pentagone. Téhéran veut que Washington paie le prix de son soutien à Israël.

Ce risque d’escalade régionale permet également à Téhéran d’exercer une influence sur les États arabes voisins, dont beaucoup sont engagés dans d’ambitieux programmes de développement économique et ne souhaitent pas voir la guerre s’étendre.

L’Iran a choisi une présence indirecte plutôt qu’un engagement militaire dans la guerre à Gaza. Téhéran cherche à assurer la survie du Hamas

Dans le même temps, l’Iran s’appuie sur sa diplomatie, avec une tournée régionale organisée par Hossein Amir-Abdollahian pour rallier le soutien au peuple palestinien. Le président Ebrahim Raïssi s’est entretenu avec divers dirigeants régionaux et mondiaux. Il a notamment eu une conversation téléphonique avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, premier échange verbal entre les deux dirigeants depuis le rétablissement des liens bilatéraux. 

Raïssi a également participé ce mois-ci à un sommet extraordinaire des dirigeants arabes et musulmans à Riyad, effectuant ainsi la première visite de ce type dans le royaume depuis plus de quinze ans.

Tout cela intervient alors que la contestation mondiale s’intensifie et que la pression sur le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou pour qu’il démissionne s’accentue.

Un public divisé

La deuxième conséquence potentielle de la guerre à Gaza pour Téhéran serait une détérioration de l’image publique et de la crédibilité de l’Iran. Le message qui est actuellement transmis au monde est que l’Iran, chef de file de l’« axe de la résistance », a abandonné la Palestine et le Hamas, ce qui porte atteinte à sa crédibilité parmi les partisans de cet axe.

L’opinion publique dans le pays est divisée en trois catégories. La première est constituée de ceux qui ont formé le corps intellectuel ou exécutif des manifestations de 2022. Ce groupe, composé essentiellement de jeunes, s’est lassé du révolutionnarisme et n’accepte pas l’idéologie du régime. Certains pensent que l’Iran accorde plus d’importance à la cause palestinienne qu’aux intérêts nationaux et sacrifie ainsi la richesse nationale au profit de l’idéologie arabe.

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Les adversaires de la position du régime protestent même contre le déploiement du drapeau palestinien lors d’événements sportifs, signe de la polarisation croissante de la société iranienne sur cette question.

La deuxième catégorie comprend les fondamentalistes qui pensent que l’Iran n’a pas rempli son devoir révolutionnaire de « libérer » Jérusalem. Une campagne visant à recruter des Iraniens pour rejoindre le combat du Hamas à Gaza aurait attiré plus de trois millions de volontaires.

Le troisième groupe, soutenu par le régime, comprend les modérés qui pensent que l’Iran peut offrir une solidarité islamique et nationale en faveur des Palestiniens, mais ne doit pas envoyer de troupes pour rejoindre le combat.

L’Iran, de concert avec la Chine et la Russie, tente d’étayer l’idée que Washington n’a pas été en mesure d’accomplir son devoir de mettre fin à la guerre et qu’il est lui-même une source d’instabilité. Ce discours affirme que les États-Unis, par leur soutien partial à Israël, favorisent la guerre, tandis que l’« Orient » représente une force nouvelle pour une médiation neutre.

L’Iran a choisi une présence indirecte plutôt qu’un engagement militaire dans la guerre à Gaza. Téhéran cherche à assurer la survie du Hamas. Mais alors que l’on craint qu’il ne soit pas en mesure de contrôler tous ses intermédiaires régionaux, le risque que le conflit actuel ne dégénère en une guerre à plus grande échelle au Moyen-Orient demeure important. 

- Mohammad Salami est chercheur à l’International Institute for Global Strategic Analysis (IIGSA). La politique et la gouvernance, la sécurité et la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient, et en particulier la région du golfe Persique, font partie de ses domaines d’expertise.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mohammad Salami is a research associate at the International Institute for Global Strategic Analysis (IIGSA). His areas of expertise include politics and governance, security, and counterterrorism in the Middle East and especially the Persian Gulf region.
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