Israël-Palestine : les États-Unis marchent sur une corde raide qui pourrait conduire à une guerre régionale
Alors qu’Israël, avec le soutien des États-Unis, poursuit son offensive terrestre dans la bande de Gaza, la sécurité des bases et des intérêts américains au Moyen-Orient est de plus en plus surveillée en raison de la menace d’attaques provenant du Liban, de Syrie, d’Irak et du Yémen.
Le Pentagone a confirmé que les troupes américaines avaient été attaquées dix fois en Irak et trois fois en Syrie depuis le 17 octobre.
La veille, des responsables américains ont déclaré n’avoir reçu aucune indication que le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, avait donné l’ordre d’attaquer leurs forces dans la région. Cette incertitude accentue la complexité de la situation et déterminera la suite des événements pour les États-Unis.
Les États-Unis constituent jusqu’à présent le principal soutien d’Israël dans le conflit et ont dépêché des conseillers militaires, y compris des hauts responsables, tout en accélérant la livraison de systèmes de défense aérienne avancés non seulement à Israël, mais aussi à d’autres pays de la région.
Cette démarche s’inscrit dans le contexte d’informations faisant état de pressions exercées par les États-Unis sur Israël pour qu’il retarde son projet d’invasion terrestre de la bande de Gaza, afin que Washington soit prêt à faire face à toute extension du conflit.
Un autre élément clé qui pourrait déterminer la participation des États-Unis à la guerre est l’aggravation de la situation humanitaire à Gaza et le nombre élevé de victimes civiles.
« Scénario cauchemardesque »
La situation a même attiré l’attention de l’ancien président américain Barack Obama, qui a mis en garde contre la minimisation des souffrances des Palestiniens et l’éventualité de nouvelles répercussions.
Selon un dernier bilan, plus de 8 500 Palestiniens ont été tués dans les bombardements israéliens sur Gaza, dont pour la moitié au moins, des enfants. Au moins 1 400 Israéliens ont été tués le 7 octobre, lorsque des combattants palestiniens menés par le Hamas ont franchi la frontière entre Gaza et Israël.
Avec des milliers de victimes de part et d’autre, une invasion terrestre de Gaza risque d’entraîner une intervention des adversaires des États-Unis et mettre à rude épreuve les relations avec des alliés clés.
La Jordanie, en particulier, craint un « scénario cauchemardesque » à la suite de l’incursion à Gaza, alors que les appels à l’annulation du traité de paix avec Israël se font de plus en plus pressants.
Il s’agit là d’un défi pour Israël, mais aussi d’un dilemme pour Washington.
Les autorités américaines se préparent à une escalade potentielle sur de multiples fronts, notamment en ce qui concerne l’Iran et les groupes qu’il soutient au Liban et en Irak. Les récentes attaques contre les troupes américaines en Irak et en Syrie illustrent l’instabilité de la situation.
À l’heure actuelle, les États-Unis maintiennent une présence militaire de 2 500 soldats en Irak et 900 soldats supplémentaires sont positionnés dans le nord-est de la Syrie dans le cadre de leur participation à la coalition mondiale contre l’État islamique.
L’installation militaire américaine la plus importante dans la région est la base aérienne d’Al-Udeid, située au Qatar.
Des experts et analystes spécialisés dans le Moyen-Orient soutiennent que Washington a commis des erreurs significatives depuis l’offensive du 7 octobre en Israël. Et ces erreurs stratégiques ont rapproché la région du risque d’une guerre à grande échelle.
« La guerre en cours à Gaza contribue à donner au monde arabe et musulman l’impression dangereuse d’être en conflit avec l’Occident »
- Ayman Safadi, ministre jordanien des Affaires étrangères
« Compte tenu du niveau élevé d’émotion, il ne serait pas impensable que des individus ferment les yeux sur des abus ou même des représailles pour des griefs formulés à l’encontre d’Israël », indique à Middle East Eye Matthew Hedges, spécialiste des questions de sécurité au Moyen-Orient.
« Compte tenu du réseau presque complet de bases militaires américaines dans la région MENA, la menace potentielle est énorme. »
Les responsables arabes, conscients du risque d’escalade régionale, appellent à un cessez-le-feu immédiat.
Interrogé la semaine dernière lors de la séance d’information du Conseil de sécurité des Nations unies sur le risque d’escalade régionale, le vice-Premier ministre jordanien et ministre des Affaires étrangères Ayman Safadi a reconnu qu’il s’agissait d’une préoccupation importante. « Il s’agit en effet d’une menace réelle », a-t-il souligné.
Ayman Safadi ainsi que ses homologues saoudien et égyptien ont réclamé un cessez-le-feu immédiat et exhorté la communauté internationale à intervenir pour éviter un conflit plus important. Le sentiment anti-israélien s’accroît, non seulement dans le monde musulman, mais aussi à travers le monde.
Les communautés arabes et musulmanes ont de plus en plus l’impression d’être en rupture avec l’Occident.
Selon Ayman Safadi, « la guerre en cours à Gaza contribue à donner au monde arabe et musulman l’impression dangereuse d’être en conflit avec l’Occident ». Le ministre a souligné la nécessité pour ceux qui soutiennent les agissements d’Israël de reconnaître ce danger croissant.
L’implication iranienne
Le Hezbollah, établi au Liban, s’est engagé dans des accrochages en représailles contre Israël. Sa volonté de s’engager dans le conflit en cours souligne la gravité de la situation, même si les limites en matière de ressources restent un sujet de préoccupation.
« Les intermédiaires alliés à l’Iran, tels que le Hezbollah au Liban, sont bien mieux équipés et organisés. Ils sont également considérés comme une menace bien plus grande pour Israël que le Hamas, ce qui explique pourquoi Israël n’a pas immédiatement envahi Gaza », précise Matthew Hedges.
L’Iran s’est impliqué dans les efforts diplomatiques visant à mettre fin au conflit, se tenant à l’écart d’une implication militaire directe, en dépit des affirmations de certaines voix aux États-Unis et en Israël concernant l’implication de l’Iran dans l’attaque surprise contre Israël.
Dimanche dernier, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, a averti les États-Unis et Israël que la situation dans la région pourrait rapidement se détériorer « à tout moment » si les États-Unis persistaient dans ce qu’il a qualifié de « guerre par procuration » contre Gaza.
La Maison-Blanche a révélé lundi dernier des cas où l’Iran est accusé d’avoir soutenu des attaques de roquettes et de drones lancées par des intermédiaires contre des installations militaires américaines en Irak et en Syrie.
Cela a incité le président américain Joe Biden à demander au département de la Défense de se préparer à de nouvelles attaques afin de préserver leurs intérêts dans la région, a indiqué la Maison-Blanche.
« Il est peu probable que l’État iranien s’implique officiellement dans le conflit. Le corps des Gardiens de la révolution islamique [GRI], en revanche, s’impliquera presque certainement en fournissant des armes, du personnel et un soutien idéologique. Dans certains cas, des soldats relevant des GRI pourraient également être directement responsables d’attaques », souligne Matthew Hedges.
Au Yémen, les Houthis soutenus par l’Iran ont également menacé de lancer des hostilités contre Israël si Washington s’impliquait directement dans la campagne militaire israélienne à Gaza.
En conservant le contrôle du littoral de la mer Rouge à Hodeida, les Houthis ont la possibilité de menacer le transport maritime international et de fermer le détroit de Bab el-Mandeb
Les récents incidents liés à des attaques de missiles et de drones en provenance du Yémen soulignent d’autant plus la gravité de la situation.
Le 20 octobre, le Pentagone a confirmé qu’un navire de l’US Navy en mer Rouge avait intercepté des missiles et des drones déployés par les rebelles houthis au Yémen, potentiellement dirigés contre Israël.
Les Houthis ont revendiqué l’attaque. « Nous avons lancé ces missiles en signe de solidarité avec la population de Gaza », a déclaré Abdel Aziz ben Habtour, le chef de leur gouvernement à Sanaa.
Il a également adressé une mise en garde, menaçant de cibler les navires israéliens en mer Rouge si les opérations militaires se poursuivaient à Gaza.
Des voix s’élèvent au Yémen pour demander la fermeture du détroit de Bab el-Mandeb, contrôlé par les forces gouvernementales établies à Aden et soutenues par la coalition saoudienne.
En conservant le contrôle du littoral de la mer Rouge à Hodeida, les Houthis ont la possibilité de menacer le transport maritime international et de fermer le détroit de Bab el-Mandeb. Cette mesure aurait pour effet d’allonger la durée des trajets et d’augmenter les frais de transport, étant donné que l’accès au canal de Suez serait obstrué.
« Étant donné que les GRI ont déjà détourné des navires dans les détroits d’Ormuz et Bab el-Mandeb, il est probable que cela se reproduise », estime Matthew Hedges.
Selon les informations relayées, les Houthis au Yémen ont la capacité de s’engager dans le conflit à partir de différents endroits du pays, ce qui constitue une menace potentielle pour les intérêts américains au Yémen comme à l’extérieur.
Si la présence des forces américaines au Yémen ou à proximité n’est pas connue avec exactitude, Matthew Hedges explique qu’il est fait état de la présence de troupes américaines dans des zones telles que Mocha sur le littoral yéménite de la mer Rouge, Moukalla dans l’Hadramaout et l’île de Socotra.
Par ailleurs, deux navires américains se trouvent dans la mer Rouge, au large des côtes du Yémen. Selon Matthew Hedges, l’Hadramaout est considéré comme « une grave vulnérabilité, car [al-Qaïda] est très actif dans cette région ».
Compte tenu de toutes ces considérations, la région est devenue une véritable poudrière.
Les bombardements incessants d’Israël contre Gaza continuent de causer d’immenses souffrances aux civils palestiniens et la probabilité d’un conflit plus large reste une préoccupation importante pour la population locale et au-delà.
Les intérêts américains sont une cible privilégiée des puissances anti-israéliennes dans la région, ce qui renforce l’importance des efforts diplomatiques et d’une résolution rapide de la crise.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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