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Le jeune prétendant au trône saoudien subit une défaite, laissant le Yémen en lambeaux

La guerre défaillante au Yémen pourrait entraîner des conflits entre la famille royale et les héritiers du trône saoudien Mohammed ben Salmane et Mohammed ben Nayef

C’était une semaine exceptionnelle dans la maison des Saoud : de la défenestration du prince héritier Moukrine remplacé par le ministre de l'Intérieur Mohammed ben Nayef au fils du roi Mohammed ben Salmane nommé vice-prince héritier.

Le paysage de la lignée a été changé pour toujours. Plus jamais un souverain ne sera issu des fils du roi fondateur. La succession est passée à une nouvelle génération. La consolidation du pouvoir entre les deux princes ambitieux - le plus âgé, Mohammed ben Nayef, plus réfléchi, et le jeune et plus agressif Mohammed ben Salmane - présidé par un roi âgé et malade, prépare le terrain pour de plus amples manœuvres en arrière court, tout en donnant l'impression de calme en surface.

Une escarmouche à la frontière entre les forces saoudiennes et les tribus fidèles aux Houthis peut sembler mineure. Le ministère de l'Intérieur saoudien a rapporté que trois officiers sont morts et deux ont été blessés par un obus de mortier qui a frappé un poste frontière dans la province de Najran. Les Saoudiens prétendent également que des dizaines de Houthis ont été tués dans l'action qui a suivi, une revendication qui n'a pas encore été vérifiée.

Mais ce qui pourrait ressembler à une action isolée est-elle le début d’une manœuvre plus grande des Houthis ? Si c’est le cas, l’histoire se répéterait. En 2009, les Houthis ont pénétré plus de 50 kilomètres dans le territoire saoudien, ont pris et tenu la ville de Jizan pour plusieurs jours et ne l’ont quitté qu’après qu’une importante somme d'argent leur ait été versée, témoignage éloquent de l'incompétence et du manque de volonté de se battre de l’armée saoudienne.

Saad al-Faqih, un critique conservateur de la maison des Saoud qui vit en exil à Londres, appelle cette invasion des Houthis de 2009 un exemple de « fuite en avant ». Les Houthis à ce moment-là comme cette fois ont été lourdement bombardés par l’armée de l'air. Leur percée en terre d'Arabie a mis fin à la campagne de bombardement et l'argent versé aux Houthis les a poussé à quitter Jizan et a empêché les Saoudiens de trop rougir de leurs échecs.

« Les embuscades sont le prélude à une offensive plus large », affirme al Faqih. « La situation est différente dans les airs, où les Saoudiens et leurs alliés ont la suprématie complète, et sur le terrain. Du côté saoudien les troupes sont assez faibles. »

Al-Faqih se moque des chaînes de la télévision saoudienne montrant des personnes dans la région frontalière donnant ce qu’ils disent être des tentes, de la nourriture et de l'argent à l'armée. « Pouvez-vous imaginer un général de l'armée britannique recevoir des cadeaux comme ça? Ce n’est pas une armée, c’est une blague. »

Il affirme que Mohammed ben Salmane, qui dirige la guerre contre les Houthis, n’enverra jamais de troupes terrestres sur le terrain, car il sait très bien que ses soldats sont moins bons que les combattants houthis endurcis. Ce serait une source d'embarras et un énorme revers pour cet ambitieux jeune homme qui est pressé d'établir ses lettres de noblesse. La campagne aérienne lancée en mars semblait un moyen rapide de le faire.

Mais après plus d'un mois et des milliers de sorties, les Houthis conservent toujours la capitale Sanaa et n’ont pas été poussés hors de la cruciale ville portuaire d'Aden dans le sud. Ils continuent d'assiéger d'autres villes dans cette région. Pendant ce temps, la réputation des Saoudiens souffre alors qu’ils détruisent les infrastructures d'un pays profondément appauvri.

La dernière gaffe en termes de relations publiques a été le bombardement d'une piste à l'aéroport international de Sanaa, déjà lourdement endommagé par les frappes aériennes répétées. Les Saoudiens se défendent en affirmant qu'ils souhaitaient empêcher l'atterrissage d’un avion iranien. Les Iraniens déclarent pour leur part, que l'avion transportait de l'aide humanitaire, et non des armes comme les Saoudiens le prétendent. La plupart des analystes indépendants défendent la version iranienne. Ce qui ne fait aucun doute c’est que cette erreur a paralysé le flux de l'aide, dans ce qui constitue déjà une énorme crise humanitaire.

Et tandis que les Américains continuent à fournir un soutien logistique - Faqih affirme qu'ils « dirigent la salle d’opération » - ils sont de plus en plus inquiets de l'absence de stratégie de sortie de l’Arabie saoudite. Parce que si l'histoire nous enseigne quoi que ce soit au Yémen, c’est que les Houthis ne seront pas invités à la table des négociations. Mohammed ben Salmane devrait-il continuer sur ce chemin téméraire ? En effet, les Houthis peuvent saisir l'occasion de cette « fuite en avant » et pousser en territoire saoudien afin de lui forcer la main et mettre fin à la campagne aérienne.

A ce stade, cette soi-disant harmonieuse relation entre les deux Mohammed deviendrait tendue. Mohammed ben Nayef est largement respecté à la fois au sein de la famille régnante saoudienne et à Washington comme un politicien intelligent, habile et prudent. La même chose ne peut être dite pour Mohammed ben Salmane. Il a misé gros sur cette aventure au Yémen et devrait probablement échouer, et on ne sait jamais vraiment comment ce jeune homme entêté peut réagir.

Pendant que cette pièce aux forts accents shakespeariens se joue à Riyad, le peuple du Yémen continue de souffrir, avec des approvisionnements alimentaires bloqués par un blocus naval et une eau potable qui devient rare. Ils sont bombardés par les airs par les Saoudiens et leurs alliés et écartelés sur le terrain, pris entre les Houthis, les tribus et le reste de l’armée yéménite contre eux. Comme si cela ne suffisait pas, ils sont confrontés à la présence résurgente d'al-Qaïda - c’est là la vraie tragédie qui se joue pendant les querelles de la maison des Saoud.

- Bill Law est un journaliste lauréat du prix Sony. Il a rejoint la BBC en 1995 et produit depuis 2002 un grand nombre de reportages sur le Moyen-Orient. Il s'est rendu à de nombreuses reprises au royaume d'Arabie saoudite. En 2003, il a été l'un des premiers journalistes à couvrir les débuts de l'insurrection qui a englouti l'Irak. Son documentaire, « The Gulf: Armed & Dangerous », diffusé fin 2010, a anticipé les révolutions qui ont pris la forme du Printemps arabe. Il a ensuite couvert les soulèvements en Egypte, en Libye et à Bahreïn. Il a également produit des reportages sur l’Afghanistan et le Pakistan. Avant de quitter la BBC en avril 2014, Bill Law y officiait en tant qu'analyste spécialiste du Golfe. Aujourd'hui journaliste freelance, il se concentre sur le Golfe.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Le ministre de la Défense saoudienne Mohammed ben Salmane (deuxième à droite) rencontre les officiers de l’armée de l’air (AFP).

 Traduction de l'anglais (original).

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