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Le Parti islamique irakien abandonne les sunnites

Les sunnites n’ont jamais été dans une situation aussi difficile, et le reste de la population avec eux

Le plus triste dans le chaos actuel de l'Irak, c’est qu’il aurait pu être évité. La coalition américaine aurait quand même envahi illégalement et déclenché toutes sortes d’horreurs en 2003 mais, après plus de douze ans, les choses auraient pu évolué vers une résolution.

Je peux affirmer en toute confiance, ayant eu un contact étroit avec le Parti islamique irakien (PII), qu'il était probablement l'un des partis les mieux placés pour faire la différence dans l’Irak post-Saddam. Au lieu de cela, j'ai passé des années à regarder dans la consternation le parti passer d'une catastrophe à l'autre, à trahir ses électeurs sunnites de la base (en particulier les Arabes, mais aussi les Kurdes et les Turkmènes). Malheureusement, plutôt que d'être une partie de la solution, ils ont abandonné leurs principes et sont devenus une partie du problème.

Le PII a été fondé en 1960 sur une idéologie islamique qui ne diffère pas trop de celle des Frères musulmans injustement décriés en Egypte. Dès ses premiers jours, le parti a appelé à la mise en place en Irak des principes islamiques de la justice, l'unité et la liberté contre l’oppression du gouvernement.

À ce moment-là, leur idéologie, qui avait accepté les droits et l'égalité des différents groupes ethniques en Irak, conduit à leur interdiction et leur persécution par le régime nationaliste arabe laïque. Cet état des choses a continué une fois que les baasistes ont repris le pays en 1968, et le parti a été contraint à la clandestinité ou à l’exil jusqu'à la malheureuse invasion américaine de 2003. Pendant ce temps, en particulier dans les années 1990, le PII a commencé à se transformer loin de ses racines islamiques et a adopté progressivement un pragmatisme sans scrupules en raison de leur haine pour Saddam Hussein.

En décembre 2002, le PII a été l'un des partis irakiens de l'opposition qui a répondu à l'appel des États-Unis et a conspiré avec ceux dont les programmes étaient pro- iranien et pro-américain. Parmi eux le Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak (CSRII) et le parti Dawa, qui a produit une série de de premiers ministres désastreux et sectaires.

Le PII le sait bien, ces groupes ont commis des actes extrémistes en Irak et dans d'autres pays arabes au cours de la guerre Iran-Irak  de 1980 à 1988 dans leurs tentatives pour aider à exporter la révolution chiite fondamentaliste de Khomeini dans le monde arabe. Les chiites irakiens par millions ont aidé dans la lutte contre le régime de Khomeini dans les années 1980, et pourtant, la direction d'un parti islamique sunnite en 2002 ne pouvait pas saisir ce manque de soumission patriotique représentée par ces iraniens réunis par l'Amérique, le « Grand Satan » ennemi de l'Iran.

Après l'invasion, le PII sous Mohsen Abdulhamid a rejoint le Conseil de gouvernement irakien (CIG) qui fonctionnait sous l'égide de l'Autorité provisoire de la coalition dirigée par l'administrateur américain Paul Bremer. Dans une interview pour Al Jazeera, Abdulhamid a reconnu que l'Irak était sous occupation, mais a également estimé que le CIG avait imposé l'autodétermination irakienne dans sa capacité à gouverner de façon indépendante. Je n’ai pas compris cette déclaration, de même que je ne pouvais pas comprendre comment un gouvernement formé sous l'occupation pouvait être autonome.

Plus tard, Abdulhamid a déclaré que le PII avait dû composer avec le fait inévitable que l'Irak était sous occupation américaine et, s’ils n’avaient pas participé au processus politique, la voix sunnite aurait manqué de représentation. Même si je continue à être en désaccord, car je pense de mon côté que les Américains ont utilisé le PII pour montrer le soutien sunnite au processus politique, je peux comprendre la logique. Le PII a été l'un des rares partis multiethniques (Abdulhamid est lui-même kurde) qui avait le potentiel de gagner un large soutien populaire.

Après l'arrestation d’Abdulhamid sous l’occupation américaine pour avoir osé boycotter les élections  pour la rédaction d’une nouvelle constitution qu'il considérait comme illégitime et injuste, un changement interne au sein du PII a vu Tariq al-Hashimi devenir chef de parti.

Hashimi s’est avéré prometteur, et lors des premières élections générales lui et d'autres représentants du Front national irakien ont permis au parti de devenir le troisième plus grand bloc après un gain de 15 % du total des voix, donnant aux sunnites une plateforme crédible à partir de laquelle ils pouvaient contrer la propagation de l'influence iranienne sectaire et les effets de l'invasion américaine. Malheureusement, cela n'a pas duré.

Plutôt que de capitaliser sur ces succès et la construction d'un soutien populaire parmi les Irakiens de toutes les ethnies et les sectes, Hashimi semblait se contenter d'utiliser son capital politique retrouvé pour commencer à construire un culte de la personnalité. Il a rendu visite aux prisonniers irakiens (principalement sunnites) dans les prisons gouvernementales et amené les équipes de télévision avec lui, leur promettant qu'il ferait de son mieux pour obtenir leur libération. Ce à quoi il a complètement échoué, même s’il aurait pu au moins menacé de délégitimer le gouvernement en ordonnant à son bloc de faire la politique de la chaise vide au parlement.

Ces prisonniers sont restés dans les prisons irakiennes, et leurs exécutions se sont déroulées dans une sorte de normalité perverse sous le régime sanguinaire et sectaire du Premier ministre d'alors, Nouri al-Maliki.

Lorgnant sur plus d’influence et de pouvoir, et peut-être regardant le PII comme une sorte de poids mort politique (mais pas à cause de son dirigeant), Hashimi a démissionné comme chef du parti et a rejoint la liste laïque Iraqiyyah d’Ayad Allawi, juste avant l'élection de 2010.

Cela n’a pas bien fonctionné pour lui, en effet, dès que les forces américaines se sont retirées d'Irak en 2011, Maliki a chassé Hashimi à l'extérieur du pays, il a été inculpé, déclaré coupable et condamné à mort comme un «terroriste». Ainsi se termina la carrière politique d’Hashimi, et le navire en perdition du PII a continué à naviguer sans lui avec une nouvelle direction à la barre.

Plutôt que de rafistoler le navire pour le maintenir à flot, la direction (qui en 2009 était composé d'Oussama al-Tikriti et du chef du parti Ayad al-Samarrai) a continué à le diriger vers les rochers.

Mis à part le fait de ne même pas prendre la peine de publier une déclaration en temps opportun condamnant les soldats iraniens qui avaient pris le contrôle d’un champ de pétrole irakien en 2009, je me rappelle avoir assisté à une réunion du PII début 2013 au Royaume-Uni et avoir écouté la direction parler de l'établissement d'une région fédérale sunnite autonome, la dernière mode dans la politique sunnite. Il n'y avait pas de discussion sur les implications de ce projet, étant donné que cette région fédérale serait enclavée et peu encline à obtenir l'aide des pays limitrophes.

L'entité arabe sunnite aurait également été bordée par les Kurdes, qui les auraient considérés comme une menace, et elle aurait été aussi tributaire de financements du gouvernement central de Bagdad pour qui le PII avait déjà identifié comme étant sectaire.

Le PII a finalement coulé après avoir échoué à épauler le mouvement pacifique de protestation de 2012-2013 qui a éclaté après des années de dérives sectaires de Maliki. Le PII est resté à l’écart pour regarder les Irakiens descendre dans la rue et mourir dans des endroits comme Hawija.

En utilisant mes connexions familiales, j’ai écrit personnellement au PII, les exhortant à quitter le parlement et rejoindre les Irakiens qu'ils étaient censés représenter. Sans surprise, je n’ai reçu aucune réponse, mais Samarrai est apparu plus tard dans les médias arabes pour dire que le peuple irakien les avaient élus pour les représenter au parlement, et qu’ils devaient y rester. Samarrai ne semblait pas tenir compte du fait évident que ceux qui avaient choisi le PII avait perdu tant de foi dans le processus politique qu'ils étaient maintenant prêt à risquer littéralement leur vie pour essayer de forcer un changement positif dans un processus dont le PII faisait partie et avait échoué à changer.

En ne se retirant pas du parlement, le PII avait ainsi perdu toute légitimité d'être le représentant des sunnites, voire de la cause islamique implicite dans leur appellation qui préconise un combat courageux, défendant l'opprimé contre l'oppresseur.

Le PII doit prendre sa part de responsabilité dans la croissance des extrémistes tels que le groupe État islamique, ainsi que des groupes extrémistes chiites soutenus par l'État. Ils ont abandonné une politique islamique mesurée de principe qui résonnait chez un large segment de la population irakienne en faveur du pragmatisme immoral, représenté par un régime corrompu et violent, et a échoué à engager avec leurs constituants principaux, dont la grande majorité d'entre eux les ont abandonnés, et le processus politique avec eux.

En embrassant du bout des lèvres les idéaux incarnés par les choix de Sheikh Abdulkareem Zaydan, faisant partie de leur leadership classique, le PII a enlevé toute alternative modérée pour résister au régime de la zone verte tyrannique, et a même réussi à aider à créer la nostalgie pour les baassistes. Même si ce n’est pas seulement la faute du PII, les sunnites sont maintenant au plus bas, et le reste du peuple irakien avec eux.

D’une manière ou d'une autre, le PII n’était pas fait pour porter le manteau de la politique islamique irakienne unitaire, et il reste à voir si quelqu'un d'autre va combler le vide.

- Tallha Abdulrazaq est un chercheur à l'université de la Stratégie & Sécurité à l’Institut d'Exeter, et le gagnant du prix de chercheur Al Jazeera Young. Il blogue sur thewarjournal.co.uk et twitte sur @thewarjournal

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Le député Omar Khalaf al-Joubouri du Parti islamique irakien, parle à la presse après une séance du Parlement irakien pendant laquelle une loi permettant de régir les élections générales du pays a été convenue à Bagdad le 8 Novembre 2009.

Traduction de l’anglais (original) par Margaux Pastor.

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