Le président Fillon, entre promesses et illusions
La victoire de François Fillon au premier tour des « primaires de la droite » le doit sans doute plus à la nature de ses positions sur les questions nationales qu’internationales.
L’image d’intégrité qu’il dégage, le souffle nouveau qu’il paraît pouvoir insuffler à la vie politique française en comparaison avec beaucoup de politiques français, ainsi que les mandats sans vagues qu’il a pu exercer en tant que Premier ministre notamment (2007-2012) sont autant de points qui confortent son image rassurante auprès d’une part de l’opinion publique française. C’est ainsi que ses électeurs, hors membres revendiqués des Républicains, ont pu se recruter tant chez les chefs d’entreprise que chez les personnes dites catholiques de droite et chez l’électorat de gauche.
Pourtant, les conceptions de François Fillon en matière de politique étrangère sont aussi dignes d’être mentionnées. Dire de François Fillon que son expérience politique lui a permis de se forger une expérience internationale est excessif. Certes, plusieurs de ses mandats politiques, dont spécifiquement ceux de président de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale (1986-1988) et de Premier ministre (2007-2012), lui auront permis de voyager à l’étranger ; mais ce n’est pas là ce qui garantit un rodage en matière de politique internationale.
Le candidat aux primaires de la droite chasse directement sur les terres dites du Front national
En dépit de ces « handicaps » apparents, François Fillon ne manque pourtant pas d’une vision qui se traduit par une réflexion précise sur les questions de politique internationale. Celle-ci concerne tant les questions européennes que celles liées aux rapports de force internationaux et à l’attitude à adopter vis-à-vis de certains conflits importants de la planète.
Un durcissement de la politique migratoire de la France
À ce stade, tenter d’identifier les orientations concrètes d’une hypothétique « diplomatie Fillon » est loin d’être aisé. Il faudra voir si François Fillon l’emportera sur son rival Alain Juppé, lors du deuxième tour des primaires de la droite, pour que puisse suivre une élaboration plus précise de sa part sur ses intentions concrètes en matière de politique étrangère.
Dans le même temps, il est possible de se référer à des éléments de deux ordres afin de tenter de cerner ses visions en la matière. Les uns concernent ses positions et déclarations officielles passées et récentes ; les autres se retrouvent dans son récent ouvrage, au titre évocateur de Vaincre le totalitarisme islamique, qu’ont pu compléter certaines de ses interventions médiatiques.
Le programme officiel de François Fillon ne fait pas des questions internationales d’envergure un pilier de son action. En toute logique, ce sont les questions migratoires, reliées aux thématiques de l’Union européenne, qui concentrent la vision « filloniste » des relations extérieures de la France.
La position de François Fillon sur la question des réfugiés tranche avec l’image d’une France responsable dont il souhaite se faire le chantre
François Fillon convoite un vote populaire dont il sait que les priorités résident dans l’emploi, l’économie et la sécurité. Il comprend ainsi que son intérêt est d’insister sur la souveraineté de la France à échelle européenne, et sur la nécessité de garantir aux Français une priorité d’accès aux avantages octroyés par leur système socio-économique.
Pour ce, le candidat aux primaires de la droite chasse directement sur les terres dites du Front national. Et il promet, outre le durcissement des conditions de regroupement familial pour les étrangers, une refonte du système Schengen (création d’un corps européen de gardes-frontières, « réintroduction temporaire » des contrôles aux frontières « en cas d’afflux inopiné de clandestins ») ; le refus de prestations sociales aux étrangers qui auraient moins de deux ans de résidence régulière sur le territoire français ; l’introduction d’une réforme constitutionnelle qui ferait dépendre l’immigration des capacités d’accueil de la France telles que déterminées annuellement par le parlement ; une refonte du système d’accueil des demandeurs d’asile pour en faire un instrument plus rapide mais aussi plus dur vis-à-vis des déboutés ; et la possibilité d’octroi de la nationalité française à ceux seulement des demandeurs qui auront terminé avec succès un double-parcours « d’intégration d’abord, d’assimilation ensuite » (sans d’ailleurs que la nuance entre les deux ne soit clairement explicitée dans son programme).
On le comprend, une présidence Fillon tenterait, dans l’intention affichée, de faire valoir fortement la voix de la France au sein de l’Union européenne, confirmant ainsi la détermination de cet ancien pourfendeur du Traité de Maastricht à ne se laisser imposer aucun diktat. C’est dans la même veine que François Fillon en appelle à une meilleure répartition des quotas de réfugiés à échelle européenne.
Mais la position de François Fillon sur la question des réfugiés tranche avec l’image d’une France responsable dont il souhaite se faire le chantre. Il cherche à décharger la responsabilité de la France devant ce phénomène de façon à s’attirer un électorat réputé être acquis aux idées du Front National et à ses thèses sur « les pompes aspirantes de l’immigration ». On peut penser que sa stratégie pourrait s’avérer payante.
Devant l’état de la France : vaincre le nouveau totalitarisme
Le conservatisme libéral de François Fillon (il est pour un allègement de la fiscalité et un recentrage de l’État sur ses principales fonctions régaliennes, en dépit de son rejet du qualificatif d’un néo-thatchérisme qu’il défend pourtant) est complété par ses considérations sur l’état du monde, et comment il convient dès lors de réagir. Et c’est là que son ouvrage Vaincre le totalitarisme islamique énonce des idées claires sur sa vision et ses intentions.
François Fillon consacre ainsi une grande partie de son ouvrage, Vaincre le totalitarisme islamique, au danger qu’incarnent selon lui, non seulement les islamistes de tous bords, mais aussi, beaucoup de musulmans
À en croire son écrit, pour François Fillon, le monde est menacé d’une nouvelle guerre mondiale du fait du totalitarisme islamique et de sa volonté d’entraîner la planète dans un combat de type eschatologique. Mais si François Fillon pointe d’entrée Daech/l’État islamique comme représentation de ce totalitarisme, son constat ne manque cependant pas de s’étendre à d’autres dimensions.
Ainsi, le grand danger encouru par la France en l’occurrence viendrait, selon lui, du fait que « nous avons refusé, par peur de stigmatiser, par souci de ne pas blesser, de faire le lien entre religion et terrorisme. Nous avons été dans le déni, à commencer par nombre de musulmans eux-mêmes. Et pourtant le lien est là ». Et de citer, à l’appui de ses paroles, Felice Dassetto, pour qui « la salafisation de la communauté musulmane » est une réalité ».
François Fillon consacre ainsi une grande partie de son ouvrage au danger qu’incarnent selon lui, non seulement les islamistes de tous bords, mais aussi, beaucoup de musulmans. On retrouve, pour le coup, une conception qui n’est pas le seul apanage du Front national ou des partis dits de droite, puisque même les milieux dits de gauche se la sont appropriée.
Fillon s’approprie ce même champ d’idées islamo-sceptique, voire « musulmano-sceptique », pour justifier ses conceptions singulières en matière de politique étrangère
Ainsi, le fait pour le président François Hollande de s’être laissé aller à une critique frontale de l’islam, religion avec laquelle il y a « un problème » selon lui, reflète plus largement l’état d’esprit d’une classe politique française tentée, consciemment ou inconsciemment, de faire de l’essentialisme afin de se montrer en phase avec ce qu’elle croit être les conceptions idéologiques d’une majorité de Français. Une approche qui, outre qu’elle reste à prouver, contribue surtout à brouiller encore plus les lignes de démarcation des partis traditionnellement dits de droite et de gauche.
François Fillon, quant à lui, s’approprie ce même champ d’idées islamo-sceptique, voire « musulmano-sceptique », pour justifier ses conceptions singulières en matière de politique étrangère.
Devant l’état du monde : recomposer les alliances
Il suffit une fois encore de citer directement François Fillon quand, dans ce même ouvrage, il formule, au-delà de ses vues sur le nécessaire renforcement des capacités de défense de la France, ses trois objectifs principaux : « œuvrer pour une alliance avec la Russie et mettre fin pour cela à l’embargo absurde à son encontre ; intégrer l’Iran dans une coalition internationale anti-Daech ; travailler au renforcement des forces anti-Daech au sol, notamment en Syrie, sans y engager l’armée de terre française et favoriser l’émergence d’une coalition anti-Daech ».
La France de Fillon ferait le choix de meilleures relations avec la Russie et d’une composition avec le régime syrien aux fins d’anéantir Daech
Et d’ajouter, dans une référence directe au Qatar et à l’Arabie saoudite : « nous ne pourrons pas continuer à entretenir avec certaines monarchies du Golfe des relations chaleureuses ou leur proposer des conventions fiscales avantageuses lorsque nous sommes informés qu’elles financent les activités de l’État islamique ou des constructions de mosquées salafistes en France ».
On comprend ainsi comment la France de Fillon ferait le choix de meilleures relations avec la Russie et d’une composition avec le régime syrien aux fins d’anéantir Daech. Mais contrairement aux intentions supposées d’un Donald Trump par exemple, le candidat aux primaires de la droite fait un clair choix pro-iranien, au nécessaire détriment des pays arabes du Golfe. Une grande partie de son argumentaire se voit par ailleurs avancée au nom de la défense des minorités d’Orient, à commencer par les chrétiens.
Une réorientation limitée
Gaulliste revendiqué, François Fillon défend plutôt une ligne souverainiste classique adaptée à l’ère du temps. Le respect de la stature et de la posture de la France ainsi que de celle de ses partenaires internationaux, la revendication d’un substrat idéologique opposant le Bien (l’histoire, le patrimoine et les valeurs défendues par la France) au Mal (un totalitarisme islamique global et fourre-tout), la volonté de récupération par la France de sa dignité perdue sont autant d’idées simples, et payantes électoralement, qui s’érigent sur les cendres du bilan du gouvernement sortant (François Hollande serait crédité, selon certains sondages récents, de 4 % d’opinions favorables).
Le candidat aux primaires de la droite fait un clair choix pro-iranien, au nécessaire détriment des pays arabes du Golfe
Pour autant, une présidence Fillon ne se traduirait pas nécessairement par une stricte mise en pratique de son programme annoncé. Que ce soit dans les règles qui lui incombent à l’échelle européenne, au vu de la nature sociologique d’une France ethniquement diverse, devant la réalité de flux migratoires qui ne tariront pas facilement, ou encore du fait du poids des clients du Golfe – importants partenaires commerciaux et militaires – dans l’économie française, la France devra maintenir intactes beaucoup de ses politiques engagées.
Les relations franco-russes et leur pendant franco-syrien pourraient connaître un sérieux recadrage avec François Fillon. Mais pour le reste, la vision internationale de l’aspirant à la présidence devra s’accommoder d’une réalité basique : le poids international somme toute assez relatif de la France.
– Barah Mikaïl est directeur de Stractegia, un centre basé à Madrid et dédié à la recherche sur la région Afrique du Nord – Moyen-Orient ainsi que sur les perspectives politiques, économiques et sociales en Espagne. Il est également professeur de géopolitique et de sécurité internationale à l’Université Saint Louis – Campus de Madrid. Il a été auparavant directeur de recherche sur le Moyen-Orient à la Fundación para las Relaciones Internacionales y el Diálogo Exterior (FRIDE, Madrid, 2012-2015) ainsi qu’à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris, 2002-2011). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et publications spécialisées. Son dernier livre, Une nécessaire relecture du « Printemps arabe », est paru aux éditions du Cygne en 2012.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : François Fillon, ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy (2007-2012), candidat aux primaires de la droite et du centre pour les élections présidentielles françaises de 2017 (Reuters).
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