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Le radicalisme est un problème politique, pas islamique

L’idée que l’Islam puisse être qualifié de radical, modéré ou extrémiste donne du crédit à la thèse islamophobe selon laquelle l’Islam possède une qualité intrinsèque qui le rendrait dangereux, indépendamment du contexte, et qui retire toute responsabilité à l’individu tout en rejetant la faute sur la religion elle-même

Dans le cadre des discussions actuelles sur le lien entre Islam et violence, à travers l’ensemble des  « Islams », une question gênante, quoique fondamentale, demeure sans réponse : un musulman est-il en principe autorisé à recourir à la violence ? Le contexte doit-il justifier une telle attitude ? Dans le débat actuel, la réponse occidentale est un « non » catégorique. Incidemment, le sujet est discuté par des groupes tels qu’Al-Qaida et l’Etat islamique (EI).

Jonathan Lyons souligne ce problème dans son livre “Islam Through Western Eyes” [L’Islam vu par les Occidentaux] dans lequel il indique que l’Occident s’est « arrogé un monopole sur les usages légitimes de la force dans des conflits impliquant le monde musulman. » Lyons ajoute que « la production de déclarations occidentales sur les questions de violence et de guerre est profondément influencée par certains des principes centraux du discours anti-Islam : que l’Islam est intrinsèquement violent et se propage uniquement par la force ; que les Musulmans sont irrationnels et motivés par le fanatisme religieux… Le résultat est un discours incontesté octroyant à l’Occident le pouvoir de déterminer quelles tactiques, quelles armes et quelles cibles sont légitimes ou ne le sont pas. »

L’idée même que l’Islam puisse être classé en radical, modéré, extrémiste, etc. donne du crédit à l’hypothèse islamophobe selon laquelle il possède une qualité intrinsèque qui le rend dangereux, indépendamment du contexte. En outre, elle déresponsabilise l’individu et accuse la religion elle-même, comme si celle-ci pouvait exister en soi, sans la composante humaine. Supposer que l’Islam est la raison première de la violence extrémiste dans le monde musulman équivaut à supposer que sans l’Islam, aucun groupe violent ne verrait le jour dans un contexte politique similaire à celui qui existe aujourd’hui. Or, ce n’est pas une simple coïncidence si tous les groupes violents présents dans les pays à majorité musulmane à l’époque contemporaine se définissent continuellement comme des forces de résistance légitimes contre l’occupation étrangère ou contre des gouvernements despotiques locaux au service d’intérêts étrangers.

L’Islam n’est pas une religion de paix. Ce n’est pas non plus une religion de violence. C’est une religion vécue par des êtres humains qui, de par la nature de leurs instincts primaires, s’engagent parfois dans des conflits violents. Il n’est dès lors pas approprié de voir le Coran comme un texte contradictoire simplement parce qu’il contient à la fois des versets pacifiques et des versets violents. Il s’agit plutôt d’un texte entremêlant des descriptions de comportements humains en période de conflits violents et des appels à la paix et à la coexistence.

Certains insisteront sur le fait qu’il existe un lien direct entre les déclarations faites par des extrémistes violents et leurs actions. Ceci est compréhensible si l’on considère l’Islam comme une entité dissociable de la culture des populations qui l’ont adopté au cours des quatorze siècles passés. Ce que nombre d’observateurs occidentaux ne parviennent pas à reconnaitre c’est que, pour les Musulmans, l’Islam peut parfois servir d’un moyen d’expression qui peut refléter, ou non, les motivations d’un individu ou même les enseignements d’une religion. Cette énigme s’éclaircit après examen des éléments d’informations disponibles sur les extrémistes violents.

Dans son article sur les aspirants djihadistes ayant acheté « L’Islam pour les nuls » sur Amazon, Mehdi Hasan cite une note classifiée de l’unité des sciences du comportement du MI5 sur le phénomène de radicalisation. Divulguée en 2008, celle-ci révèle qu’un grand nombre de Musulmans radicaux « ne pratiquent par leur foi régulièrement. Nombre d’entre eux manquent de connaissances religieuses et pourraient […] être considérés comme novices. » Contrairement à leur croyance malavisée qu’ils accomplissent les préceptes du Coran, les aspirants djihadistes occidentaux projettent sur le texte sacré des conclusions qu’ils ont eux-mêmes élaborées sur la base de leur lecture de la presse. Sans outils d’interprétation, c’est tout ce qu’ils peuvent tirer du Coran qu’ils récitent. Néanmoins, si cette ignorance religieuse peut caractériser les occidentaux qui rejoignent des groupes extrémistes, le cas des natifs des pays à majorité musulmane est quelque peu différent.

Contrairement à leurs homologues de l’ouest, les radicaux du Moyen-Orient ne peuvent être aussi aisément discrédités comme incultes et issus de milieux économiques désavantagés. Dans la publication de Gallup de 2007 « Who Speaks for Islam ? » [Qui parle pour l’Islam ?], John Esposito et Dalia Mogahed consacrent un chapitre à la question de ce qui fait un radical. D’après un sondage Gallup réalisé dans plusieurs pays musulmans, 7% de la population est caractérisée par des opinions politiques radicales, voyant les attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York comme « totalement » justifiées et ayant une opinion défavorable des Etats-Unis.

Supposant que les radicaux politiques seraient plus enclins à soutenir ou être recrutés par des groupes terroristes, leurs réponses ont été plus amplement analysées et comparées à celles du reste de la population. Il est ainsi apparu que les personnes politiquement radicalisées étaient, en moyenne, plus éduquées que les modérés : 67% des individus ayant des opinions politiques radicales ont au moins reçu une éducation secondaire (contre 52% des modérés). Cette disparité se retrouve en termes économiques avec 65% des radicaux politiques ayant un revenu moyen ou au dessus de la moyenne, contre 55% des modérés.

En ce qui concerne la pratique religieuse, les données ont montré qu’il n’y a pas de différence entre modérés et radicaux vis-à-vis de l’importance accordée à la religion dans la vie quotidienne et de la participation aux prières à la mosquée. La différence frappante a trait en fait à l’approbation ou condamnation d’actes extrémistes. Beaucoup de ceux qui condamnent la violence extrémiste le font pour des raisons religieuses, citant le Coran à l’appui. A contrario, aucun radical politique cautionnant les attaques du 11 septembre ne cite le Coran comme justification. Ce sont plutôt des raisons politiques laïques qu’ils invoquent.

Les preuves disponibles indiquent clairement que la présence de groupes extrémistes musulmans est une conséquence directe des circonstances politiques imposées par les politiques étrangères occidentales au Moyen-Orient, tandis que la religion sert simplement de moyen d’expression. Toute tentative de « réfuter » les cas théologiques de ces groupes ne sont que des distractions qui nous éloignent de l’étude des causes réelles de l’émergence de ces groupes. Non seulement ces tentatives ont peu de chances de réussir, mais elles compliquent la possibilité de s’attaquer au discours islamophobe qui se généralise aujourd’hui plus que jamais.

- Mohamed Ghilan a suivi le cursus classique en théologie et droit islamique. Il est actuellement doctorant en neuroscience à l’Université de Victoria, au Canada.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye. 

Photo : Musulmans irakiens assistant à la prière du matin dans une mosquée de Kirkuk (AFP)

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