Le terrorisme national est ancré dans les actions américaines et non dans l’islam. Demandez au FBI
Si un musulman perpétrait un attentat contre une maison funéraire aux États-Unis et tuait 140 personnes en deuil, le discours public qui suivrait inévitablement ne serait que trop prévisible : la faute serait rejetée sur la foi et la culture de l’assaillant.
Un rapport de 2012 du FBI sur l’extrémisme national a conclu que les griefs à l’égard des actions militaires américaines dépassent de loin tout autre facteur – y compris l’idéologie religieuse
Or les quinze années qui se sont écoulées depuis le 11 septembre 2001 ont clairement montré une chose : que le discours public ne circule pas dans le sens inverse.
Par exemple, le 9 octobre dernier, une attaque menée par l’Arabie saoudite, alliée des Américains, contre une maison funéraire dans la capitale du Yémen, Sanaa, a tué au moins 140 personnes en deuil ; pourtant, aux États-Unis, pays qui a fourni au royaume 115 milliards de dollars d’armes depuis 2009, personne ne s’est demandé : « Qu’est-ce qui ne va donc pas avec notre culture ? »
À partir du moment où dix-neuf pirates de l’air ont perpétré la première attaque terroriste majeure contre l’Occident du XXIe siècle, le discours public a fait une fixation sur la culture et la foi d’1,6 milliard de musulmans plutôt que sur les individus et les organisations qui ont commis des actes de violence politique contre des cibles occidentales.
Influencées par des entrepreneurs politiques et culturels qui gagnent beaucoup en projetant une ombre imposante et sinistre sur les musulmans, les théories sur la radicalisation qui prétendent prédire pourquoi et comment les jeunes musulmans deviennent des terroristes ne sont pas seulement ancrées dans des hypothèses infondées selon lesquelles la culture islamique ou l’idéologie islamiste seraient le moteur principal ou dominant, mais contribuent également à ignorer un éventail de forces psychologiques et sociales complexes.
En d’autres termes, le discours public concernant le terrorisme dans l’ère post-11 septembre a donné à notre culture occidentale privilégiée et dominante un énorme laissez-passer tout en scrutant et en faisant une fixation sur la culture de l’autre.
Un auto-aveuglement
Alors que les gros titres sont le moteur du discours public, c’est le discours public qui est le moteur de la politique, et la politique est l’endroit où nous gagnons, perdons ou mourons dans la lutte contre le terrorisme.
Alors que les gros titres sont le moteur du discours public, c’est le discours public qui est le moteur de la politique, et la politique est l’endroit où nous gagnons, perdons ou mourons
Toutefois, étant donné que les États-Unis ont dépensé près de 5 milliers de milliards de dollars pour lutter contre le terrorisme depuis le 11 septembre et que la menace terroriste est quantifiablement plus grande et plus dispersée, on peut raisonnablement supposer qu’une grande partie de nos efforts de lutte contre le terrorisme sont malavisés et erronés. Tout autant que les théories sur la radicalisation qui ignorent que nos actions et notre culture pourraient être le facteur dominant pour ceux qui cherchent à exprimer leurs griefs par un djihad inspiré du groupe État islamique.
Cela dit, un grand nombre d’universitaires et d’organismes de lutte contre le terrorisme ont fait de leur mieux pour faire valoir que la radicalisation menant à la violence est moins ancrée dans l’idéologie et le céleste que dans la façon dont les gens vivent dans le monde dans lequel ils vivent.
Mais lorsqu’une étude commandée en 2004 par le département de la Défense des États-Unis a conclu que « les musulmans ne haïssent pas nos libertés », mais « haïssent nos politiques », et qu’« une majorité écrasante exprime ses objections face à ce qu’elle considère comme un soutien unilatéral en faveur d’Israël aux dépens des droits des Palestiniens, et face au soutien de longue date et même grandissant pour ce que les musulmans considèrent collectivement comme des tyrannies, notamment l’Égypte, l’Arabie saoudite, la Jordanie, le Pakistan et les États du Golfe », nous l’avons ignorée. Au lieu de cela, nous avons supposé que leur culture était au cœur de la radicalisation aux États-Unis.
Nous avions tort. À bien des égards, c’est notre culture qui a besoin d’un examen plus approfondi. Et aujourd’hui, nous devons changer les gros titres afin de pouvoir changer la politique de lutte contre le terrorisme.
Début octobre, The Intercept a publié les résultats d’une étude secrète réalisée par le FBI en 2012, qui a fouillé les antécédents de plus de 200 « extrémistes nationaux violents » et conclu, comme toutes les précédentes études parrainées par des agences de lutte contre le terrorisme, que les griefs à l’égard des actions militaires américaines dépassent de loin tout autre facteur – y compris l’idéologie religieuse.
Le FBI observe que les terroristes nationaux « croient souvent que l’armée américaine est en train de commettre des atrocités dans les pays musulmans et justifient ainsi leurs aspirations violentes ».
Avec le plus grand sérieux, le débat sur la question de savoir si les attentats terroristes commis contre nous doivent davantage être attribués à leur culture ou à nos actions est aujourd’hui si ridicule qu’il mérite à peine de plus amples commentaires. Mais nous y sommes.
Un débat sans issue
Nous savons avec une certitude absolue que l’extrémisme national violent n’est pas ancré dans l’islam, l’« islam radical » ou n’importe quelle branche ou secte de l’islam dont on entend parler sur Fox News. Nous le savons parce que ce sont les terroristes eux-mêmes qui nous le disent.
Comment expliquer que des documents saisis révèlent que 70 % des recrues de l’État islamique ont une compréhension de l’islam qui ne peut être décrite que comme « basique » ? On ne le peut pas !
Maintes et maintes fois, les terroristes nous disent que c’est parce qu’ils croient que l’Occident a déclaré la guerre à l’islam ou parce qu’ils vengent les transgressions occidentales au Moyen-Orient, en Afrique ou en Asie centrale.
En effet, si la radicalisation était ancrée dans l’Écriture islamique, comment expliquer que des études menées par le MI5, le FBI, le département de la Défense des États-Unis et un réseau de professionnels de la lutte contre le terrorisme et d’universitaires ont tous abouti à des conclusions qui rendent compte du contraire ? On ne le peut pas !
En outre, comment expliquer qu’une mine de documents saisis révèle que 70 % des recrues de l’État islamique ont une compréhension de l’islam qui ne peut être décrite que comme « basique » ? On ne le peut pas ! Comment expliquer que le MI5 et même d’anciens djihadistes ont pu indiquer que plus on a une bonne compréhension de l’islam, plus on est en réalité protégé contre le risque de sombrer dans la radicalisation violente ? Encore une fois, on ne le peut pas !
Comme pour le changement climatique, le débat sur la radicalisation nationale est terminé. Désormais, il est temps d’agir, et les professionnels de la lutte contre le terrorisme nous disent que nous devons d’abord nous rectifier afin de rectifier le problème.
Discréditer la thèse du tapis roulant
Selon les estimations d’un rapport publié en octobre par le Centre international pour l’étude de la radicalisation et de la violence politique du King’s College de Londres, près des deux tiers des djihadistes partis d’Europe rejoindre des groupes militants islamistes en Syrie et en Irak ont des antécédents criminels.
Beaucoup de combattants ont opéré leur radicalisation en prison ou par le biais de recruteurs charismatiques travaillant pour des groupes terroristes. Les criminels et les djihadistes, note le rapport, sont « recrutés selon les mêmes données démographiques – et souvent au même endroit ».
Les auteurs du rapport concluent que nous devons repenser la radicalisation : « L’émergence de ce nouveau lien entre criminalité et terrorisme et la dynamique qui lui est associée devraient obliger les chercheurs, les analystes et les décideurs politiques à repenser les idées entretenues depuis longtemps sur la façon dont le terrorisme, la criminalité et la radicalisation doivent être compris », recommandent les auteurs.
Ces vieilles théories erronées de la radicalisation postulent ou suggèrent que les musulmans sont sur un « tapis roulant » menant à la radicalisation. Alors que certains réussiraient à s’empêcher d’avancer et de sombrer, d’autres ne pourraient pas résister aux appels provenant des entrailles de leur foi.
C’est cette thèse du tapis roulant qui est au cœur des programmes racistes, dangereux et anti-démocratiques de lutte contre la radicalisation, tels que le programme « Prevent » au Royaume-Uni, qui a désormais été discrédité dans une lettre ouverte signée par 140 universitaires et experts, dont Noam Chomsky et le chercheur de premier plan spécialiste du terrorisme Marc Sageman.
Des théories non scientifiques
Au sujet des théories non scientifiques sur la radicalisation qui sous-tendent « Prevent » et bien d’autres politiques de lutte contre le terrorisme sur lesquelles les théories sur la radicalisation sont fondées, David Miller, professeur de sociologie à l’Université de Bath, s’est exprimé au journal The Guardian : « Ce sont des recherches secrètes et nous ne pouvons pas demander quel a été le processus qui a abouti au contenu du rapport original. Ce ne sont pas des recherches universitaires, ni des sciences sociales – c’est un rapport interne qui ne constitue en aucune manière une base solide pour toute sorte de politique. »
D’autres ont observé que les politiques de lutte contre le terrorisme ancrées dans les théories sur la radicalisation renvoyant au « tapis roulant » ont seulement servi à aliéner les communautés musulmanes non seulement vis-à-vis des forces de l’ordre, mais aussi vis-à-vis de la communauté plus large, tout en contribuant encore plus aux efforts de recrutement de l’État islamique en poussant les musulmans à se sentir indésirables en Occident.
De toute évidence, nous devons repenser la politique de lutte contre le terrorisme, mais cela signifie que nous devons changer le discours public concernant le terrorisme et la radicalisation. Espérons que les révélations de cette étude du FBI sur ce qui radicalise en premier lieu les extrémistes nationaux violents marqueront la fin de l’attitude consistant à prétendre que le problème est l’islam et le début de l’acceptation du terrorisme en tant que phénomène psychosocial complexe qui nécessite un réexamen de nos propres actions.
- CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America, God Hates You. Hate Him Back et Koran Curious. Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des policiers surveillent l’intérieur du Grand Central Terminal la veille de Thanksgiving, en novembre 2008 à New York. Les responsables fédéraux ont alerté les forces de l’ordre d’un possible complot terroriste contre le métro de New York au cours de la période des fêtes (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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