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Les attentats de Bruxelles et l’islamophobie libérale

Les sondages montrant que les musulmans ne sont pas plus susceptibles d’accepter la violence que les autres groupes brillent par leur absence dans les médias américains

Juste après les attentats en Belgique, des commentateurs sur les réseaux sociaux ont commencé à relier ces actes terroristes à la foi musulmane, le hashtag #StopIslam apparaissant dans les tendances sur Twitter.

Les données empiriques montrent que l’islamophobie, définie par le professeur Todd Green comme « une peur irrationnelle, une hostilité ou une haine des musulmans ou de l’islam » est en hausse dans la société américaine.

Beaucoup d’Américains ont de plus en plus peur des musulmans et, étant donné la hausse des crimes de haine antimusulmans (selon le FBI, ceux-ci ont quintuplé depuis les attentats du 11 septembre), de nombreux musulmans américains craignent également de plus en plus pour leur sécurité personnelle.

Au vu des attentats perpétrés par des extrémistes musulmans – notamment les attentats du 11 septembre 2011 – une certaine crainte des terroristes musulmans est évidemment justifiée. Cependant, en général, l’islamophobie frise l’absurde. Les déclarations, sentiments et politiques islamophobes ont tendance à l’exagération et à la généralisation, et sont dissociés des réalités empiriques.

Les récentes déclarations du favori républicain à la présidentielle, Donald Trump, en sont un parfait exemple. Dans une interview à CNN, Trump a déclaré que « l’islam nous hait ». Celui-ci a également affirmé la semaine dernière que 27 % des musulmans sont des radicaux « très militants ».

Personne ne sait d’où l’équipe de campagne de Trump a sorti ce chiffre. Il peut avoir consulté la célèbre islamophobe Brigitte Gabriel, qui a prétendu que les musulmans radicaux représentaient « entre 15 et 25 % » de la population musulmane mondiale. « Il y a entre 180 millions et 300 millions de personnes attachées à la destruction de la civilisation occidentale », a assuré Gabriel. Personnalité médiatique de premier plan, Glenn Beck a, quant à lui, affirmé que 10 % des musulmans au monde sont des terroristes.

Les soi-disant spécialistes de l’islam Robert Spencer, Sam Harris, Pamela Geller et Ayan Hirsi Ali ont été encore plus directs. Tous ont affirmé que l’islam est une religion adepte de la violence. Spencer a fait valoir que « l’islam traditionnel n’est ni modéré ni pacifique » et que l’ancien dirigeant d’al-Qaïda Oussama Ben Laden a agi de manière « cohérente avec la compréhension traditionnelle du Coran ». Harris a déclaré que « nous sommes en guerre avec l’islam… nous sommes complètement en guerre avec la vision de la vie qui est prescrite à tous les musulmans dans le Coran ». Geller a fait valoir que « le Coran est de la propagande de guerre » et Ali a déclaré que la guerre de l’Occident contre le terrorisme ne doit pas seulement être dirigée contre l’islam radical, mais plutôt contre « l’islam, point final ».

Des déclarations comme celles-ci sont irréfléchies et peuvent contribuer à expliquer pourquoi de plus en plus d’Américains pensent que c’est l’islam le problème, pas seulement les interprétations extrêmes et minoritaires qui en sont faites par le soi-disant État islamique (EI) et al-Qaïda. Une enquête menée en 2011 par le Public Religion Research Institute a montré que 55 % des républicains et 40 % des démocrates croyaient que les extrémistes musulmans qui commettent des violences contre les civils agissent en adéquation avec leur foi. Un sondage de Brookings en 2015 a, quant à lui, révélé que 61 % des Américains avaient une opinion défavorable de l’islam.

Compte tenu de tout cela, il n’est peut-être pas surprenant que tant d’Américains soutiennent ce qu’a proposé Trump en novembre, à savoir « l’interdiction totale pour les musulmans d’entrer aux États-Unis ». Une forte majorité des républicains soutient la proposition de Trump d’exclusion « temporaire » des musulmans, notamment 78 % des républicains en Alabama, 76 % dans l’Arkansas, 76 % dans le Mississippi et 74 % en Caroline du Sud.

Islamophobie libérale

Toutefois, ce serait une erreur de considérer l’islamophobie comme un phénomène strictement conservateur. Les sondages indiquent que 49 % des démocrates ont une opinion défavorable de l’islam. Aussi, Shadi Hamid, spécialiste à la Brookings Institution, a fait valoir que le président américain Barack Obama, un démocrate, a des opinions qui s’apparentent à de « l’exceptionnalisme musulman ». Il soutient que les déclarations d’Obama sur les musulmans suggèrent que ce dernier est « frustré par l’islam » et qu’il a adhéré à la thèse du « choc des civilisations » de Samuel Huntington.

Par ailleurs, les médias américains, notamment les organismes libéraux, ont fait un mauvais travail de contextualisation des sujets concernant les musulmans et l’islam. Un nombre croissant de recherches empiriques sur la couverture de l’islam par les médias américains révèle des tendances profondément problématiques : représentations stéréotypées et négatives, quasiment aucune source musulmane et peu mention des musulmans ou de l’islam dans un contexte d’informations positives. Le fait que les agences de presse américaines réservent le qualificatif « terroriste » presque exclusivement aux violences commises par des musulmans ne peut passer inaperçu pour toute personne faisant attention.

De toutes les recherches récentes sur l’islamophobie, le travail du professeur Chris Bail pourrait être le plus instructif – mais aussi le plus accablant pour les organes de presse américains. Bail utilise l’analyse de contenu informatisé pour montrer que les déclarations islamophobes – publiées par un petit nombre de groupes marginaux antimusulmans – sont beaucoup plus susceptibles de parvenir dans le cycle des informations américaines que les déclarations faites par les groupes de plaidoyer musulmans dénonçant le terrorisme. Les recherches de Bail montrent que si la condamnation du terrorisme par des groupes musulmans n’est généralement pas signalée, les déclarations islamophobes suscitent de nouveaux articles.

Les sondages montrant que les musulmans ne sont pas plus susceptibles d’accepter la violence que les autres groupes brillent par leur absence dans les médias américains. Par exemple, un sondage réalisé par Gallup World Violence en 2011 a révélé que les musulmans étaient tout aussi susceptibles que les non-musulmans de rejeter les actes de violence de groupes d’autodéfense contre les civils.

Aux États-Unis, les résultats des sondages sont encore plus marqués dans cette direction. Un sondage mené par Gallup en 2011 a révélé que les musulmans américains étaient les moins susceptibles de tous les groupes religieux américains interrogés à accepter la violence de groupes d’autodéfense contre les civils. Au total, 26 % des protestants, 27 % des catholiques, 22 % des juifs, 19 % des mormons, 23 % des athées, mais seulement 11 % des musulmans américains ont déclaré qu’il était « parfois justifié » qu’« une personne physique ou un petit groupe de personnes cible et tue des civils ».

En ce qui concerne les véritables terroristes, la CIA estime qu’il y a environ 30 000 djihadistes musulmans dans le monde entier. Un dirigeant kurde a suggéré que la CIA sous-estime la menace djihadiste et affirme que le nombre total est plus proche de 200 000. Même en se basant sur le chiffre le plus important, les djihadistes représentent au maximum un total de 0,01 % des 1,8 milliard de musulmans au monde.

Les médias de divertissement américains font partie du problème. Jack Shaheen, spécialiste des médias, a réalisé une analyse de contenu de plus de 900 films hollywoodiens avec des personnages arabes ou musulmans. Shaheen a conclu que les personnages musulmans ne jouent presque jamais des rôles positifs ou neutres. L’écrasante majorité des films qui contiennent des personnages arabes ou musulmans les représente comme des ennemis, des terroristes, des violents, des sauvages ou des arriérés.

Personne ne suggère que les médias américains et le discours politique devrait éliminer toute mention du terrorisme perpétré par des musulmans. Al-Qaïda et le groupe État islamique sont des menaces réelles et une certaine attention, l’inquiétude et la peur sont justifiées. Cependant par rapport à d’autres menaces de violence, le terrorisme musulman recueille une attention exagérée dans les informations et la politique américaines.

Au cours des quatorze années écoulées depuis le 1er janvier 2002, les terroristes musulmans ont tué 45 Américains aux États-Unis, un nombre inférieur au nombre de victimes des terroristes conservateurs au cours de la même période. En outre, depuis le début de l’année 2002, il y a eu plus de 200 000 homicides par arme à feu aux États-Unis et des centaines de fusillades.

Des présentations plus équilibrées et réalistes permettraient d’améliorer significativement la vie politique américaine. Toutefois, compte tenu de l’importance des financements reçus par l’industrie de l’islamophobie, les gens ne devraient pas retenir leur souffle en attendant des présentations plus justes et moins sensationnelles.

Dr Mohamad Elmasry est professeur adjoint au département de la communication de l’Université de North Alabama.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un groupe d’étudiants musulmans prend des selfies avant le discours du candidat républicain à la présidentielle Donald Trump lors d’un rassemblement de campagne, le 5 mars 2016, à Wichita (Kansas). Pendant le discours, après avoir exprimé quelques protestations, ils ont été expulsés du centre des congrès (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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