Aller au contenu principal

Les « câbles espions » révèlent les opérations du Mossad en Afrique du Sud

Des « câbles espions » divulgués récemment par Al Jazeera exposent les activités d’un réseau de bénévoles au service du Mossad israélien en Afrique du Sud

Fin février, Al Jazeera a publié une série de « câbles espions » vraisemblablement acquis auprès d’une source des services de renseignement sud-africains. Un grand nombre de ces documents concernent la relation du Mossad avec les services de renseignement sud-africains (SASS) ainsi que son rôle dans d’autres pays africains. Les câbles, qui relaient des informations actuelles sur des événements dans lesquels les SASS ont été directement impliqués, sont sans aucun doute d’une grande crédibilité.

Le Mossad construit un réseau d’agents à l’étranger chargés de collecter des renseignements et de contribuer aux opérations d’espionnage locales. Ces agents ne sont pas les mêmes que ceux utilisés par d’autres agences de renseignement. Ils ne sont pas rémunérés pour leurs services. On les appelle les sayanim (aides bénévoles) en hébreu. Souvent, ce sont des responsables communautaires ou des hommes d’affaires juifs locaux qui endossent ce rôle par sens du dévouement envers Israël. En Afrique du Sud, même des membres du Board of Deputies, la plus haute instance dirigeante de la communauté juive nationale, sont des sayanim.

« Par le biais de factures [de téléphone portable] détaillées, il a été déterminé que [nom de l’agent censuré] a entretenu des contacts réguliers avec les membres du South Africa Board of Deputies », révèlent les câbles contenus dans le rapport Al Jazeera.

« Le Mossad est connu pour utiliser la communauté juive de par le monde [...] dans ses activités de renseignement. Le contact entre [l’agent] et ces membres de la communauté juive d’Afrique du Sud tend à indiquer que le Mossad a eu recours à eux dans ses activités secrètes de collecte d’informations. »

En outre : « Il a également été établi que [l’agent] est resté constamment en contact avec le South African Jewish Board of Deputies [...] Cet organisme exerce une influence directe sur la communauté juive en Afrique du Sud et possède des liens affectifs forts avec l’Etat d’Israël. »

Les sayanim accomplissent des tâches allant des plus banales aux plus stratégiques. Ils organisent les soins médicaux, trouvent les logements, organisent la logistique et financent les opérations. Ils sont régulièrement en contact avec leur intermédiaire du Mossad. Ils doivent également rester à l’écoute sur le terrain et scruter toute information susceptible d’aider l’agent :

« Les sayanim recueillent aussi des données techniques et tous types de renseignements manifestes : une rumeur entendue lors d’un cocktail, un sujet évoqué à la radio, un paragraphe lu dans le journal, et fournissent des pistes pour les katsas [agents de collecte] », indique le rapport.

« L’idée est d’avoir des ressources humaines disponibles en cas de besoin pouvant fournir des services tout en gardant le silence par loyauté à la cause. »

Bien que les sayanim soient des piliers intègres de leur communauté, ils mènent une double-vie intimement liée à l’espionnage israélien. Ils sont des milliers, peut-être même des dizaines de milliers à travers le monde. Selon les estimations des « câbles espions », en 1998 ils étaient 4 000 rien qu’au Royaume-Uni.

Cette cooptation de la communauté juive locale constitue un précédent alarmant. Dans de nombreuses sociétés de la diaspora, les juifs sont accusés de faire double allégeance et on leur reproche le fait que leur allégeance envers Israël serait plus forte que celle envers leur pays d’origine (souvent en raison de déclarations faites par les dirigeants israéliens eux-mêmes les impliquant dans la vie politique israélienne). Dans la plupart des cas, les juifs rejettent ces allégations considérées comme de la propagande antisémite. Or les révélations relatives à la pratique du sayan par le Mossad et à la transformation des juifs locaux en sources d’informations pour les services de renseignement israéliens font à nouveau resurgir ces accusations. Et cette fois, elles sont justifiées.

La compagnie aérienne El Al, une couverture pour le Mossad     

Les SASS révèlent qu’ils sont pleinement conscients qu’El Al constitue un atout majeur du renseignement israélien. Selon un documentaire de la télévision sud-africaine et les câbles eux-mêmes :

« Les agences d’espionnage d’Afrique du Sud concordent sur le fait [...] qu’Israël utilise son transporteur national, El Al, comme couverture pour ses agences de renseignement. »

« Des espions [israéliens] ont procédé à des fouilles clandestines [dans les aéroports] de biens appartenant à des personnes qu’ils jugeaient suspectes, en violation du droit sud-africain, qui stipule que seuls la police, les forces armées ou le personnel embauché par le ministère des Transports sont habilités à effectuer de telles recherches. »

En 2007, un scandale majeur avait éclaté lorsqu’un agent de sécurité d’El Al avait dénoncé ces pratiques et fait savoir à la télévision sud-africaine qu’El Al était essentiellement une façade pour le renseignement israélien. Ces révélations avaient provoqué une rupture entre les deux nations, l’Afrique du Sud menaçant d’annuler les droits d’atterrissage d’El Al dans le pays. En conséquence, un responsable de la sécurité de la compagnie aérienne israélienne avait été expulsé.

Le câble détaille également les méthodes par lesquelles le Mossad exploitait sa couverture El Al pour aider à la collecte israélienne de renseignements :

« Les services de renseignement israéliens sont connus pour utiliser El Al comme couverture pour ses agents [...] Quarante-cinq personnes sont employées par El Al en tant que personnel de sécurité à l’aéroport international JHB [Johannesburg] et huit sont employées pour la gestion de la cargaison et des passagers [...] Le personnel d’El Al a le privilège de ne pas être fouillé dans les zones réglementées. Les responsables d’El Al sont également autorisés à voyager librement avec leurs armes [...] Quand un vol de Tel Aviv arrive [...] le personnel d’El Al se déguise en passagers, dissimulant des radios bidirectionnelles. Aux points de contrôle, ils montrent simplement leurs cartes El Al et sont autorisés à traverser toute zone réglementée de l’aéroport [ainsi que] cela a été accepté par [la sécurité sud-africaine]. »

On y lit également : « Un officier du renseignement israélien peut entrer en Afrique du Sud et sous [...] couverture en tant que membre El Al passer par tous les points de contrôle de l’aéroport sans présenter le moindre document. »

Selon le câble, le chef de la sécurité d’El Al nommé récemment à l’aéroport  Oliver Tambo était soupçonné d’être un agent du renseignement.

Les agents de sécurité d’El Al harcèlent régulièrement les voyageurs sud-africains dans les aéroports. Un responsable du syndicat sud-africain des travailleurs municipaux (South African Municipal Workers Union – SAMWU) se rendant en Israël pour participer à une conférence contre l’occupation en Cisjordanie a subi une fouille corporelle, a été interrogé et détenu avant le décollage de son vol. Il a été escorté jusqu’à son avion par la sécurité israélienne une minute avant le décollage.

Le Mossad a dérobé les plans d’un missile antichars sud-africain

En 2010, le Mossad, par l’intermédiaire de Yitzhak Thalia, un homme d’affaires israélien et possible agent du Mossad, a acheté les plans du nouveau missile air-sol antichars Mokopa conçu par le fabricant d’armes sud-africain Denel. Un cadre dirigeant de Denel et le directeur général d’un sous-traitant les proposaient à la vente à des agents du renseignement de différents pays disposés à l’acheter.

Après la découverte de ce vol et de la vente, l’Afrique du Sud a demandé au Mossad une explication concernant l’acquisition des documents secrets et exigé leur restitution. L’agence a répondu en refusant d’enquêter sur ce crime ou de révéler quoi que ce soit à ce sujet. Elle a néanmoins « généreusement » offert de les restituer en geste de bonne foi à la lumière des excellentes relations entre les deux pays. Les renseignements sud-africains ont gardé secrète l’implication d’Israël, jusqu’à sa divulgation par Al Jazeera.

Même lorsque les deux entrepreneurs ont été jugés pour la vente des plans, le rôle joué par l’agent présumé du Mossad qui les avait achetés a été caché. En fait, le procureur général a menti en disant que les plans n’avaient jamais été compromis.

Le Mossad et le BDS s’affrontent en Afrique du Sud

Le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) en Afrique du Sud irrite particulièrement Israël et ses services de renseignement. Israël comprend le rôle international joué historiquement par un mouvement similaire dans le renversement du gouvernement d’apartheid. Ce précédent inquiétant amène Israël à être particulièrement vigilant pour contrer ce qu’il perçoit comme la montée en puissance en Afrique du Sud du mouvement contre l’occupation et l’apartheid israéliens.

En juillet 2012, le ministre des Finances sud-africain a reçu une mystérieuse lettre, remise en main propre. Cette lettre proviendrait d’un groupe anonyme d’agents du Mossad qui prétendaient avoir créé les virus Stuxnet et FLAME. Ils y menaçaient de perpétrer des cyber-attaques contre les principales cibles financières et bancaires sud-africaines si le système judiciaire et policier du pays ne réprimait pas le mouvement BDS et n’arrêtait pas ses dirigeants dans les trente jours suivants. Selon le câble, des Israéliens travaillant dans les secteurs des télécommunications et de l’informatique sud-africains auraient la capacité de mettre en œuvre une telle attaque et pourraient participer à ce projet.

Israël craint que si rien n’est fait, l’activisme pro-Palestine déclenchera un processus irrésistible, conduisant l’Afrique du Sud à rompre ses relations diplomatiques avec Israël. Cela pourrait marquer le début d’une sorte d’effet domino, celui-là même qui a finalement fait tomber le gouvernement d’apartheid à l’époque.

La communauté juive, selon les câbles, a été incluse dans les objectifs des services de sécurité d’Israël. Les juifs sud-africains ont fondé une agence de conseil en sécurité, la Community Security Organisation (CSO), qui fonctionne en quelque sorte comme une organisation paramilitaire. Elle assure la sécurité des responsables, événements et institutions communautaires. Si la communauté juive est attaquée par des islamistes radicaux ou des éléments pro-palestiniens, le rapport des SASS fait craindre que la CSO se fasse justice elle-même et riposte contre des cibles considérées comme la cause de la violence contre les juifs. Ce rapport soupçonne également la CSO d’entretenir des contacts étroits avec le Mossad et de jouer un rôle dans la protection des intérêts israéliens en Afrique du Sud.

Comme mentionné plus tôt, la fusion des intérêts d’Israël avec ceux de la communauté juive locale pose un sérieux problème. Lorsqu’Israël bombarde Gaza ou le Liban, tue des scientifiques ou des généraux iraniens ou vole des terres palestiniennes, il se peut que le monde arabe ne comprenne pas la nuance qui distingue les actions israéliennes de la diaspora juive. Si ces juifs (tout comme les dirigeants d’Israël) ne se distancent pas d’Israël – si, en fait, ils font délibérément l’amalgame – alors comment peuvent-ils attendre des non-juifs qu’ils fassent la distinction ?

Arrêter les activités terroristes supposées du Hezbollah et de l’Iran en Afrique du Sud

Un des principaux objectifs des activités du Mossad en Afrique du Sud est d’identifier les éventuelles menaces islamistes et attaques terroristes. En fait, le Mossad a mis les SASS dans l’embarras en affirmant publiquement que des membres du Hezbollah avaient planifié une grande partie de l’attaque de Bourgas en Afrique du Sud.

En 2007, l’agence de renseignement israélienne a identifié un Iranien à Capetown comme une menace terroriste en raison de ses liens étroits avec un membre présumé du Hezbollah au Liban. Lors d’une réunion entre un haut responsable du Mossad et les SASS, le responsable israélien a demandé un échange de bons procédés : pour avoir alerté les services sud-africains, le Mossad voulait qu’ils surveillent le suspect et informent régulièrement les Israéliens de ses activités. Le responsable sud-africain a déclaré à son homologue que cela allait à l’encontre du protocole et ne pouvait se faire. Le responsable du Mossad est alors parti en claquant la porte.

En outre, le Mossad suspecte des hauts responsables politiques sud-africains d’avoir de la sympathie pour l’Iran et d’être disposés à contribuer à son programme nucléaire. L’agence estime en outre que l’Iran a acheté les matériaux nécessaires à de telles recherches en Afrique du Sud.

Le Mossad surveille également les œuvres d’associations caritatives locales comme la fondation al-Aqsa et l’African Muslim Agency, qu’il considère comme des intermédiaires dans le soutien au terrorisme palestinien. Ses agents sont connus pour recruter des membres de la communauté musulmane locale et ont été vus en train de communiquer avec eux en secret dans des toilettes et d’autres endroits.

Afin d’assurer la loyauté des agents palestiniens et arabes qu’il recrute en Afrique du Sud, le Mossad a engagé des prostituées pour les « divertir ». Les rendez-vous galants sont photographiés et enregistrés au cas où la recrue changerait d’avis au sujet de sa collaboration.

Un câble datant de 2009 note que les relations entre les services de renseignement des deux pays se sont détériorées à un point tel que le Mossad a rapatrié son responsable sur le terrain. L’officier actuellement en charge de l’Afrique du Sud est désormais basé en Israël.

- Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006 A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir Israël and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : emblème du Mossad.

Traduction de l’anglais (original).

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].