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Les contrats gaziers israéliens forment d'étranges alliances

Dans les années à venir, les gisements de gaz naturel récemment exploités par Israël sont appelés à devenir une part essentielle de son économie

Cette semaine, le monopole des ressources en gaz naturel d’Israël, détenu par Nobel Energy et Delek, est devenu pratiquement inattaquable. En effet, la démission de David Gilo, le chef antitrust local, a été rapidement suivie d'une déclaration du ministre des Finances, Moshe Kachlon, renonçant à toute action contre ce monopole en raison de son étroite amitié avec l’un de ses partisans.

L’une des promesses électorales clé de Kahlon était de briser le monopole de Delek et Nobel. En effet, sa récente carrière politique repose essentiellement sur une réussite : avoir brisé un monopole similaire sur le marché israélien des communications cellulaires. Mais, mardi, Kachlon a annoncé qu’il rendra son portefeuille du gaz au Premier ministre Benyamin Netanyahou, ardent partisan du monopole, qui s’est heurté à plusieurs reprises au précèdent régulateur.

Dans les prochaines années, les ressources en gaz naturel récemment exploitées par Israël sont appelès à devenir une part essentielle de son économie, augmentant son PIB et donnant un nouvel éclairage à sa politique étrangère, passant en effet d'une alliance de la Méditerranée orientale avec Chypre et la Grèce à de nouveaux accords gaziers avec l'Egypte et la Jordanie.

Les découvertes de gaz sont en passe de peser lourdement sur la politique étrangère et militaire israéliennes, en particulier par rapport au Liban, qui conteste à Israël la propriété du champ de gaz de Tamar 1 au nord du pays. La marine israélienne est sur le pied de guerre, prête si besoin à intervenir pour protéger les installations, et les médias israéliens ont souvent suggéré que les plates-formes constitueraient une cible de choix pour le Hezbollah, entre autres organisations paramilitaires.

Dans ce secteur en plein essor, sécurité et volets diplomatiques expliquent partiellement la démission de Gilo. Le régulateur antitrust jouissait d'une considérable autonomie, qui lui permettait de prendre des décisions contraignantes à l’encontre les cartels, décisions ne pouvant être contestées qu’à la suite d’audiences judiciaires longes et coûteuses. Toutefois, le ministre de l'économie, ayant autorité sur le régulateur, peut aussi annuler lesdites décisions en invoquant des motifs de politique étrangère ou de sécurité nationale.

Les alliances avec la Grèce et la Turquie, les protestations du Liban et le potentiel stratégique de ces réserves de gaz pour l'avenir de l'indépendance énergétique d'Israël correspondent à ces deux critères, d'autant plus que la suppression du monopole pourrait compromettre les contrats existant entre les deux partenaires, l'Egypte et la Jordanie.

Et comme si cela ne suffisait pas, Gilo, qui manifeste depuis un an son intention de sévir contre le monopole Delek-Noble, a été confronté à l’opposition non dissimulée de Netanyahou et à la vive impatience des Etats-Unis : le secrétaire d'Etat John Kerry a même téléphoné personnellement au Premier ministre pour lui faire part de ses préoccupations quant au plan de Gilo.

De ce fait, Gilo a décidé de démissionner avant d’être poussé dehors – mais, comme le l’a souligné Shaul Amsterdamski, journaliste chevronné,  dans les colonnes du magazine The Calcalist, cette démission n’apportera pas grand-chose de plus : s'il a démissionné par crainte de voir le gouvernement préserver le monopole en ignorant son avis, cela dispense désormais le gouvernement d’avoir quelqu'un à contredire. L’initiative de Gilo semble davantage motivée par la crainte de se voir contré par le gouvernement, car cela pourrait constituer un précédent, et encourager à l'avenir le gouvernement à intervenir dans d’autres domaines, nuisant ainsi à l’ensemble de la réglementation anti-trust dans ce secteur.

Si la démission de Gilo a été accueillie avec regret et inquiétudes par les observateurs les plus progressistes, la décision de Kachlon, le lendemain, a été reçue avec un mélange de mépris et d'incrédulité. Kachlon s’est fait un nom comme défenseur des consommateurs et des citoyens contre les intérêts commerciaux de multinationales, et a souvent fait part de son intention de briser le monopole Nobel-Delek et d’ouvrir le marché de l'énergie à la concurrence.

Chaque fois que les journalistes mettaient sur le tapis l'amitié de Kachlon avec l’homme d'affaires très discret Kobi Maimon, dont l’entreprise, Isramco, est propriétaire de plus d'un quart du champ de gaz de Tamar, Kahlon balayait tout ça d’un revers de main, en répétant que ça n'avait rien à voir et pas beaucoup d’importance. Mercredi, Kachlon a encore répété qu’il était indispensable de remettre en question le monopole du gaz, pour ensuite effectuer un parfait virage à 180° : contrairement à ce qu’il avait dit précédemment, il a annoncé qu’il ne pourrait pas, en toute bonne foi, relever le défi de briser le monopole – du fait de son amitié avec Kobi Maimon.

Le ministre des Finances vient donc de retourner scandaleusement sa veste, mais il ne devrait pas trop en pâtir politiquement, et ni la démission de Gilo, ni la rétrocession par Kachlon du portefeuille gazier à Netanyahou ne devraient provoquer de sérieuses protestations ; en effet, le marché du gaz naturel en Israël est encore trop jeune pour qu’une culture politique significative ait eu le temps d’y émerger – pour tout dire, il ne fait pas encore partie du débat public, contrairement au rôle joué par ce secteur en Scandinavie, par exemple.

Par ailleurs, des décennies de privatisations agressives ont tellement habitué les Israéliens à voir les énormes sociétés se tailler la part du lion dans les profits générés par les ressources naturelles ; ils sont ainsi devenus plutôt apathiques– et la philosophie nationaliste des dominations collectives sur la terre d'Israël ne se traduit plus par un sentiment de propriété ou de responsabilité collective ; Dead Sea Works, contrôlée par la famille Ofer, en est un cas d'école, elle qui, jusqu'à la découverte des gisements de gaz était la principale société à exploiter les ressources naturelles sous contrôle israélien.

Ces deux éléments brident l'imagination populaire quant aux avantages à attendre d’un éclatement de ce monopole, ou d’une moindre prise de bénéfices par l’Etat. De plus, les Israéliens ont tellement vu leurs hommes politiques (comme ceux du monde entier) revenir sur leurs promesses électorales, qu'ils seraient étonnés du contraire. Ce qui rappelle immédiatement que Sir Malcolm Bruce a traité les hommes politiques de menteurs invétérés ainsi que l’adage de Terry Pratchett sur l'installation de détecteurs de fumée en enfer.

Pourtant, le peu de réaction à l'idée même de contester un jour le monopole du gaz est riche d'enseignements politiques, aussi déprimants qu'ils soient. Malgré les difficultés – dont, et pas le moindre, le refus délibéré de traiter l'occupation des territoires palestiniens – les manifestations de 2011 en faveur de la justice sociale ont été saluées pour avoir bouleversé les fondements du débat politique israélien, en faisant évoluer le débat public sur la sécurité et le nationalisme vers un débat sur la solidarité de classe, sur le capitalisme et sur l'Etat-providence. Si l'on en juge par le haussement d'épaules agacé du public israélien cette semaine, il semble bien que ce changement, dans le futur proche, ne dépassera pas le simple niveau du débat.

Traduction de l'anglais (original) par Dominique Macabies.

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