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Les doutes concernant le futur d’Abbas mettent en lumière un plus grand malaise

Les incertitudes concernant le possible départ de Mahmoud Abbas dépassent la simple bataille de succession, et le malaise ne se cantonne pas à un seul homme

Mahmoud Abbas a reçu l’appui des électeurs palestiniens en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza pour la dernière fois il y a plus de dix ans. Il a maintenant 80 ans, sans vice-président, sans successeur officiellement désigné, et sans perspective de nouvelles élections dans un futur proche.

L’été dernier, Gaza a fait l’actualité lorsqu’Israël a déclenché une vague de violences sans précédent sur l’enclave assiégée. Pendant ce temps en Cisjordanie, Israël menait une campagne de répression dont on n’avait pas vu l’équivalent depuis la seconde Intifada.

Cet été en revanche, alors que le processus de paix ne présente aucun signe de sortir de son coma et qu’une relative accalmie s’est opérée dans la violence de l’occupation, les machinations politiques internes qui s’intensifient à Ramallah ont accaparé l’attention – et en particulier le point d’interrogation au sujet de la présidence d’Abou Mazen (Mahmoud Abbas).

En juin, Yasser Abd Rabbo a été démis de ses fonctions de secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) par Abbas, et remplacé par Saeb Erekat. On a interprété ce geste comme étant motivé par l’intimité présumée entre Abd Rabbo et deux rivaux d’Abbas, Mohammed Dahlan et Salam Fayyad.

Puis, le 23 août, Abbas a démissionné de son poste de président du comité exécutif de l’OLP, de même que plus de la moitié des 18 membres qui le composent, contraignant le Conseil national palestinien (CNP) à organiser une réunion d’urgence pour élire les nouveaux membres du comité. Ceux qui ont démissionné auront la possibilité de revenir par le biais de l’élection.

Le Conseil national palestinien s’est réuni pour la dernière fois en 2009, également en session d’urgence, pour remplir six postes vacants. Les dernières élections du comité exécutif avaient eu lieu en 1996 au cours d’une séance du Conseil national palestinien dans la bande de Gaza. On prévoit que la prochaine réunion du CNP aura lieu à Ramallah d’ici un mois.

Cependant, et de façon quelque peu surréaliste, une incertitude demeure quant à la mise en œuvre de ces démissions. Comme l’écrivait récemment dans al-Ayam Hani al-Masri, analyste respecté :

« [Erekat] a nié la démission – apparemment pour justifier son élection comme secrétaire du comité exécutif pendant la séance durant laquelle les démissions auraient été présentées ; mais s’ils ont démissionné, comment a-t-il pu être choisi pour un poste qu’il occupait déjà avant la session ? Et s’ils n’ont pas démissionné, pourquoi le comité exécutif a-t-il été invité à une session extraordinaire ? »

Ces interrogations sont révélatrices de jeux de pouvoir internes qui, tout en étant prévisibles, n’en sont pas moins tristes pour les Palestiniens. En outre, ces ultimes développements ne sont ni les premières, ni évidemment les dernières manœuvres au sein du Fatah en prévision de l’après-Mahmoud Abbas.

Il est question à Ramallah de diverses factions qui se préparent à une lutte pour le pouvoir, consolidant leurs appuis – rassemblant même des armes à feu. Celui qui succèdera finalement à Abou Mazen ne le fera probablement pas grâce aux urnes.

Mais le départ d’Abbas est-il vraiment imminent ? Certains commentateurs en sont persuadés : début août, Daoud Kuttab insistait sur « son âge et son insistance répétée qu’il n’a pas l’intention de se présenter à de nouvelles élections, de même que ses commentaires les plus récents sur son empressement à démissionner ».

Alors que « certains des actes [d’Abbas] durant le printemps et l’été 2015 renvoient plus l’image d’un dirigeant se cramponnant au pouvoir que cherchant à s’en défaire », Kuttab déclare néanmoins qu’il est « inévitable qu’Abbas se retire à cause de son âge et de l’insatisfaction du public vis-à-vis de sa politique ».

Citant « des sources palestiniennes bien informées », al-Masri est récemment parvenu à une conclusion similaire : Abbas « envisage de démissionner dans les quelques mois qui viennent », et le fera probablement entre la réunion du CNP prévue pour septembre et le rassemblement du Fatah « programmé pour la fin novembre ».

Officiellement, c’est une autre histoire. Le 11 août, Mahmoud al-Aloul, membre du comité central du Fatah, a déclaré qu’en réalité Abbas continuerait à diriger le mouvement et que la 7e conférence du Fatah adopterait un programme largement semblable à celui énoncé en 2009.

D’autres ont suggéré que les actions d’Abbas, « loin de signifier un retrait du pouvoir », ont pour but de « réaffirmer » son autorité à travers des « élections surprises ». Même s’il démissionnait, Abbas pourrait chercher à « se retirer en s’assurant d’abord une démonstration de légitimité renouvelée, [pouvant ainsi] laisser ses alliés politiques au pouvoir derrière lui ».

Qu’Abbas reste ou s’en aille, il y a des questions plus importantes en jeu : en effet, l’Autorité palestinienne ne peut pas « se permettre une crise du leadership ». Ainsi qu’Alaa Tartir, directeur de programme au think tank al-Shabaka, l’a récemment affirmé, la crise actuelle est une manifestation des courants autoritaires qui font partie intégrante du soi-disant projet d’édification de l’État, surtout depuis 2007.

« La question-clé qui doit être posée à ce stade », m’a dit Tartir, « est la suivante : ‘’où est la place du peuple palestinien dans leur système politique ?’’ ». Sans « une structure politique centrée sur le peuple », poursuit-il, « le manque de légitimité va continuer à s’accroître, et les institutions de l’OLP vont demeurer en état de mort clinique ».

L’unité nationale, après un remaniement du cabinet en juillet vivement critiqué par le Hamas, reste une perspective plus chimérique que jamais. En attendant, convoquer le CNP à la hâte, « sans s’assurer la participation de toutes les nuances du spectre politique et des signataires de l’accord du Caire [de réconciliation nationale de 2011] » ne fera « qu’exacerber, fragmenter et aggraver les divisions de la situation palestinienne. »

En dépit des déclarations de Netanyahou, la réalité de l’après-Abbas pourrait bien ne pas être au goût d’Israël. Étant donné qu’une des raisons clés du désir d’Abbas de quitter la scène est sa désillusion et sa frustration vis-à-vis des États-Unis et d’Israël – une reconnaissance implicite du fait qu’il a obtenu très peu de résultats après une décennie de « stratégie basée sur les seules négociations » –, quelle conclusion son successeur va-t-il en tirer quant à la meilleure stratégie pour aller de l’avant ?

Cependant, toute interrogation sur la manière de se confronter à Israël est difficile à dissocier du malaise généralisé qui affecte la scène politique palestinienne, qu’il s’agisse de la corruption « structurelle » constatée depuis longtemps ou de la façon de faire face aux opinions divergentes, telles que celles exprimées par certains étudiants activistes, et qui inclue entre autres la détention et l’usage de la violence.

Pour certains, tout ceci ressemble à un « État policier », mais il serait plus correct de dire qu’il s’agit d’un État policier potentiel, un royaume d’autorités mesquines façonné par les forces fragmentaires et démobilisatrices de la « réforme » néo-libérale et de la « coopération sécuritaire ». Récemment, une banderole accrochée à Ramallah appelait à soutenir Abbas contre les « conspirations intérieures et extérieures ». Il ne s’agit pas là d’un régime qui déborde de confiance dans sa validation par le public.

Mouin Rabbani, qui a récemment expliqué dans un article pourquoi une nouvelle Intifada aurait peu de chances de se produire de sitôt, a décrit le leadership de Ramallah comme étant « opposé à une mobilisation populaire ». En fin de compte, il pourrait pourtant s’agir de la seule solution aux crises qui affectent les institutions politiques.

- Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Ses articles ont été publiés par divers médias, dont Middle East Monitor, Al Jazeera, al-Araby, Huffington Post, The Electronic Intifada et The Guardian.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président palestinien Mahmoud Abbas lors d’une rencontre avec les membres du conseil exécutif de l’OLP à Ramallah, Cisjordanie, le 22 juin 2015 (AA).

Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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