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Les élections municipales libanaises laissent entrevoir un espoir de renouveau politique

Bien que Beirut Madinati n’ait pas gagné, cela reste la première initiative du genre au Liban, conduisant les élites politiques à s’inquiéter et à s’unir contre elle

Dimanche, le Liban a connu ses premières élections en quatre ans avec la tenue d’élections municipales. Celles-ci étaient un événement historique car c’était la première fois qu’une liste technocratique de candidats indépendants ne faisant pas partie d’un parti politique (appelée « Beirut Madinati » ou « Beyrouth ma ville ») participait aux élections municipales dans le gouvernorat de Beyrouth dans une tentative visant à remettre en cause le statu quo.

Beirut Madinati n’a pas gagné un seul siège et la liste qui prévaut à Beyrouth, dénommée « Beyrouthins », représente les partis politiques dominants du Liban. La liste Beyrouthins a toutefois réuni des candidats de deux principaux camps politiques du Liban – ceux du 8 Mars et du 14 Mars – qui jusque-là s’affrontaient lors des élections.

Le processus politique est resté gelé pendant des années au Liban, ce qui a redonné de l’importance aux élections municipales – auxquelles peu d’importance était accordée au Liban par le passé – puisqu’elles ont constitué la seule chance pour les habitants d’exercer leur droit de vote dans le contexte libanais actuel.

Aucune élection législative n’a eu lieu au Liban depuis 2009 en raison de l’impasse politique entre les blocs du 8 Mars et 14 Mars. L’impasse est le produit de positions opposées des deux camps qui se sont ancrées davantage à la suite du conflit syrien et qui ont conduit au report indéfini des élections tant législatives que présidentielles.

Victoire du statu quo

Le taux de participation catastrophique de 20 % et la victoire des Beyrouthins sur Beirut Madinati soulignent la stagnation de la politique au Liban et représentent l’ancrage du statu quo.

L’architecture politique du Liban a absorbé l’histoire féodale du pays et créé un système de représentation politique sectaire qui a abouti à ce que les dirigeants de cultes soient perçus comme des représentants politiques naturels qui visent à garantir les intérêts des membres de leurs cultes au-dessus de l’intérêt national.

De manière plus générale, que ce soit lors des élections législatives ou municipales, il en résulte que les candidats représentant les différents partis politiques ne proposent ordinairement pas aux électeurs des programmes électoraux incitant les gens à voter pour eux. Il suffit aux candidats d’être sur la liste électorale officielle d’un parti pour que les fidèles de ce parti votent pour eux.

Lors des dernières élections municipales de 2012, un an après le début du conflit syrien, les deux camps politiques ont présenté des listes rivales à travers le Liban. Seuls quelques petits villages ont vu des « listes de consensus » où les candidats des deux camps politiques collaboraient. À Beyrouth, la capitale, et donc le gouvernorat le plus important, la rivalité entre les listes des blocs du 8 Mars et du 14 Mars a été l’une des plus actives et la liste du 14 Mars a remporté la majorité des sièges.

Cette polarisation politique entre les partis politiques appartenant aux camps du 8 Mars et du 14 Mars a continué jusqu’à l’été dernier, lorsque le Liban a connu une crise relative à la collecte des ordures qui a abouti à ce qu’un grand nombre de rues, de forêts et de plages du pays deviennent des dépotoirs improvisés.

La crise a déclenché un mouvement de protestation et de lutte contre la corruption principalement dirigé par les jeunes et réprimé par le gouvernement libanais, souvent par la force brutale. Cependant, le mouvement de protestation a également été en proie à un manque d’organisation et de coordination ainsi qu’à des tensions internes entre ses divers membres, ce qui a conduit à son éclatement en différents groupes rivaux et donc contribué à son déclin rapide.

Au-delà de la crise des ordures

La liste Beirut Madinati est née du mouvement de protestation (des manifestations ont toujours lieu, mais sur une très petite échelle), un grand nombre de ses candidats ayant pris part aux manifestations contre la crise des ordures. Ils espéraient que la crise des déchets aurait souligné l’importance des municipalités. En l’absence de solution à la crise proposée par le gouvernement central, un certain nombre de municipalités a pris l’initiative de trouver des moyens locaux de gérer la collecte des déchets et leur traitement.

Tous ces facteurs – l’absence d’élections législatives, l’échec de la politique de la rue pour forcer le changement et la crise des ordures – ont accru l’attention accordée aux élections municipales. Toutefois, le plus notable est l’attitude des élites politiques appartenant aux blocs du 8 Mars et 14 Mars. La répression du mouvement de protestation par le gouvernement était un effort concerté et coordonné par les deux camps qui ont vu le mouvement de protestation comme une menace potentielle pour le statu quo politique et qui ont temporairement laissé de côté leurs différences pour l’écraser.

Avec l’émergence de Beirut Madinati, les blocs du 8 Mars et du 14 Mars ont une fois de plus choisi de surmonter leurs divergences et créé les « Beyrouthins » comme liste commune de candidats dans le gouvernorat de Beyrouth.

Bien que Beirut Madinati ait présenté le programme électoral le plus sophistiqué parmi toutes les listes candidates à Beyrouth, cela n’a pas incité la liste Beyrouthins à suivre son exemple. Les Beyrouthins ont compté sur le fait que leurs fidèles poursuivent la tradition du vote sur la base du clientélisme. Outre le fait qu’une personnalité importante du mouvement de protestation, l’ancien ministre Charbel Nahhas, ait formé sa propre liste électorale, Beirut Madinati a également fait face à certains des défis que le mouvement de protestation connaît en ce qui concerne les rivalités entre ceux qui sont censés avoir les mêmes points de vue et objectifs. Quoi qu’il en soit, un nombre écrasant d’électeurs de Beyrouth ont voté pour les Beyrouthins.

On pourrait soutenir que l’échec du mouvement de protestation a ébranlé le peu de foi dans la capacité de la nouvelle génération à effectuer des changements (ce qui nuit aux perspectives de Beirut Madinati) ou que le manque d’expérience politique chez ses candidats n’a pas inspiré confiance aux électeurs. Cependant, comme la crise des déchets est largement attribuée à la corruption des élites dirigeantes du Liban, il est plus probable que la répression du gouvernement à l’encontre du mouvement de protestation ait entretenu le sentiment d’apathie des citoyens libanais et la futilité du processus politique, en particulier à Beyrouth, au cœur du mouvement de protestation. Ici, le taux de participation a à peine dépassé les 20 %.

Bien que Beirut Madinati n’ait pas gagné dimanche, cela reste la première initiative de ce genre entreprise au Liban, et les élites politiques s’en sont inquiétées suffisamment pour s’unir contre elle. Dans un pays où prévalent la stagnation politique et l’apathie, les développements comme Beirut Madinati montrent à quel point l’appétit pour le changement politique dans le pays est limité, mais constituent également des étapes importantes dans la transformation de l’activisme pour contester le statu quo.

- Lina Khatib est à la tête du programme Moyen-Orient/Afrique du Nord à Chatham House. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @LinaKhatibUK.

- Bassem Deaibess est un activiste écologiste, pour les droits des femmes et civils au Liban.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une Libanaise montre son pouce taché d’encre après avoir déposé son bulletin pour les élections municipales dans un bureau de vote le 8 mai 2016 dans la capitale Beyrouth (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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