Les espions israéliens hors du coup
La campagne dirigée par les Américains contre le groupe État islamique (EI) en Syrie et en Irak, laquelle s’est intensifiée avec les batailles de Mossoul et Raqqa, se fait sans l’implication d’Israël.
Cette réalité, ajoutée à l’incertitude de la transition présidentielle aux États-Unis, a suscité des réactions partagées – voire contradictoires – entre les dirigeants israéliens sous la houlette de Benyamin Netanyahou, d’une part, et ses responsables de la sécurité et des renseignements d’autre part.
Les guerres au Moyen-Orient et les échecs des États de la région ravissent Netanyahou et ses partisans qui arguent que le conflit israélo-palestinien n’est qu’un problème marginal de cette région.
La situation complexe au Moyen-Orient satisfait Netanyahou et son cabinet. En effet, les guerres civiles en Syrie, Libye, Irak et au Yémen divisent le monde arabe et musulman et l’ont poussé au bord de l’abîme, détournant ainsi l’attention du monde du conflit israélo-palestinien.
Netanyahou a pu de ce fait consolider la mainmise d’Israël sur la Cisjordanie occupée et établir de nouvelles colonies juives dans le but de mettre en péril la solution à deux États sans subir de pression internationale sérieuse.
En ce sens, les guerres au Moyen-Orient et les échecs des États de la région ravissent Netanyahou et ses partisans qui arguent que le conflit israélo-palestinien n’est qu’un problème marginal de cette région.
À l’extérieur, lorgnant à l’intérieur
Cependant, ce qui semble être un cadeau pour Israël ne constitue pas non plus une très bonne nouvelle pour ses agences militaires et de renseignements. Ils se retrouvent en dehors de l’agenda mondial et se sentent superflus et même hors du coup.
Israël, par nature, n’aime pas se positionner comme une force négligeable. Le fait qu’Israël joue un rôle très minime, voire aucun rôle, dans la guerre mondiale contre des organisations djihadistes comme l’EI et al-Qaïda frustre ses chefs de la sécurité.
D’une part, le consensus en Israël veut que le pays reste en dehors des guerres au Moyen-Orient. Les ministres et les chefs militaires israéliens sont beaucoup plus sobres que par le passé et leurs aspirations sont très modestes. Ils savent qu’il est inutile d’offrir leurs services à la campagne dirigée par les États-Unis.
Les ministres et les chefs militaires israéliens sont beaucoup plus sobres que par le passé et leurs aspirations sont très modestes. Ils savent qu’il est inutile d’offrir leurs services à la campagne dirigée par les États-Unis.
Pourtant, si cela a un sens sur le plan rationnel, les instincts des responsables de l’espionnage sont une autre affaire. Le simple fait qu’Israël ne s’implique pas dans des opérations se déroulant près de sa frontière frustre son armée et ses renseignements. La frustration est d’autant plus grande si l’on tient compte des forces spéciales américaines, britanniques, australiennes, canadiennes, françaises et allemandes qui opèrent dans des missions secrètes en Syrie, en Irak et en Libye.
Ni ces pays ni leurs homologues ne sont terra incognita pour les unités spéciales d’Israël. Ils y ont opéré par le passé et ils s’entraînent, échangent leurs connaissances et coopèrent avec leurs homologues occidentaux.
Les frustrations et la jalousie ne sont pas seulement des caprices de soldat. Les liens militaires et de renseignements sont enracinés dans la notion de pertinence. Les soldats et les espions sont considérés comme utiles et appréciés lorsqu’ils aident leurs homologues.
Si vous n’avez pas les connaissances ou ne pouvez pas mener vos activités à votre plein potentiel, vous êtes négligés et ignorés. Et il n’y a pas d’humiliation plus grande pour la communauté des renseignements israéliens que lorsque vous vous sentez superflus parce que vos alliés vous ignorent.
Succès opérationnels
L’une des principales caractéristiques du Mossad et des services de renseignements militaires (avec la détermination, l’audace, la créativité et le fait de sortir des sentiers battus) était que leur connaissance était essentielle pour comprendre les processus et les développements de la région.
Les nombreuses réalisations remarquables des renseignements israéliens résultaient de leur capacité d’obtenir de bonnes informations et de les partager avec leurs amis – ou de les utiliser pour se faire de nouveaux amis.
La reconnaissance des capacités de renseignement d’Israël et la crainte de l’Iran ont également rapproché d’Israël des nations arabes comme l’Arabie saoudite, les EAU et Bahreïn au cours des dix dernières années.
Par exemple, les renseignements israéliens ont réalisé des progrès importants dans la bataille pour ralentir le programme nucléaire de l’Iran tout en travaillant avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres services de sécurité occidentaux. Parmi eux, l’opération conjointe israélo-américaine qui a installé le logiciel malveillant « Stuxnet », lequel a endommagé des milliers de centrifugeuses iraniennes.
Dans une autre mission conjointe, les agents du Mossad et de la CIA ont collaboré en 2008 pour assassiner Imad Mughniyeh, mieux connu comme le « ministre de la Défense » du Hezbollah.
La reconnaissance des capacités de renseignement d’Israël et la crainte de l’Iran ont également rapproché d’Israël des nations arabes comme l’Arabie saoudite, les EAU et Bahreïn au cours des dix dernières années, lesquelles étaient prêtes à coopérer secrètement – mais pas publiquement – avec Israël. Bien qu’aucun de ces pays n’ait eu de relations diplomatiques avec l’État juif, ils avaient besoin des excellentes technologies et informations des services de renseignements d’Israël.
Information en tant que monnaie d’échange
Quand il s’agit de la guerre contre l’EI et d’autres groupes djihadistes, Israël fait de son mieux pour obtenir autant d’informations que possible à leur sujet. Mais les ressources, les capacités et la portée de ses trois services de renseignements sont limitées dans le monde des djihadistes.
Israël suit les mouvements des groupes djihadistes pour trois raisons principales. D’abord, quelques-uns des rejetons de l’EI et d’al-Qaïda stationnent aux frontières d’Israël avec la Syrie et l’Égypte. Israël n’est pas leur cible, mais au moins pour le moment, il est important de suivre ses ennemis et de déchiffrer leurs intentions.
Pour rester dans la cour des grands, le Mossad et les renseignements militaires ont besoin d’informations précises et de qualité sur l’EI et d’autres groupes du même acabit, non seulement ceux à proximité des frontières israéliennes, mais aussi plus éloignés.
La deuxième raison est que les terroristes inspirés par ces groupes ont mené des attaques contre des cibles juives en Europe. Les renseignements israéliens se perçoivent également comme des « renseignements juifs » et estiment qu’ils ont la responsabilité de protéger et de déjouer les complots terroristes contre les communautés juives du monde entier.
Le troisième motif est le désir d’être pertinent, ce qui est particulièrement important parce que les relations entre les communautés de renseignement sont fondamentalement déterminées par des intérêts mutuels et un comportement de « réciprocité ». En d’autres termes, lorsque vous avez accumulé et stocké des informations, de préférence des renseignements de qualité, vous pouvez les échanger comme un renvoi d’ascenseur.
Mis à l’écart indéfiniment ?
Pouvoir échanger des informations signifie avoir du pouvoir, de l’influence et du prestige avec l’espoir d’une réciprocité. Pour rester dans la cour des grands, le Mossad et les renseignements militaires ont besoin d’informations précises et de qualité sur l’EI et d’autres groupes du même acabit, non seulement ceux à proximité des frontières israéliennes, mais aussi plus éloignés.
À cette fin uniquement, les services secrets israéliens ont fondé ces dernières années des unités spéciales qui utilisent toutes les techniques de collecte de données qui leur sont disponibles. Mais leur couverture n’est pas suffisante et ils ont l’impression que, pour la première fois dans les longues annales du Moyen-Orient, les renseignements ont été mis à l’écart.
Si cette tendance se poursuit, elle pourrait bien conduire à une diminution de la coopération avec les agences de renseignements internationales et, à son tour, cela pourrait laisser les renseignements israéliens moins bien informés. En fin de compte, cela pourrait nuire à la capacité d’Israël à prévenir les attaques terroristes.
- Yossi Melman est un commentateur spécialiste de la sécurité et du renseignement israéliens. Il est co-auteur de Spies Against Armageddon.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des Druzes résidant en Israël utilisent des jumelles pour observer les combats à la frontière syrienne depuis le plateau du Golan annexé par Israël, le 10 septembre 2016. Un avion israélien a frappé les positions de l’armée syrienne le même jour après qu’un tir provenant de Syrie a touché la zone israélienne du plateau du Golan plus tôt dans la journée (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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