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Les Marocains de l’étranger, des machines à cash sans droits politiques

Près de 13 % de la population marocaine vit à l’étranger. Pourtant, cette diaspora n’a ni droit au vote direct, ni à la représentation au parlement

Ils sont plus de 4,5 millions de Marocains résidant à l'étranger, soit environ 13 % de la population marocaine. Trois millions d'entre eux doivent transiter par le Maroc cette année pour les vacances estivales selon les estimations officielles.

Leur venue est souvent synonyme de revitalisation de l'activité touristique, d'apport en devises – en 2015, la diaspora a transféré près de 5,3 milliards de d'euros vers leur pays d'origine. Mais qu'en est-il de leurs droits politiques ? Une question régulièrement soulevée par les militants et les collectifs associatifs.

À lire la Constitution marocaine, celle-ci semble offrir toutes les garanties pour une meilleure participation politique des Marocains de l’étranger.

À LIRE : Marocains et Tunisiens de France face aux révoltes sociales dans leur pays

Dans son article 17, elle précise qu’ils « jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit d’être électeurs et éligibles. Ils peuvent se porter candidats aux élections au niveau des listes et des circonscriptions électorales locales, régionales et nationales. La loi fixe les critères spécifiques d’éligibilité et d’incompatibilité. Elle détermine de même les conditions et les modalités de l’exercice effectif du droit de vote et de candidature à partir des pays de résidence ».

Et dans son article 18, la loi fondamentale du royaume enjoint les pouvoir publics d’œuvrer « à assurer une participation aussi étendue que possible des Marocains résidant à l’étranger, aux institutions consultatives et de bonne gouvernance, créées par la Constitution ou par la loi ».

Ceux d'entre eux qui souhaitent se porter candidats aux élections sont soumis au bon vouloir des partis politiques

Dans les faits, les Marocains sont loin de « jouir pleinement de leurs droits politiques ». En tant qu'électeurs, ils ne peuvent participer directement aux scrutins et sont soumis au vote par procuration : celui qui souhaite voter doit désigner un délégataire résidant au Maroc, qui procèdera au vote à sa place.

Ceux d'entre eux qui souhaitent se porter candidats aux élections sont soumis au bon vouloir des partis politiques qui, faute de sièges dédiés aux Marocains de l'étranger, les incluent souvent dans les listes nationales des femmes et des jeunes (réservée aux moins de 40 ans).

Vote par procuration dénoncé

Dans son programme, le gouvernement marocain s'est engagé à faire appliquer les dispositions de la Constitution concernant la participation des Marocains de l’étranger dans les institutions nationales.

Vœu pieux ? Car l'engagement ainsi formulé ne précise pas « qu’il s’agit aussi de la représentation parlementaire des MRE lors des prochaines élections législatives », souligne le chercheur Abdelkrim Belguendouz, spécialisé sur les migrations à l’Université Mohammed-V de Rabat, sur le site OujdaCity.

« Si en introduction, la déclaration affirme que le programme gouvernemental "répond aux attentes des citoyennes et des citoyens marocains de l’intérieur et de l’extérieur", tout se passe comme si les Marocains de l’étranger n’avaient aucune attente démocratique ni aspiration politique par rapport au Maroc, alors que la question de leur représentation à la Chambre des députés reste entièrement posée », explique-t-il.

Malgré les demandes formulées par les militants et les collectifs associatifs défendant les droits de la diaspora marocaine, celle-ci n’a ni droit au vote direct, ni à la représentation au parlement.

Le vote par procuration est dénoncé parce qu’il n’offre pas « de garanties assurant le respect du choix politique du procurateur par son délégataire résidant au Maroc au cas où leurs positions politiques seraient divergentes. De même qu’il n’édicte pas de garanties contre la falsification du vote », soutenait une coalition des Marocains de l’étranger peu avant les législatives.

La proposition de loi déposée par le PJD prévoyait la création de quatre circonscriptions électorales

Pourtant, les partis politiques marocains semblent, pour leur majorité, souhaiter que les Marocains résidant à l'étranger bénéficient pleinement de leurs droits politiques.

Au-delà du vote direct, la question de la représentation parlementaire des Marocains de l’étranger a fait l'objet de plusieurs propositions de lois, déposées en 2014 par le Parti de la justice et du développement (PJD), l'Union socialiste des forces populaires (USFP) et l'Istiqlal, qui visaient à mettre en place des circonscriptions pour les Marocains de l’étranger.

La proposition de loi déposée par le PJD prévoyait la création de quatre circonscriptions électorales, dotées, pour celles où résident plus de 200 000 Marocains, de quatre sièges à la Chambre des représentants.

Quant aux régions ne comptant pas une importante communauté marocaine, les députés du PJD proposaient de les unir dans une seule et même circonscription. L'USFP, lui, souhaitait que les MRE soient représentés par 30 députés, et l'Istiqlal par 60.

Des « difficultés techniques et logistiques »

Lors des discussions ayant précédé la révision des lois électorales avant les législatives d'octobre 2016, des partis politiques dont le PJD ont posé la question sur la table, et plaidé pour que le vote direct des Marocains de l’étranger soit activé dès les législatives, et la création de circonscriptions des Marocains de l'étranger étudiée d’ici les prochaines élections.

Le ministère de l'Intérieur avait alors mis en avant les « difficultés techniques et logistiques » posées par le vote direct, et qui ne peuvent être résolues en un laps de temps aussi court.

« Plusieurs questions restées en suspens ont été soulevées par le ministère de l'Intérieur concernant les circonscriptions de l’étranger. Quelle serait leur superficie ? Quel serait le nombre de sièges à consacrer à chacune ? Quid des moyens financiers et logistiques qui devraient être mis à disposition des députés des MRE pour leur permettre d'exercer leur députation sans entrave ? », témoigne à Middle East Eye un cadre partisan qui a participé aux réunions entre les partis politiques et le département de l'Intérieur.

Lors d’une séance au parlement, le ministre de l’Intérieur était même allé plus loin en donnant l'exemple de la diaspora marocaine en Israël, pour justifier la difficulté de mettre en place des bureaux de vote à l’étranger.

Avec 800 000 habitants d'origine marocaine, Israël est le pays où réside la deuxième plus importante communauté marocaine à l'étranger, après la France. La déclaration du ministre de l’Intérieur avait alors été jugée scandaleuse par les ceux qui militent pour le vote des Marocains de l’étranger.

Avec 800 000 habitants d'origine marocaine, Israël est le pays où réside la deuxième plus importante communauté marocaine à l'étranger, après la France

L’autre difficulté mise en avant par le ministère de l'Intérieur au sujet du vote direct : les 92 circonscriptions du Maroc. « À supposer que dans une ville de France où résident des Marocains issus de plusieurs villes, il faut mettre en place, au niveau du consulat, une urne pour chaque circonscription, avec les listes électorales adéquates… », poursuit notre source. 

Sans complètement opposer une fin de non-recevoir aux partis politiques, le ministère de l’Intérieur a invité les formations politiques à approfondir la réflexion sur la question. 

Une force politique qui compte

« Avec les récents événements survenus au Maroc, notamment dans le Rif, on voit bien que les Marocains de l’étranger ne sont pas uniquement des machines à cash qui reviennent périodiquement au Maroc pour les vacances et la famille : ils sont attachés à leur pays, suivent de près ce qui s’y passe. Il y a eu des manifestations, des tables rondes où ils ont exprimé leurs vues sur l’actualité du pays », avance un militant associatif, pour qui « si l’État marocain fait obstacle à une meilleure participation politique des Marocains de l’étranger, c’est parce qu’il s’agit d’une force politique qu’il ne contrôle pas ».

La question de la représentation politique des MRE n’est pourtant pas nouvelle au Maroc. En 1984, le royaume choisissait de créer, pour la première et unique fois, des circonscriptions des Marocains à l’étranger.

Ce qui a motivé cette expérience ? « L'importance croissante de cette partie de la population, son attachement au pays et la masse considérable des devises qu'elle rapatrie justifiaient une représentation au parlement », écrivait le chercheur Alain Claisse en 1984.

Les Marocains de l’étranger ont été représentés par cinq députés. Neuf ans plus tard, leurs circonscriptions sont supprimées sans aucune explication officielle

L’expérience avait également des visées plus politiciennes : « Cette initiative coïncidait avec le débat qui avait suivi l'élection de François Mitterrand sur le droit de vote des immigrés aux élections locales en France », notent Zoubir Chattou et Mustapha Belbah dans leur livre « La double nationalité en question ».

L'enjeu était donc, aussi, de capter cet électorat qui, pour les dirigeants de l'époque, risquait de passer du côté du pays d'accueil. Ce qui n’a finalement pas eu lieu, François Mitterrand n'ayant pas fait adopter la loi relative au droit de vote des étrangers durant son mandat.

Les Marocains de l’étranger ont été représentés par cinq députés, élus dans cinq circonscriptions à l'étranger. Neuf ans plus tard, en 1993, leurs circonscriptions sont supprimées sans aucune explication officielle.
Dans l'ensemble, l'expérience de 1984 n'a pas été un échec total. Et « indépendamment de certaines lacunes, les députés de l’émigration étaient très actifs. Ils ont aussi sensibilisé divers départements ministériels et fait mûrir l’idée d’un interlocuteur unique, qui donnera lieu, fin juillet 1990, à la création du ministère délégué auprès du Premier ministre chargé des Affaires de la communauté marocaine à l’étranger », note le chercheur Abdelkrim Belguendouz.

- Réda Zaireg est un journaliste indépendant marocain. Après avoir travaillé pour l'hebdomadaire francophone TelQuel, il a rejoint la rédaction du journal en ligne marocain Medias24.com, puis le Huffington Post Maroc en tant que journaliste politique.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Des vacanciers attendent d'embarquer sur un ferry pour Tanger, dans le port d'Algésiras, en Espagne, le 30 juin 2017 (AFP).

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