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Les milices kurdes et la nouvelle cause de l’Occident au Moyen-Orient

Tout comme Lord Byron a soutenu la lutte pour l’indépendance grecque, les miliciens kurdes sont soutenus à tort par l’Occident aujourd’hui – et on en ignore encore les coûts

De nos jours, les gens ont tendance à croire que les États-nations tels que nous les connaissons actuellement existent depuis l’Antiquité. Or, par exemple, la Grèce moderne existe en tant qu’État depuis moins de 200 ans, son indépendance datant de 1832. Dans les livres d’Histoire, les gens lisent seulement que la Grèce a été un territoire vassal de l’Empire ottoman et a mis près d’une décennie pour obtenir sa souveraineté au XIXe siècle.

Similairement, beaucoup ont tendance à oublier le fait que ce ne sont pas les Grecs eux-mêmes mais un Anglais qui a aidé à débuter, ou plutôt allumer, le feu de l’indépendance parmi les sujets grecs de l’empire.

Lord Byron, célèbre personnalité britannique de l’époque, galvanisa le soutien pour la cause grecque auprès d’un groupe d’écrivains, d’artistes, d’érudits et de voyageurs européens appelés les philhellènes (admirateurs des Grecs) afin de restaurer ou plutôt régénérer l’esprit de la Grèce antique. Les motivations de ces individus étaient compréhensibles dans la mesure où on leur avait vanté tout au long de leur parcours éducatif les « vertus des Grecs » des temps anciens, notamment la démocratie, la formation de l’État, l’art pour l’art et l’Histoire.

En dépit de leur vision des Grecs modernes comme des esclaves dégénérés, ils espéraient toujours qu’en obtenant la liberté ils pourraient ressusciter l’héritage classique. Ils ont largement contribué à susciter la sympathie pour la cause grecque.

L’émergence de Daech a été une autre source de sympathie, cette fois pour les miliciens kurdes qui combattent, entre autres groupes, cette organisation terroriste. Ayant échoué lors de tentatives précédentes durant les guerres du Golfe, les États-Unis et les puissances européennes sont relativement réticentes à l’idée de s’engager dans les guerres qui ont fait éruption dans la région.

Au lieu d’envoyer des troupes sur le terrain, ils préfèrent apporter leur soutien aux miliciens kurdes en leur fournissant une couverture aérienne, des armes et d’autres équipements. En tant que nouveaux alliés de l’Occident, les miliciens kurdes sont devenus les « nouveaux Grecs du Moyen-Orient ».

Une tendance similaire existe en Irak avec le soutien international pour les peshmergas kurdes, qui combattent eux aussi Daech. Ceci a conduit à une sympathie générale au niveau international envers les miliciens kurdes, au mépris des exactions qu’ils commettent contre leurs semblables ou contre des civils issus d’autres ethnies, comme les Arabes ou les Turkmènes.

Ces miliciens kurdes ont leur propre projet politique et la lutte temporaire contre Daech n’est pas leur principal objectif sur le long terme. L’Occident ne se préoccupe même pas du fait que ces miliciens ne représentent pas vraiment les Kurdes dans leur ensemble ou que de nombreux civils kurdes sont eux-mêmes terrorisés par, ou victimes de, ces seigneurs de la guerre.  

Dans les années 1930, des centaines de gauchistes européens rejoignirent les « brigades volontaires » pour lutter aux cotés des républicains dans la guerre civile espagnole. Aujourd’hui, cependant, la gauche auto-proclamée anti-guerre ne s’est pas aventurée dans une semblable campagne militaire. Au lieu de cela, quelques volontaires individuels ont rejoint « les bons » pour vaincre les « méchants » sur le champ de bataille. On estime qu’une centaine d’étrangers (Européens, Australiens et Américains) ont rejoint les Unités de protection des peuples (YPG) kurdes.

Ces combattants occidentaux pourraient avoir des motivations différentes de celles de Lord Byron en Grèce ou de George Orwell lors de la guerre civile espagnole. Toutefois, certains d’entre eux, en particulier ceux venant de Grande-Bretagne, ont adopté comme profil Facebook des photos de Lord Byron revêtant le costume albanais. On pourrait simplement les considérer comme des aventuriers, mais ils essaient néanmoins de pousser leurs gouvernements à s’impliquer davantage dans la guerre. Ironiquement, de nombreux militants de gauche se décrivant comme pacifiques se sont révélés être des partisans acharnés de la guerre lorsqu’il s’agît de la « bonne » guerre (c’est-à-dire kurde).  

De même, Lord Byron et ses amis philhellènes étaient finalement parvenus à attirer l’attention des puissances européennes en faveur de la révolution grecque pour l’indépendance.

Aujourd’hui, les combattants occidentaux sont indifférents au sort des musulmans marginalisés dans leurs sociétés d’accueil, dont la réalité est plus complexe que la compréhension des combattants idéologiques.

Durant la guerre civile espagnole, les combattants étrangers qui étaient à l’origine venus combattre en Espagne le fascisme de Franco avaient fini par se massacrer entre eux et à précipiter la destruction du pays qu’ils étaient censés sauver. Aujourd’hui, en se rangeant du côté des milices kurdes, ils aident à terroriser les civils innocents de la région – y compris en Turquie.

L’aide occidentale aux milices kurdes syriennes finira par répandre le sang turc aux mains des militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est de la Turquie – un pays qui déjà combat et est victime de la terreur de Daech.

L’opinion publique mondiale fait peut-être la distinction entre les milices kurdes et celles de Daech, mais pour les victimes de ces deux forces dans la région, la terreur reste de la terreur. Les distinctions occidentales ne rendront pas leur vie meilleure.

Ces nouveaux « philokurdes » continueront à soutenir n’importe quelle milice kurde pendant que leurs gouvernements s’embarquent dans de nouvelles tentatives pour refaçonner le découpage de la région institué par l’accord Sykes-Picot. Mais tous semblent oublier que le monde est petit : tôt ou tard, la pagaille que vous créez au Moyen-Orient rejaillira pour vous hanter chez vous.

Ceux qui sont utilisés par l’Occident ne font pas toujours mieux : demandez simplement aux Grecs suite à leur crise financière.

- Ali Murat Yel est professeur d’anthropologie au département de la radio, télévision et cinéma de l’Université de Marmara, Turquie. Vous pouvez le suivre sur Twitter @alimuratyel

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une peinture à l’huile du XIXe siècle représentant Lord Byron en habit grec, datant de la période finale de la vie du poète passée à combattre les Ottomans aux côtés des Grecs (AFP/HO/ONASSIS CULTURAL CENTER).

Traduction de l’anglais (original).

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