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Les outils de la répression israélienne

Israël a réagi à la récente rébellion menée par les jeunes avec une intensification de la politique répressive et des punitions, des méthodes bien trop familières

Les dirigeants israéliens ont l’habitude d’accuser les responsables palestiniens d’« incitation [à la haine] ». Au cours des dernières semaines, pas un jour ne s’est passé sans que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ou des membres de son cabinet n’affirment que le président palestinien Mahmoud Abbas encourage la récente rébellion menée par les jeunes ou en est l’instigateur.

Cela en devient même ridicule. Dimanche, le ministre israélien de l’Énergie Yuval Steinitz a affirmé que « le niveau et l’intensité d’incitation [à la haine] et le niveau d’antisémitisme » d’Abbas « sont similaires à celui d’[Adolf] Hitler ». Deux jours plus tard, Netanyahou a déclaré que c’était le mufti de Jérusalem qui avait convaincu Hitler d’exterminer les juifs.

Le gouvernement israélien réitère ses accusations d’« incitation » à satiété, mais sur le terrain, ses politiques sont sûres d’exciter davantage la colère et la résistance palestiniennes. Cette boîte à outils de la répression, familière mais exacerbée, est destinée à écraser une révolte anticoloniale au moyen de punitions collectives, de mesures discriminatoires et de l’usage de la violence.

Au 21 octobre, on comptait 35 check-points et barrages à Jérusalem-Est occupée, positionnés à des points d’entrée des quartiers palestiniens. À certains endroits, des blocs de béton empêchent complètement le passage des véhicules. Au cours du week-end, une Palestinienne de 65 ans est décédée après avoir été retenue à un check-point lorsque les forces israéliennes ont transformé un trajet de 6 minutes en voiture jusqu’à l’hôpital en trajet de 45 minutes.

Selon l’ONG israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem, les restrictions de la liberté de mouvement des Palestiniens « constituent une sanction collective interdite par le droit international ». Une telle approche, a ajouté l’organisation, est « illégale et immorale ». Après avoir visité Issawiya, un chercheur d’Amnesty International a déclaré que ce qu’il y avait vu « ressemblait à une sanction collective imposée à des milliers de personnes ».

Évidemment, il s’agit d’une réalité bien trop familière pour les Palestiniens en Cisjordanie, où Israël maintient plus de 400 différents types de barrage – des check-points aux monticules de terre. Comme l’a écrit Meron Benvenisti en 2002, la fonction des check-points « est d’envoyer un message de force et d’autorité, d’inspirer la peur et de symboliser la nature d’opprimé et d’inférieur des personnes soumises à l’occupation. »

Dans ses commentaires aux médias israéliens le 16 octobre, le commandant de la police des frontières à Jérusalem a décrit les obstacles comme des « moyens de pression » qui « sont activés pour faire cesser les attaques... afin que les habitants condamnent ces actes et s’y opposent. » Comme l’Association pour les droits civils en Israël l’a fait remarquer, une telle approche « équivaut à une punition collective interdite et, par conséquent, est illégitime et illégale ».

Le gouvernement israélien cherche également à priver de la citoyenneté ou du statut de résident les Palestiniens soupçonnés de perpétrer des attaques. Certains responsables, comme la ministre de la Culture et des Sports, Miri Regev, veulent même révoquer la citoyenneté des parents des agresseurs présumés.

Certains avocats des associations israéliennes de défense des droits de l’homme ont descendu en flammes « la révocation du statut » comme étant « une mesure très extrême, caractéristique des régimes totalitaires oppressifs », notant :

« [B]ien que des juifs aient également été impliqués dans de graves incidents relatifs à la sécurité et à des affaires criminelles, et que certains d’entre eux aient également été condamnés, le statut de résident ou la citoyenneté d’une personne juive n’a jamais été révoqué pour des motifs d’‘’abus de confiance’’. »

Les autorités israéliennes poursuivent également une politique d’arrestations massives, tout en rallongeant la peine pour les personnes reconnues coupables de jets de pierres et d’autres « attaques ». Le 20 octobre, un porte-parole de la police israélienne a affirmé que 490 Palestiniens avaient été arrêtés depuis le début du mois – les autorités promettent des « centaines » d’autres arrestations de jeunes Palestiniens de Jérusalem-Est.

La vague d’arrestations a touché des dizaines de citoyens palestiniens, y compris la détention d’environ 100 militants de Nazareth, Haïfa, Tamra, Jaffa, Taybeh, Umm al-Fahem et Arrabe, en l’espace d’une semaine seulement.

Fin septembre, le gouvernement israélien a émis une ordonnance temporaire « fixant une peine minimale de quatre ans de prison pour les lanceurs de pierres et de bombes incendiaires », laquelle devrait rester en vigueur pendant trois ans. Une autre disposition prévoit la retenue des allocations des parents d’un mineur condamné, si « l’infraction est motivée par des convictions politiques ou en relation avec des activités terroristes ».

En Cisjordanie également, les forces d’occupation israéliennes arrêtent toutes les nuits des dizaines de Palestiniens – 47 personnes ont été arrêtées aux premières heures du 21 octobre – ; environ 450 ont été détenus en l’espace de trois semaines. Rien qu’à Naplouse, environ 70 Palestiniens ont été arrêtés, « certains d’entre eux sont placés en détention administrative, sans inculpation ni jugement ».

En plus des barrages, de la révocation du statut de résident et des arrestations, le gouvernement israélien a réagi avec une extrême violence, tuant et blessant des manifestants palestiniens non armés en Cisjordanie occupée, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza. Cela fait suite à une décision du cabinet de sécurité israélien assouplissant les règles relatives à l’ouverture du feu pour les forces d’occupation utilisant les fusils Ruger (calibre 22 avec des balles réelles).

Comme l’a noté Amnesty International, « les détails de la réglementation relative à l’ouverture du feu régissant l’utilisation des munitions de calibre 22 par les forces israéliennes à Jérusalem et en Cisjordanie n’ont pas été rendus publics ». Ses répercussions sont néanmoins évidentes : l’un des Palestiniens tués ce mois-ci, Abd El-Rahman, 13 ans, a été touché à la poitrine par une balle de calibre 22 dans le camp de réfugiés d’Aida.

Selon B’Tselem, Abd El-Rahman est au moins le quatrième Palestinien tué par des balles de calibre 22 tirées par les forces d’occupation israéliennes depuis janvier 2015, en plus des dizaines de blessés. L’ONG israélienne a observé que les « snipers utilisent régulièrement des balles de calibre 22 sur les Palestiniens dans toute la Cisjordanie ».

Le 9 octobre à Gaza, les forces israéliennes ont massacré des manifestants non armés à la clôture de la frontière, tuant 10 personnes, dont deux enfants. Le lendemain, deux autres Palestiniens ont été abattus à la clôture lors de manifestations similaires. À la mi-octobre, au moins 170 Palestiniens avaient été abattus par balles réelles lors de manifestations le long de la frontière avec Gaza.

Environ 2 000 Palestiniens ont été touchés par des balles réelles ou des balles en métal recouvertes de caoutchouc. En juin, les militants des droits de l’homme déploraient que « l’utilisation fréquente de balles réelles lors de manifestations » constituait « la mise en œuvre d’une politique illégale ». En 2014, 15 % de toutes les blessures des Palestiniens en Cisjordanie avaient été infligées par des balles réelles – en 2013, c’était 4 %.

Le 3 juillet, le colonel Yisrael Shomer a tué un adolescent palestinien qui s’enfuyait, Muhammad Kasbeh, lui tirant trois fois dans le dos après des jets de pierres par des jeunes sur un véhicule de l’armée près du check-point de Qalandiya. Cela contraste avec les nombreux cas au cours des dernières semaines (et avant cela) où les forces d’occupation israéliennes ont regardé faire et protégé les colons juifs jetant des pierres sur des civils palestiniens.

Alors que les forces d’occupation israéliennes abattent des manifestants palestiniens non armés, la police israélienne « continue de ‘’tirer pour tuer’’ dans des circonstances qui ne semblent pas avoir constitué un danger imminent pour eux ou pour les autres », écrit Adalah, un centre juridique pour la minorité palestinienne d’Israël. Ces incidents sont encore plus inquiétants « à la lumière des déclarations prononcées par les politiciens et par les responsables de la police faisant l’éloge de ces mesures prises par la police. »

Un certain nombre d’organisations de défense des droits de l’homme israéliennes ont signé une déclaration commune la semaine dernière, déplorant « une tendance inquiétante à avoir recours aux armes à feu pour tuer des Palestiniens qui ont attaqué des Israéliens ou qui sont soupçonnés de telles attaques ». Cette déclaration constate que « dans les cas où des juifs ont été suspectés d’attaques, aucun des suspects n’a été abattu ».

Enfin, Israël embrasse une politique de démolitions punitives de maisons ciblant celles des attaquants palestiniens présumés. Le 6 octobre, les forces israéliennes ont fait sauter deux maisons à Jérusalem-Est et ont scellé une troisième, « comme punition collective pour les attaques perpétrées par des proches des personnes vivant dans les trois maisons ». Les explosions ont détruit deux appartements adjacents qui logeaient onze personnes, dont sept enfants.

La politique, jugée par l’armée israélienne elle-même comme un « moyen de dissuasion » inefficace en 2005, a repris en juillet 2014, et a été maintes fois entérinée par la Cour suprême d’Israël. Condamnée comme illégale en vertu du droit international par l’ONU et les organisations des droits de l’homme, il s’agit, selon les termes de Human Rights Watch, d’un « crime de guerre lorsqu’elle est menée dans un territoire occupé, notamment Jérusalem-Est ».

Ces diverses réponses apportées par Israël à cette dernière révolte palestinienne sont caractérisées par la brutalité et des violations du droit international humanitaire. Elles sont donc représentatives des conditions d’occupation et d’apartheid qui ont engendré ce soulèvement palestinien en premier lieu. C’est une boîte à outils de répression inhumaine, et au final, contre-productive.
 

Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Ses articles ont été publiés par divers médias, dont Middle East Monitor, Al Jazeera, al-Araby, Huffington Post, The Electronic Intifada et The Guardian.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un soldat israélien procède à l’arrestation d’un Palestinien à Jérusalem-Est (AA).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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