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Les raisons secrètes de la visite de Mike Pompeo au Maroc 

Le secrétaire d’État entame ce mercredi 4 décembre une visite de deux jours au Maroc. Le redéploiement stratégique de l’administration Trump vise à renforcer la « coalition arabe » contre l’Iran et le groupe État islamique en Afrique du Nord
Le secrétaire d’État, Mike Pompeo, est le plus haut responsable américain à se rendre au Maroc depuis l’élection de Trump (AFP)

Historiquement, le Maroc a toujours été considéré comme un allié de choix des États-Unis dans le monde arabe. À l’instar de son père, le roi Mohammed VI a continué d’entretenir des relations amicales avec les Américains.

Lors de la campagne présidentielle américaine en 2016, selon le site WikiLeaks, Mohammed VI a même eu l’outrecuidance de faire le don généreux de quelque 12 millions de dollars à la Fondation Clinton. Ce que le candidat républicain, Donald Trump, s’est empressé de qualifier justement de tentative d’utilisation de l’argent en échange de services.   

Bill Clinton, alors président des États-Unis, reçoit le roi du Maroc, Mohammed VI, à l’occasion d’une cérémonie à la Maison-Blanche, le 20 juin 2000 (AFP)

Du coup, depuis l’arrivée du président Trump, les relations entre Rabat et Washington traversent une zone de turbulences. Aucun haut responsable de l’administration américaine n’a daigné se rendre au royaume. Bien plus, en 2017, Trump aurait même refusé de recevoir, à sa résidence de Miami, le roi Mohammed VI en provenance de Cuba.

Loin d’être en phase de crise, les relations bilatérales maroco-américaines répondent, tout simplement, à des logiques politiques déterminées prioritairement par les intérêts.   

Le secrétaire d’État sera le plus haut responsable américain à se rendre au Maroc depuis l’élection de Trump. Après son arrivée à Rabat, Mike Pompeo va s’entretenir avec le roi Mohammed VI. 

Ivanka en éclaireuse

Derrière les formules diplomatiques se cache un « accord politique » qui traduit la volonté manifeste de l’administration Trump de défendre les intérêts géostratégiques des États-Unis dans la région. 

Pour rappel, cette rencontre a été précédée par la visite d’Ivanka Trump, en novembre, et la participation, le même mois à Washington, du ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, avec son homologue américain, Mike Pompeo, à la quatrième session du Dialogue stratégique Maroc/États-Unis. 

https://web.facebook.com/MarocDiplomatie/videos/1135217956671338/

À la fin de cette rencontre, Pompeo avait mis en avant « le leadership » du roi Mohammed VI dans « la promotion d’un programme de réformes audacieuses et de grande portée au cours des deux dernières décennies » !

À la veille de la conférence de Londres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), l’administration Trump tend vers le renforcement de l’« alliance stratégique » entre les États-Unis et le Maroc. L’objectif étant de s’assurer un positionnement stratégique en Afrique du Nord, dominée par la présence des pays européens. 

Le président américain Donald Trump est arrivé lundi soir à Londres pour le 70e anniversaire de l’OTAN, un sommet qui s’annonce tendu après les propos de son homologue français Emmanuel Macron sur une organisation en état de « mort cérébrale».

Par ailleurs, la diplomatie américaine a qualifié le Maroc de « bon partenaire du contreterrorisme », avec notamment le rapatriement de ses ressortissants qui avaient rejoint le groupe État islamique (EI) en Syrie. 

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À cet égard, il est prévu que l’ex-patron de la CIA rencontre Abdelatif Hammouchi, chef de la Direction générale de la sureté nationale (DGSN) et de la direction de la surveillance du territoire (DST).  La coopération sécuritaire entre le Maroc et les États-Unis s’est d’ailleurs traduite par l’achat d’armement américain, estimé à près d’un milliard de dollars. 

Le Maroc est un partenaire privilégié des États-Unis dans la promotion de la tolérance et le « vivre ensemble ». Le royaume accueille la plus importante communauté juive dans le monde arabo-musulman (près de  3 000 personnes). 

Le Maroc est un « ami d’Israël », comme se plaisait à le répéter Hassan II, qui reçut le Premier ministre israélien, Shimon Perez, en 1986, et choisit de nommer deux Marocains d’origine juive pour occuper respectivement la fonction de ministre et le poste de conseiller royal. 

En 2019, Trump a chargé son gendre et haut conseiller, Jared Kushner, de se rendre au Maroc pour rencontrer le roi et convaincre les juifs d’origine marocaine de soutenir l’« accord du siècle ». Malgré des réticences officielles, le Maroc a été représenté à la conférence économique de Bahreïn, qui s’est tenue en juin et a été boycottée par les Palestiniens.

Donald Trump sait pertinemment qu’il aura besoin de la monarchie marocaine pour vendre son « projet de paix » avec les Palestiniens

Donald Trump sait pertinemment qu’il aura besoin de la monarchie marocaine pour vendre son « projet de paix » avec les Palestiniens.

Après le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, en 2018, le président américain se souviendra longtemps de la manœuvre de Mohammed VI, président du Comité Al-Qods, qui est parvenu, en 2019, à rallier le roi Abdallah de Jordanie, tuteur des lieux saints de Jérusalem, avant d’accueillir le pape au Maroc

Un leadership religieux sunnite (islamo-chrétien) pourrait influer sur la gestion du conflit israélo-palestinien. Le rapprochement de l’administration Trump avec le Maroc vient donc à point nommé alors que le processus de paix est dans l’impasse. 

Le président Trump n’a pas hésité à soutenir les pétromonarchies du Golfe en contrepartie de contributions généreuses à coups de milliards de dollars. La stratégie de l’administration américaine est de consolider la « coalition arabe » des États-Unis et leurs alliés contre la « menace iranienne ». 

Endiguer les ambitions chiites

Concrètement, Trump pourrait compter sur l’engagement de Mohammed VI à endiguer les ambitions chiites dans la région.  

En contrepartie, le roi pourrait réactiver le soutien des pays du Golfe à la proposition marocaine sur le dossier du Sahara occidental

Lors de son interview télévisée sur la chaîne Sky News Arabia, fin septembre à New York, le ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération avait mis l’accent sur le rapprochement du Maroc avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, en déclarant : « La sécurité de l’Arabie saoudite, c’est la sécurité du Maroc ». En même temps, Nasser Bourita a réaffirmé le positionnement du Maroc contre les « menaces et les interventions iraniennes contre d’autres pays arabes, notamment en Afrique du Nord ». 

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Dans un jeu à « somme positive », l’accord politique entre Donald Trump et Mohammed VI consiste, in fine, à offrir une couverture diplomatique à la stratégie israélo-américaine, qui tend à renforcer la suprématie des États-Unis et leurs alliés arabes dans la région. 

De son côté, Trump semble, malencontreusement, disposé à soutenir des régimes arabes non démocratiques et fragilisés par la montée des protestations populaires. 

Au bord d’une crise politique majeure, Mohammed VI semble avoir trouvé la parade en ralliant laborieusement le président Trump, ébranlé par une procédure de destitution. Toutefois, face à la pression américaine, le roi sera certainement amené à faire davantage de concessions, notamment sur la question palestinienne. 

Certes, pour l’instant, cette structure d’opportunités offre au régime marocain un « gage de sécurité » éphémère. Mais elle ne saurait, à terme, lui garantir paix et stabilité. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Aziz Chahir is an associate researcher at the Jacques-Berque Center in Rabat, and the secretary general of the Moroccan Center for Refugee Studies (CMER). He is the author of Who governs Morocco: a sociological study on political leadership (L'Harmattan, 2015). Aziz Chahir est docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à Salé, au Maroc. Il travaille notamment sur les questions relatives au leadership, à la formation des élites politiques et à la gouvernabilité. Il s’intéresse aussi aux processus de démocratisation et de sécularisation dans les sociétés arabo-islamiques, aux conflits identitaires (le mouvement culturel amazigh) et aux questions liées aux migrations forcées. Consultant international et chercheur associé au Centre Jacques-Berque à Rabat, et secrétaire général du Centre marocain des études sur les réfugiés (CMER), il est l’auteur de Qui gouverne le Maroc : étude sociologique sur le leadership politique (L’Harmattan, 2015).
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