L’hystérie contre les réfugiés finira par déchirer l’Europe
L’extrême droite est en marche en Europe et la sonnette d’alarme est tirée, mais il est plus facile de continuer à somnoler que de se réveiller face à la réalité de ce qui se fait connaître comme une « crise multiple » qui frappe le continent.
Vendredi soir à Stockholm, un gang d’extrême droite s’en est pris à « des enfants des rues d’origine nord-africaine » et a frappé des personnes qui semblaient venir du Maghreb.
Samedi dernier, à Douvres et dans une station-service aux alentours, des heurts ont éclaté entre deux groupes de manifestants, à propos de la politique d’asile britannique. Ces heurts ont donné lieu à des scènes de vengeance appartenant supposément au passé, lorsque des fascistes en maraudage se réclamant du Front national britannique (BNF) et de Combat 18 ont battu et intimidé ceux qui affichaient leur solidarité avec les réfugiés en Europe.
En Allemagne, Angela Merkel, sous la pression énorme de la droite, a fait savoir aux réfugiés qu’ils devront retourner en Syrie et en Irak une fois que le conflit aura pris fin, tandis que la chef d’Alternative pour l’Allemagne (AfD) a appelé les forces armées à tirer sur les réfugiés qui continueraient d’essayer d’entrer dans le pays. Quel week-end. Et ce n’est pas fini.
L’hystérie qui envahit l’Europe a vu la Grèce être placée sur la voie de l’exclusion de l’espace Schengen pour son « manque de contrôle aux frontières ». Une démarche pour le peu étrange, étant donné qu’aucun pays de l’espace Schengen ne partage une frontière avec la Grèce. Celle-ci l’est encore plus si l’on observe que 90 % des personnes qui arrivent en Grèce viennent de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan, selon l’Organisation internationale pour les migrations.
Bien que les citoyens de ces pays qui fuient les conflits soient autorisés à traverser la Grèce pour trouver l’asile, le gouvernement Tsipras a reçu un ultimatum de trois mois pour pallier ses « déficiences » avant que la pleine suspension soit décidée. Comme par hasard, cela intervient juste à temps pour la reprise des discussions concernant la crise de la dette.
Alimentée par les menaces et les mots durs à l’encontre des autorités grecques, l’extrême droite radicale a incendié samedi soir une tente médicale gérée par des bénévoles sur la plage d’Eftalou, à Lesbos.
La contre-vérité selon laquelle la Grèce fermerait les yeux sur les réfugiés et les migrants affluant sur ses côtes masque le manque de soutien de l’UE pour la Grèce. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a en effet accepté d’enfermer les migrants et les réfugiés qui se trouvent encore en Grèce à l’intérieur des frontières grecques, tout en soutenant des plans établis par les dirigeants slovènes pour envoyer des équipements et des forces de sécurité à la frontière macédonienne. Cette démarche, pour laquelle la Grèce n’a pas été consultée, transforme le pays en un « cimetière des âmes », prévient Ioannis Mouzalas, secrétaire d’État grec à la Migration. Gardez à l’esprit que la Grèce a environ 25 % de chômage, un chiffre qui grimpe à près de 50 pour cent chez les 16–24 ans.
Merkel, qui n’est certainement pas une amie des Grecs, représente la voix de la modération dans une union politique qui refuse tout simplement d’assumer une responsabilité collective. Ses appels lancés de concert avec la Commission européenne pour répartir les réfugiés entre les 28 États membres de l’UE n’ont jamais abouti. En date du 25 janvier, 4 237 places sur un total de seulement 160 000 ont été réparties. La réponse honteuse de la plupart des pays européens est détaillée dans ce tableau.
Tous les États membres de l’UE sont prêts à renforcer la protection de leurs frontières extérieures ; pourtant, il s’agit là de la partie facile. Après tout, environ 83 % de l’ensemble des budgets européens pour la migration sont actuellement consacrés à la protection des frontières, selon Amnesty International. La conférence de Londres sur la Syrie, co-organisée avec le Danemark et l’Allemagne, se penchera sur les causes apparentes de l’afflux de réfugiés, mais cet auteur doute fortement que l’Europe freinera son militarisme et sa cupidité, deux facteurs de causalité clairs parmi d’autres.
Les violences observées à Douvres et Stockholm se nourrissent des paroles prononcées par des hommes blancs en costume gris dans les capitales européennes. Récapitulons simplement quelques-uns des moments les plus épouvantables du premier mois de 2016 : Geert Wilders, la figure politique la plus populaire aux Pays-Bas aujourd’hui, a demandé à ce que les hommes musulmans soient enfermés dans des camps. Ses paroles ont attisé les flammes qui ont encouragé les nationalistes d’extrême droite à mener des émeutes contre les réfugiés.
Au Danemark, le parlement a voté des lois visant à confisquer les biens et les richesses des personnes recherchant l’asile. Au Royaume-Uni, lors de la séance des Questions au Premier ministre David Cameron, les personnes bloquées à Calais et à Dunkerque qui cherchent à se réfugier en Grande-Bretagne ont été décrites comme « un tas de migrants ». Et n’oublions pas que le président tchèque Miloš Zeman a qualifié la crise actuelle aux frontières de l’Europe d’invasion islamique organisée.
La force qui relie tout cela est le racisme antimusulman, qui permet aux dirigeants de se soustraire à leurs responsabilités. Les dirigeants autoritaires tels que le Premier ministre hongrois Viktor Orbán évoquent les histoires des invasions ottomanes pour attiser le soutien pour le nationalisme et distraire leur peuple des crises économiques et sociales qui touchent la société hongroise et européenne. Les « socialistes » déclarés, comme François Hollande, ont abandonné la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » pour mener une guerre potentiellement infinie contre le soi-disant État islamique et imposer un état d’urgence continu au niveau national jusqu’à ce que cette guerre soit gagnée.
Le racisme et la propagation de l’idée de différence sont des outils essentiels pour rejeter les exigences prévues par le droit et les accords internationaux, comme les Conventions de Genève. Les personnes sont désignées comme étant des « migrants » ou des « monstres », car cela empêche de les reconnaître en tant que réfugiés, terme qui implique alors des responsabilités morales et juridiques.
Nier ces responsabilités et les mettre sur les épaules des autres est la marque de fabrique actuelle de la politique de l’UE. Un an après les espoirs nés de Syriza, la Grèce n’est guère plus qu’une nation sacrificielle. Les conditions qui ont été imposées par la terreur économique de la troïka et les diktats migratoires des autorités européennes ont formé un terrain fertile pour le parti d’extrême droite Aube dorée. Plus que quiconque, ce sont eux qui tirent profit des échecs de Syriza.
La droite européenne, de David Cameron à Viktor Orbán, refuse de travailler sur les réformes nécessaires de l’UE, comme la suspension du règlement Dublin, qui permettrait l’émergence d’un système de quotas approprié visant à offrir l’asile aux personnes dans le besoin et à atténuer les pressions subies par des pays comme la Grèce.
La situation est appelée à empirer : d’ici le milieu du siècle, on estime que 200 millions de personnes pourraient être déplacées en raison des effets du changement climatique. À ce stade, le prix payé à la Turquie pour maintenir des frontières claires aura peu d’importance. Ce seront les robots et les drones qui feront le sale boulot en coulant les bateaux et en tuant les migrants qui auront le culot de voyager pour rechercher une vie meilleure.
Une remise en cause radicale de l’Europe doit voir le jour pour que les défis qui se posent puissent être relevés. Alors que beaucoup accueilleraient avec enthousiasme la destruction de l’union, les conséquences qui suivront sûrement donneront à la bureaucratie froide et sombrement néolibérale d’aujourd’hui des airs de paradis par rapport aux barbelés, aux camps et aux hommes en treillis militaire qui se profilent à l’horizon.
L’UE est déchirée par la droite, qui mène la charge avec des changements permettant des violations systématiques sans qu’aucun cadre juridique dominant ne vienne engager la responsabilité des gouvernements. Ceci doit être arrêté.
- Daniel Renwick est journaliste et éducateur auprès des jeunes. Il a vécu trois ans en Allemagne avant de retourner à Londres.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une fillette attend avec d’autres migrants et réfugiés lors d’un contrôle de sécurité après avoir traversé la frontière entre la Macédoine et la Serbie, près du village de Miratovac, le 29 janvier 2016 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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