Liban : un budget d’austérité pour éviter la faillite… jusqu’à quand ?
Il aura fallu dix-neuf séances, couronnées ce lundi par une réunion sous la présidence du chef de l’État Michel Aoun, pour que le gouvernement de coalition approuve le premier budget d’austérité de l’histoire du Liban.
Le projet, qui devra ensuite être voté au Parlement avant d’entrer en vigueur, ramène le déficit budgétaire de 11,5 % en 2018 à 7,5 % du PIB cette année. Le budget est estimé à 17 milliards de dollars et le déficit aux alentours de 4,5 milliards de dollars.
Ces réunions marathon pour l’examen du budget interviennent alors que le Liban traverse une des pires crises économiques de son histoire contemporaine, qui risque de se transformer en crise financière en raison de la hausse vertigineuse de la dette publique qui atteint 85 milliards de dollars, soit 152 % du PIB.
Près d’un tiers du budget est consacré au règlement du service de la dette, un autre tiers aux salaires des fonctionnaires et des membres des forces armées, 11 % en avance à la compagnie d’électricité nationale (EDL) qui connaît un déficit chronique et seulement 5 % aux dépenses d’investissement.
Les choix économiques de Rafic Hariri
La crise actuelle est essentiellement due aux choix économiques adoptés dans les années 1990 par l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, qui a négligé les secteurs productifs (industrie, agriculture) au profit du secteur des services, en croyant que telle serait la vocation du Liban dans un Proche-Orient pacifié.
La crise actuelle est essentiellement due aux choix économiques adoptés dans les années 1990 par l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, qui a négligé les secteurs productifs
Sauf que la paix entre les Arabes et Israël n’était pas au rendez-vous et qu’aucun ajustement n’a été fait pour s’adapter à cette réalité.
Au fil des ans, une économie rentière s’est développée alors que l’économie productive se réduisait comme peau de chagrin à un point tel que le Liban a importé pour 19 milliards de dollars de produits divers en 2018 et a exporté seulement pour 2,9 milliards de dollars.
À cette crise structurelle sont venus se greffer d’autres facteurs comme le recul des flux de capitaux entrants, essentiellement envoyés par les Libanais qui travaillent dans les pays du Golfe, la baisse du nombre de touristes à cause de la guerre en Syrie et de la situation instable au Proche-Orient et, surtout, la batterie de sanctions prises par les États-Unis contre le Hezbollah qui entravent le secteur bancaire libanais.
Toutes ces difficultés ont assombri le climat des affaires dans le pays et la Banque mondiale a classé le Liban au 142e rang sur 190 économies dans son rapport Doing business 2019 (soit une baisse de neuf places par rapport au classement précédent), l’un des classements les plus bas du Proche-Orient.
Pressions des bailleurs de fonds internationaux
La situation économique est dans le rouge depuis des années, mais les dirigeants libanais sont les champions de la procrastination, pour ne pas dire de l’irresponsabilité.
Il aura fallu que les bailleurs de fonds internationaux, qui ont consenti des prêts de l’ordre de 11 milliards de dollars pour développer l’infrastructure lors de la Conférence Paris IV (CEDRE) en avril 2018, exercent de fortes pressions, qui ont frôlé l’ultimatum, pour que le gouvernement libanais se réveille enfin.
C’est donc contraint, et par peur de perdre ces promesses d’aides, que l’exécutif a procédé à des coupes. Les débats, parfois houleux, se sont déroulés sous la pression d’une mobilisation sociale marquée par des grèves, des sit-in et des manifestations. Cette agitation a atteint son paroxysme, lundi 20 mai, lorsque des centaines de retraités des forces armées ont tenté de prendre d’assaut le Grand sérail, siège du Premier ministre, pendant une réunion du gouvernement consacrée au budget.
Pendant dix-neuf séances, donc, les ministres ont jonglé avec les chiffres pour essayer d’augmenter les recettes et réduire les dépenses publiques.
Parmi les mesures les plus importantes liées aux dépenses, « le gouvernement a décidé de geler le recrutement au sein du secteur public, de plafonner les allocations et autres revenus afin de ne pas dépasser 75 % du salaire de base, de plafonner le nombre de mois de salaires annuels pour les fonctionnaires (quatorze mois), et de plafonner les salaires des fonctionnaires afin qu’ils ne soient pas supérieurs à celui du président de la République (8 000 dollars par mois) », explique à Middle East Eye Marwan Barakat, économiste en chef de la Banque Audi, le plus grand établissement bancaire du Liban.
Pour augmenter les recettes, « le gouvernement a décidé d’augmenter la taxe sur les intérêts des dépôts bancaires de 7 % à 10 %, de rendre l’impôt sur le revenu davantage progressif afin d’atteindre un plafond de 25 % (au lieu de 20 % pour les employés et 21 % pour les professions libérales), d’imposer les importations à hauteur de 2 % (sauf, entres autres, pour les produits pharmaceutiques), d’imposer une taxe sur les chambres d’hôtel, d’augmenter les frais de certaines prestations publiques (dont les frais de passeport et visas), d’augmenter les frais des permis de travail pour les étrangers et d’annuler les exemptions douanières à l’exception de ce qui est soumis aux accords internationaux », ajoute l’économiste.
« Le projet de budget confirme le premier engagement annuel du gouvernement envers les créanciers et donateurs de CEDRE, sachant que cette conférence visait une réduction du ratio déficit public/PIB de 5 % au total sur une période de cinq ans », précise Marwan Barakat.
Selon lui, les chiffres du budget sont réalisables, à moins d’un ralentissement économique majeur qui affecterait l’efficacité de la collecte de recettes publiques. « La croissance du PIB réel est prévue d’atteindre 1,75 % d’après le budget 2019, ce qui n’est pas loin des projections des institutions internationales », conclut l’économiste.
Pas de stratégie économique ?
Milad Sebaaly, président de Global Learning, une entreprise de conseil en développement, enseignement et technologie, exprime un avis plus réservé sur le projet de budget. « La balance commerciale est déficitaire à hauteur de 16 milliards de dollars. Où est la stratégie économique pour réduire durablement ce déficit ? », s’interroge l’expert lors d’un entretien avec Middle East Eye. « Par le passé, le déficit était comblé par les capitaux entrants. Aujourd’hui, ces flux se tarissent. »
« La crise au Liban est économique et non pas financière. Au Liban, nous sommes prisonniers de la mentalité de l’endettement »
- Milad Sebaaly, président de Global Learning
« La crise au Liban est économique et non pas financière », poursuit Milad Sebaaly. « Au Liban, nous sommes prisonniers de la mentalité de l’endettement alors qu’il fallait se concentrer sur le développement des secteurs productifs et sur l’économie de la connaissance pour reconstruire l’industrie, l’agriculture et le tourisme. »
À court terme, les mesures d’austérité adoptées par le gouvernement auront probablement un impact positif. Mais à moyen et à long termes, une économie qui ne crée que 4 000 emplois par an dans un pays qui en a besoin de 30 000 aura besoin d’initiatives autrement plus audacieuses pour sortir de la crise.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].