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L’instant vietnamien de la politique américaine au Moyen-Orient

Il est temps pour Washington de renoncer à son ambition de remodeler la région et ses régimes en fonction de ses objectifs
Une équipe de l’US Air Force transporte la dépouille du sergent-chef Christopher J. Raguso, décédé dans un crash d’hélicoptère dans l’ouest de l’Irak le 15 mars 2018 (Reuters)

Les récentes attaques contre les installations pétrolières saoudiennes et les difficultés rencontrées par les États-Unis pour formuler une réponse significative mettent en lumière une question que Washington évite depuis des années mais n’a pas eu le courage d’affronter directement.

La profonde implication des États-Unis au Moyen-Orient est-elle utile ? Protège-t-elle les intérêts des États-Unis et ceux de leurs alliés ? Fait-elle une différence ?

Washington est toujours aussi profondément empêtré dans la région, mais de plus en plus incapable de faire la différence

L’administration Obama a fait un pas timide vers la remise en cause de l’implication des États-Unis en retirant des troupes d’Irak et en annonçant un basculement vers l’Asie, mais la montée du groupe État islamique (EI) a de nouveau attiré l’attention sur le Moyen-Orient. Par conséquent, Washington est toujours aussi profondément empêtré dans la région, mais de plus en plus incapable de faire la différence.

Il est temps pour Washington de le reconnaître et de renoncer à son ambition de remodeler la région et ses régimes en fonction de ses objectifs. 

C’est ce que les États-Unis ont fait au Vietnam en 1973, lorsqu’ils ont finalement reconnu qu’ils ne pouvaient pas gagner la guerre et signé un accord de paix avec le nord et le sud Vietnam avant de se retirer. Deux ans plus tard, l’armée nord-vietnamienne a envahi le sud.

Livré à lui-même, le Vietnam s’est reformé depuis et est aujourd’hui un pays prospère avec une économie en croissance et des relations étonnamment bonnes avec les États-Unis.

En reconnaissant l’échec de la politique au Vietnam, Washington a pris une initiative radicale et humiliante, mais aussi courageuse, qui a finalement profité aux États-Unis, au Vietnam et à ses voisins.

L’abandon des politiques actuelles défaillantes au Moyen-Orient sera tout aussi difficile et humiliant, mais il sera bénéfique sur le long terme pour les États-Unis et la région dans son ensemble.

Une nouvelle politique

L’attaque contre les installations pétrolières saoudiennes montre que les États-Unis doivent adopter une nouvelle politique. Peu importe que les attaques aient été lancées directement par les forces iraniennes, par les Houthis au Yémen ou par des éléments des Hachd al-Chaabi – les Unités de mobilisation populaire – en Irak, puisque l’Iran en était le responsable ultime.

Ce qui compte vraiment, c’est que toutes les ventes d’armes américaines à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis n’ont pas empêché les attaques ni même atténué leurs conséquences

Ce qui compte vraiment, c’est que toutes les ventes d’armes américaines à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis et la formation de forces dans le Golfe et en Irak n’ont pas empêché les attaques ni même atténué leurs conséquences. Aucune preuve n’indique que des armes provenant du vaste arsenal saoudien aient été employées contre les drones et les missiles entrés dans le pays.

Mais surtout, une grande importance est à accorder au fait que les États-Unis ne soient pas en mesure de formuler une réponse significative qui fera payer le prix de ces attaques à l’Iran sans provoquer une nouvelle guerre, ce qui exposerait les troupes américaines dans la région à des dégâts plus importants, ou l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe à de nouvelles attaques.

Le déploiement d’un petit nombre de soldats américains en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, comme le propose le président Trump, ne rendra pas ces pays plus sûrs – mais la réaction faible et hésitante des États-Unis signale un manque d’engagement et une position d’impuissance.

Deux options

Les États-Unis ont deux options s’ils souhaitent rester un acteur crédible dans la région. Ils peuvent accroître leur engagement et lancer une action militaire contre l’Iran, sachant que cela entraînera probablement une nouvelle guerre prolongée et impossible à gagner. Il s’agit de l’option employée au Vietnam avant 1973.

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Autrement, ils peuvent adopter l’option employée au Vietnam après 1973 en reconnaissant qu’il n’est pas de leur devoir d’aider à mener les batailles des Saoudiens en leur nom, ni de chasser les derniers vestiges de l’État islamique en Irak (l’Iran exerce une plus grande influence dans ce pays), ni de continuer de combattre les talibans dans une guerre sans fin en Afghanistan qui ne mène nulle part.

Il ne s’agit pas ici d’un appel à un nouvel isolationnisme. Il s’agit d’un appel à une politique plus réaliste qui reflète la réalité d’aujourd’hui, alors que les États-Unis n’ont tout simplement plus la supériorité écrasante en matière de richesse et de pouvoir qui leur a permis de rêver de reformer le Moyen-Orient à sa guise.

Il s’agit d’un appel lancé aux États-Unis pour qu’ils apprennent à protéger leurs intérêts dans la région telle qu’elle est, par le biais de la diplomatie, d’accords et d’alliances plutôt que par le biais de conflits sans fin.

Un tel changement de politique sera préférable pour les États-Unis, mais également pour les pays que l’illusion de protection américaine encourage à poursuivre leurs propres politiques insoutenables.

- Marina Ottaway est chercheuse sur le Moyen-Orient au Woodrow Wilson Center et a une longue expérience en tant qu’analyste des transformations politiques en Afrique, dans les Balkans et au Moyen-Orient. Elle travaille sur un projet sur les pays du Printemps arabe et l’Irak. Elle a écrit dix livres et édité six ouvrages. Parmi ses publications les plus récentes figurent Getting to Pluralism, co-écrit avec Amr Hamzawy et Yemen on the Brink, co-édité avec Christopher Boucek. Elle a dernièrement sorti A Tale of Four Worlds : The Arab Region After the Uprisings, co-écrit avec with David Ottaway.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marina Ottaway is a Middle East scholar at the Woodrow Wilson Center and a long-time analyst of political transformations in Africa, the Balkans, and the Middle East. She is working on a project about the countries of the Arab Spring and Iraq. She has ten authored books and six edited ones. Her most recent publications include Getting to Pluralism, co-authored with Amr Hamzawy and Yemen on the Brink, co-edited with Christopher Boucek. Her latest publication is "A Tale of Four worlds: The Arab region after the uprisings", co-authored with David Ottaway.
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