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L’opportunisme ultime : l’alliance tacite entre Israël et l’État islamique en Syrie

La collaboration d’Israël avec l’EI en Syrie, confirmée par un ancien ministre de la Défense israélien, montre à quel point les motivations et les choix d’Israël peuvent s’avérer brutalement cyniques

Tout en se plaignant de la menace islamiste qui pèse sur Israël et le monde, Bibi Netanyahou oublie volontiers que son propre pays jouit d’une alliance tacite avec l’État islamique en Syrie.

Lorsque vous bombardez un allié, vous vous excusez. Lorsque vous bombardez un ennemi, vous ne le faites pas. Qu’est-ce que cela fait de l’État islamique pour Israël ?

C’est à coup sûr une alliance de convenance dont aucune des parties ne peut se vanter. Pourtant, elle n’est pas extrêmement différente de celle dont Israël jouit avec ses autres alliés musulmans comme l’Égypte, l’Arabie saoudite et les États du Golfe.

« Bogie » Ya’alon a été ministre de la Défense au sein du gouvernement israélien actuel jusqu’à une querelle avec Netanyahou survenue en mai 2016. Aujourd’hui, Ya’alon envisage de former son propre parti et de se présenter contre son ancien patron. Malheureusement pour lui, il ne figure pas en bonne position dans les sondages et ne semble pas représenter une menace politique.

Ya’alon jouit de la position de ne pas avoir grand-chose à perdre. Il peut parler avec plus de franchise que le responsable politique moyen. Dans ce contexte, il a parlé longuement de questions de sécurité lors d’un événement public organisé samedi dernier dans la ville d’Afoula, dans le nord d’Israël.

https://www.youtube.com/watch?v=9LooHDGcgqk

La confirmation de Ya’alon

Il y a toujours beaucoup de choses sur lesquelles je suis en désaccord chaque fois que je lis les points de vue de Ya’alon. Par exemple, tout en formulant dans cette vidéo une mise en garde contre le danger de favoriser trop fortement un camp par rapport à l’autre en Syrie, il justifie pour l’essentiel l’approche interventionniste d’Israël. Celle-ci a largement favorisé les opposants islamistes d’Assad.

Pas plus que je n’apprécie vraiment, dans un autre contexte, le choix d’alliés politiques de Ya’alon, de la blogueuse islamophobe Pamela Geller au petit-fils de Meir Kahane.

L’attaque à laquelle il se réfère n’a jamais été rapportée dans les médias israéliens. Soit l’information a été soumise à une ordonnance de non-publication, soit elle a été retenue par la censure militaire

Mais il a bel et bien révélé les liens entretenus par Israël avec l’État islamique en Syrie. Avec d’autres journalistes, j’ai rendu compte de la collaboration israélienne avec le Front al-Nosra, une filiale d’al-Qaïda. Mais aucun Israélien n’a encore reconnu que le pays avait collaboré avec l’État islamique.

Yaalon l’a implicitement confirmé dans sa déclaration :

« En Syrie, il y a de nombreuses factions : le régime, l’Iran, les Russes et même al-Qaïda et l’État islamique. Dans de telles circonstances, il faut élaborer une politique responsable et soigneusement équilibrée par laquelle on protège ses intérêts d’une part sans intervenir d’autre part. Parce que si Israël intervient au nom d’un camp, il servira les intérêts de l’autre ; c’est pourquoi nous avons établi des lignes rouges. Quiconque enfreint notre souveraineté ressentira immédiatement tout le poids de notre puissance. Dans la plupart des cas, les tirs proviennent de régions sous le contrôle du régime. Mais une fois, les tirs sont venus de positions de l’État islamique – et ils se sont immédiatement excusés. »

L’attaque à laquelle il se réfère n’a jamais été rapportée dans les médias israéliens. Soit l’information a été soumise à une ordonnance de non-publication, soit elle a été retenue par la censure militaire. Elle a été très certainement supprimée parce que des tirs d’un allié islamiste d’Israël sur le territoire israélien suivis d’excuses de l’État islamique seraient source de gêne à la fois pour Israël et pour les islamistes.

Qu’est-ce qui définit un allié ?

Certains critiques soutiennent que des excuses présentées par l’État islamique ne signifient pas une alliance ou une collaboration sérieuse entre le groupe islamiste et Israël. Ce à quoi je leur réponds : lorsque vous bombardez un allié, vous vous excusez. Lorsque vous bombardez un ennemi, vous ne le faites pas. Qu’est-ce que cela fait de l’État islamique pour Israël ?

Gardez à l’esprit que c’est ce même État islamique qui a décapité Steven Sotloff, un juif américain qui avait vécu en Israël. C’est ce même État islamique qui a violé des femmes yézidies et qui a jeté des hommes homosexuels du haut de bâtiments. C’est ce même État islamique qui fait rage au Moyen-Orient, semant le chaos et versant des rivières de sang partout où il passe. C’est ce même État islamique que Netanyahou dénonce systématiquement comme étant la racine de tous les maux dans le monde. Comme par exemple dans ces propos :

« L’Iran et l’État islamique veulent nous détruire et la haine des juifs est dirigée aujourd’hui contre l’État juif », a déclaré Netanyahou, avant d’ajouter : « Ceux qui menacent de nous détruire prennent le risque d’être détruits. »

Chacun sait que la politique étrangère israélienne depuis l’époque de Ben Gourion est extrêmement opportuniste et amorale, comme en témoigne cette déclaration notoire de Ben Gourion lui-même :

« Si je savais qu’il était possible de sauver tous les enfants juifs allemands en les transférant en Angleterre et seulement la moitié en les transférant en Palestine, j’opterais pour la seconde solution, car notre souci n’est pas seulement l’intérêt personnel de ces enfants, mais l’intérêt historique du peuple juif. »

Je suppose donc qu’il ne faut pas être surpris par cette nouvelle évolution. Il demeure toutefois qu’on a bel et bien le souffle coupé en observant à quel point les motivations et les choix d’Israël peuvent souvent s’avérer brutalement cyniques.

Cet article a été initialement publié sur le blog « Tikum Olam » de Richard Silverstein.

Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006, A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un militant de l’État islamique brandit le drapeau du groupe (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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