L’unilatéralisme de Trump sur Jérusalem : les touches finales d’une victoire israélienne
Avec la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, le président américain Donald Trump a ignoré les conseils de plusieurs proches conseillers, méprisé les appels fervents des voisins arabes d’Israël, négligé les mises en garde des plus proches alliés des États-Unis au Moyen-Orient et en Europe, rompu l’élément clé d’un consensus international qui prévalait depuis longtemps à l’ONU et pris l’initiative de proclamer officiellement que Washington considère Jérusalem comme la capitale d’Israël.
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Cette déclaration sert également à rationaliser le transfert de l’ambassade américaine située à Tel Aviv, la ville où tous les autres pays du monde insistent pour rester afin d’entretenir leurs relations intergouvernementales avec Israël.
La pire alternative possible
La question la plus évidente à poser concerne les motivations : pourquoi ? Aussi étrange que cela puisse paraître, l’explication la plus convaincante est que Trump a vu dans cet acte de reconnaissance une occasion de montrer à ses partisans les plus fervents qu’il tenait ses promesses électorales.
Au cours de la première année de sa présidence, Trump a été frustré par son incapacité embarrassante à mener à bien le programme pour lequel il a été élu en 2016.
Il est devenu clair qu’à l’heure actuelle, le gouvernement israélien n’a pas la moindre volonté de mettre fin au conflit si cela implique la création d’un État palestinien indépendant délimité par les frontières de 1967
En substance, Trump semble avoir pris cette mesure internationalement controversée parce qu’il se souciait beaucoup plus de plaire aux sionistes chrétiens et au lobby israélien aux États-Unis que de froisser les diplomates de l’ONU, d’irriter les masses arabes, d’éliminer les derniers doutes chez les Palestiniens quant à un rôle de « médiateur honnête » que les États-Unis auraient pu jouer dans la quête d’une solution à deux États et, peut-être en premier lieu, de relier de manière plus ou moins sensée la politique étrangère américaine à des intérêts nationaux stratégiques.
De ce point de vue, Trump a une fois de plus démontré sa faculté extraordinaire à choisir la pire alternative possible dans des situations internationales délicates où des conséquences désastreuses pourraient découler d’un mauvais virage politique.
Cet exemple flagrant d’unilatéralisme sur Jérusalem rivalise avec la stupidité géopolitique du retrait de l’accord de Paris sur le changement climatique décidé il y a quelques mois. Là aussi, l’approche de Trump vis-à-vis de la politique étrangère semblait destinée à redorer la réputation déjà assurée des États-Unis en tant que première superpuissance voyoute de l’ère nucléaire.
Ce rôle de trouble-fête mondial est également démontré avec une évidence dangereuse par la diplomatie de la menace apocalyptique adoptée par Trump en réponse au programme d’armement nucléaire développé par Kim Jong-un.
Les touches finales de la victoire israélienne
Le courant libéral aux États-Unis et à l’étranger a déploré l’initiative de Trump sur Jérusalem pour les mauvaises raisons. L’affirmation sous diverses formes selon laquelle Trump avait endommagé – sinon détruit – le « processus de paix » figurait notamment au premier plan.
Une telle préoccupation présuppose l’existence d’un processus de paix. Tout en promettant « l’accord du siècle », Trump a remis sa prétendue offensive de paix entre les mains d’extrémistes pro-sionistes (David M. Friedman, Jared Kushner et Jason Greenblatt) dont le but évident n’était pas d’instaurer la paix, mais d’apporter les touches finales à ce qu’ils considéraient comme une victoire israélienne.
Déployé en tandem avec le leadership de Netanyahou, l’effort de Trump visait jusqu’à présent à mettre à mort « la solution à deux États » et à faciliter la poursuite de la conversion de l’« occupation » du territoire palestinien initiée en 1967 en une réalité permanente qui mélange illégalement l’annexion de la Cisjordanie avec le maintien d’une emprise sur le peuple palestinien par le biais de structures d’assujettissement relevant d’un apartheid.
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Si cette évaluation est juste, alors le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem peut être considéré comme une façon de soutenir la version israélienne du dénouement de cette lutte centenaire entre les aspirations nationales de ces deux peuples assiégés.
À cet égard, le caractère brusque de l’approche de Trump révèle au monde une affreuse réalité qui aurait dû être évidente depuis le début aux yeux de quiconque portait un regard critique sur le comportement israélien.
Le message à double code du sionisme
Cette analyse de fond nous aide à saisir le contexte géopolitique qui fait de la reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d’Israël un coup de pied douloureux porté aux illusions palestiniennes quant à une diplomatie de paix viable. Cela souligne également l’hypocrisie de l’appel formulé par la communauté internationale en faveur d’une relance du processus de paix, alors qu’il aurait dû être évident depuis longtemps que l’expansion des colonies israéliennes, comme l’approche de Tel Aviv vis-à-vis de Jérusalem, avaient dépassé le point de non-retour.
Sur la base de son comportement récent, il est devenu clair qu’à l’heure actuelle, le gouvernement israélien n’a pas la moindre volonté de mettre fin au conflit si cela implique la création d’un État palestinien indépendant délimité par les frontières de 1967, englobant ainsi la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est.
De la publication de la déclaration Balfour en 1917 jusqu’à ce jour historique de la reconnaissance des prétentions d’Israël vis-à-vis de Jérusalem, le sionisme et, depuis 1948, l’État d’Israël, ont diffusé dans le monde un message à double code.
Ce message à double code d’Israël est au plus haut point manifeste dans son rapport avec Jérusalem
Dans ses déclarations publiques, la posture d’Israël se traduit par un esprit de compromis et de coexistence pacifique avec les Palestiniens, alors que dans ses pratiques et ses objectifs réels, on ne peut qu’y voir une poursuite cohérente de l’idéal visionnaire du Grand Israël ou de la Terre promise.
En remerciant Trump pour son soutien si massif pour Israël, l’actuel ambassadeur israélien aux États-Unis, Ron Dermer, a déclaré aux téléspectateurs que Jérusalem était réellement la capitale du peuple juif depuis 3 000 ans.
Ce message à double code d’Israël est au plus haut point manifeste dans son rapport avec Jérusalem.
En public, Israël accepte les arrangements de partage prévus dans la résolution 181 de l’Assemblée générale, qui comprenait l’internationalisation de Jérusalem sous l’administration de l’ONU.
Des craintes minimisées
Mais s’il est jugé de façon plus critique en prenant en compte son comportement, Israël défie de manière flagrante le droit international, le pays ayant entrepris d’élargir et d’annexer officiellement Jérusalem, considérée comme « la capitale éternelle » du peuple juif, mais aussi de manipuler la démographie et le patrimoine culturel de la ville afin qu’il soit plus crédible de considérer l’intégralité de Jérusalem comme une ville juive.
Il est difficile, même pour les plus éminents des apologistes d’Israël, comme Elliot Abrams ou d’anciens ambassadeurs américains en Israël, de défendre la décision réelle de Trump. Ces apologistes préfèrent adopter une position par défaut.
Certes, le timing de l’initiative de la Maison-Blanche était discutable sur le plan tactique, mais sa condamnation exagère grandement son importance, disent-ils.
Ils jugent les critiques et les préoccupations excessives, les comparent à un « essoufflement ». En effet, ces apologistes sont d’accord avec l’affirmation centrale de Trump, selon laquelle l’acceptation de la revendication d’Israël faisant de Jérusalem sa capitale n’est ni plus ni moins qu’une reconnaissance de la réalité et le reste du monde devra apprendre à vivre avec cette reconnaissance.
Le temps nous dira si cette minimisation des craintes d’une reprise des violences animées par la résistance et l’anti-américanisme sont autre chose qu’un effort timide engagé par les apologistes dans le but de réaffirmer la légitimité d’Israël face à un fiasco géopolitique.
La politique de Trump à Jérusalem devrait surtout consterner la région et le monde pour son mélange singulier d’ignorance de la loi, de la morale et du consensus international, conjugué à des atteintes si flagrantes aux intérêts nationaux plus larges des États-Unis.
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Ce mélange devient toxique à l’égard de Jérusalem, parce qu’en humiliant le mouvement national palestinien et en négligeant le symbolisme de Jérusalem pour les musulmans et les Arabes, il accroît la probabilité d’un extrémisme violent tout en soutenant des postures solidement anti-américaines.
Quelle bêtise d’avoir fait de la défaite de l’État islamique et de l’extrémisme politique la priorité absolue des États-Unis et d’avoir pris ensuite cette initiative sur Jérusalem, qui engendrera presque certainement une colère populiste et un retour de flamme extrémiste. Les recruteurs de l’État islamique n’en demandaient pas tant.
- Richard Falk est un spécialiste en droit international et relations internationales qui a enseigné à l’université de Princeton pendant 40 ans. En 2008, il a également été nommé par l’ONU pour un mandat de six ans en tant que Rapporteur spécial sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : poignée de mains entre le président américain Donald Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à l’issue d’un discours au musée d’Israël, à Jérusalem, le 23 mai 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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