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À l’origine de la cabale judiciaire contre Mohamed Ziane, des révélations sur la manipulation de l’État marocain par une structure occulte ?

Un ancien ministre, fondateur du Parti marocain libéral et ex-bâtonnier de l’un des plus importants barreaux du Maroc, a été condamné à trois ans de prison dans un procès truffé d’irrégularités et immédiatement incarcéré. Comment en est-on arrivé là et pourquoi cette brutalité ?
La demande de remise en liberté de l'opposant marocain et ancien ministre Mohamed Ziane a été rejetée par un tribunal de Rabat, a indiqué mardi 6 décembre son fils qui est aussi son avocat (AFP/Fadel Senna)
La demande de remise en liberté de l’opposant marocain et ancien ministre Mohamed Ziane a été rejetée par un tribunal de Rabat, a indiqué mardi 6 décembre son fils qui est aussi son avocat (AFP/Fadel Senna)

Mohamed Ziane, ex-ministre des Droits de l’homme, ancien bâtonnier du barreau de Rabat et fondateur du Parti marocain libéral (PML), a été condamné le lundi 21 novembre 2022 à trois ans de prison ferme par la chambre criminelle de la cour d’appel de Rabat.

Il a été immédiatement arrêté par vingt policiers venus l’appréhender dans le bureau de son avocat. 

Et mardi 6 décembre, son fils, qui est aussi son avocat, a annoncé que la demande de remise en liberté a été rejetée par un tribunal de Rabat. « Mais nous continuons à affirmer que la procédure de convocation à comparaître devant le tribunal n’a pas été respectée, ce qui entraîne la nullité de la décision de son incarcération », a estimé Ali Reda Ziane.

Son âge – 80 ans dans quelques mois –, ses multiples maladies chroniques et sa condition revendiquée de « patriote » et de « royaliste militant » ne lui ont épargné ni les affres d’une violente campagne de presse, ni des procès préfabriqués, ni la détention arbitraire.

Car Ziane a été arrêté arbitrairement.  

Cet avocat, opportunément évincé du Parti libéral marocain quand il s’est retourné contre le régime, et ancien député à la Chambre des représentants, a côtoyé très tôt le sommet de l’État

Pour comprendre l’affaire Ziane, il faut avant tout passer en revue quelques miettes de son passé, puis s’aventurer à expliquer par des faits trois points cardinaux de cette histoire hors norme : les motifs de son arrestation, la manière cavalière et illégale dont il a été appréhendé et les raisons qui ont amené à cette brutale privation de liberté.

Mohamed Ziane est né en 1943 à Málaga, en Andalousie, d’une mère espagnole et d’un père marocain. Il était considéré jusqu’à il y a quelques années comme un homme du sérail. Un pur produit du Makhzen (Palais royal). Et quel Makhzen !

Cet avocat, opportunément évincé du Parti libéral marocain quand il s’est retourné contre le régime, et ancien député à la Chambre des représentants, a côtoyé très tôt le sommet de l’État.

Un mentor

Ziane a été marié à l’une des filles d’Ahmed Réda Guédira. S’il y a un personnage incontournable durant le règne de Hassan II, c’est bien Guédira. Conseiller royal jusqu’à son décès en 1995, c’est lui qui chuchotait à l’oreille du défunt souverain.

De l’avis de tous, il était plus qu’un conseiller. Le puissant ministre d’État à l’Intérieur, Driss Basri, était l’homme fort du régime auprès de Hassan II et son bras séculier pour mater toute adversité, mais Guédira était une sorte d’alter ego intellectuel de l’autocrate alaouite, qu’il tutoyait, dit-on, en privé. 

Ahmed Réda Guédira, ici pris en photo en 1970, conseiller du roi Hassan II jusqu’à sa mort, était le beau-père de Mohamed Ziane (AFP)
Ahmed Réda Guédira, ici pris en photo en 1970, conseiller du roi Hassan II jusqu’à sa mort, était le beau-père de Mohamed Ziane (AFP)

On raconte que c’est Guédira, cofondateur en 1937 du Parti des libéraux indépendants, l’ancêtre du PML, qui a façonné le politicien Ziane. Toutefois, l’iconoclaste Ziane n’a pas suivi les pas de son mentor.

Si Guédira était pondéré et discret, Ziane a gagné des galons de porte-flingue du régime en attaquant de front tous ceux qui critiquaient l’ordre établi.

Grande gueule, bagarreur impénitent cherchant la confrontation verbale, et quelquefois physique, il a toujours méprisé ses adversaires.

C’est lui, au nom de l’État, qui a veillé en 1991 à l’expulsion du Maroc du plus célèbre détenu politique de l’époque : le militant marxiste Abraham Serfaty, privé de sa nationalité par un oukase de Hassan II.

C’est encore lui qui, l’année suivante, en 1992, a porté plainte au nom du gouvernement marocain contre le bouillant Noubir Amaoui, le patron de la Confédération démocratique du travail (CDT), alors bête noire du régime. Celui-ci avait traité, dans une interview parue dans le quotidien espagnol El País, les ministres de Sa Majesté chérifienne de mangantes, un terme espagnol qui peut autant signifier « voleurs » qu’« escrocs ».

De quoi lui aliéner durablement une partie de la gauche marocaine. Comme on peut le constater aujourd’hui. Comme la droite, la gauche, si ces termes peuvent encore signifier quelque chose dans un pays soumis à une seule et unique idéologie autoritaire, la royale, se tait face à l’accumulation des procès visant l’ancien ministre.  

Grande gueule, bagarreur impénitent cherchant la confrontation verbale, et quelquefois physique, il a toujours méprisé ses adversaires

Son passage comme ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Droits de l’homme (1995-1996), dans le gouvernement Filali, se terminera par une retentissante démission.

Une rareté dans une monarchie où les « vizirs » ne démissionnent pas, ils sont démis de leurs fonctions par le roi. Il expliquera plus tard avoir claqué la porte du gouvernement à cause de la violente campagne dite « d’assainissement », plus de 1 000 arrestations, contre les milieux d’affaires et quelques hauts fonctionnaires, accusés de fuite de capitaux, de corruption et de contrebande.

Au début du siècle, il s’est engagé dans des procès médiatiques contre des journalistes marocains, tous condamnés par une justice si peu indépendante. Ce n’est pas lui faire outrage que de dire qu’il a contribué puissamment à la fermeture définitive du Journal hebdomadaire, un titre phare de la presse indépendante marocaine, obligé de mettre la clef sous le paillasson après des poursuites à répétition suivies d’amendes exorbitantes.

Le camp des victimes du régime

Mais il y a quelques années, au crépuscule d’une vie agitée, Ziane a changé. Il a abandonné le « côté obscur » pour rejoindre le camp des victimes du régime.

À la surprise générale, il s’est mis ostensiblement du côté des persécutés. Le politicien libéral s’est mis à montrer du doigt les « 4 000 familles marocaines » dont la richesse pourrait sortir le Maroc de la pauvreté et à se poser des questions sur la « disparition » de tonnes d’or marocain et de l’argent du phosphate, première richesse nationale.

Avec la même fougue, il a assuré gratuitement la défense des activistes du hirak du Rif ou celle, homérique, du journaliste Taoufik Bouachrine, condamné depuis à quinze ans de prison et dont  les experts du Groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU ont jugé qu’il n’a pas eu droit à un « procès équitable ». Une « farce » avait tonné  Ziane.

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Cette ardeur à défendre, avec le même entrain d’antan, des révoltés et des journalistes indépendants, et à montrer du doigt la corruption épizootique qui n’a jamais cessé de submerger le pays, a évidemment fini par agacer certains, par provoquer leur colère puis par attirer vers lui le feu de la vindicte étatique.

Surtout quand il a commencé à décocher des flèches en direction du patron de pratiquement toutes les polices du royaume, la maréchaussée en uniforme et la politique, Abdellatif Hammouchi, le sécuritaire qui terrorise tout un pays.

En guise de représailles, son nom s’est ajouté à la liste des victimes quotidiennes de la presse de la diffamation, le préalable avant les premiers supplices et les poursuites en justice.

L’un de ses fils a été condamné à trois ans de prison après une sombre et mystérieuse affaire de vente de masques anti-covid. Attaquer les proches parents d’un opposant ou d’un journaliste, une méthode utilisée exceptionnellement par Hassan II et devenue systématique sous Mohammed VI, était le prélude de futurs graves déboires.

Ziane était devenu une cible pour ce régime qu’il avait contribué à défendre pendant des décennies. Comme dans la mafia sicilienne, ou autre, quand on fait partie de la « Famille », on ne la quitte jamais. Le Makhzen n’accepte pas les désertions, et encore moins qu’on s’oppose à lui après l’avoir servi.

Comme dans la mafia sicilienne, ou autre, quand on fait partie de la « Famille », on ne la quitte jamais. Le Makhzen n’accepte pas les désertions, et encore moins qu’on s’oppose à lui après l’avoir servi

À cause de son franc-parler dans les prétoires et sa manie à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, il a été suspendu de l’exercice de sa profession d’avocat. Non pas une mais deux fois. La première pour une durée d’un an et la deuxième, qui court toujours, pour trois années.

Conscient que maître Ziane faisait l’objet d’une persécution politique, le barreau de Rabat a tenté tant bien que mal de résister à la suspension de son ancien bâtonnier avant de céder sous le poids des pressions du parquet général et du ministère de l’Intérieur.

Rien ne lui a été épargné, ni sa médiatique et violente expulsion de son cabinet d’avocat, ni, suprême injure dans un pays qui se pare du titre de « commanderie des croyants », de voir exhibé son corps nu dans la presse jaune.

Alors qu’il se trouvait dans une chambre d’hôtel à Rabat, il a été filmé en secret dans le plus simple appareil. La vidéo, diffusée par Chouf-TV, un site proche des services de renseignement, a étranglé d’indignation amis et adversaires de l’ancien bâtonnier, mais personne n’a osé protester de peur de subir le même sort.

Assommé par onze chefs d’accusation

Au mois de novembre 2021, poursuivi par le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Leftit, Ziane a été conduit en état d’arrestation devant le procureur du roi à Rabat par des agents de la Brigade nationale de police judiciaire (BNPJ, une énième police politique qui ne dit pas son nom).

Certains, en haut lieu, s’attendaient à ce qu’il soit incarcéré dans l’attente de son procès. Mais la ficelle était trop grosse, même pour le parquet, qui se voyait ainsi dicter ses résolutions par la police ; et contre toute attente, il a été relâché.

Néanmoins, dans les jours qui ont suivi, il a été assommé par onze chefs d’accusation. Du jamais vu ! Quelques-uns laborieusement cousus pour obtenir une condamnation certaine – comme « outrage aux fonctionnaires de la justice et publics », « dénigrement de décisions de justice » – et d’autres franchement tirés par les cheveux – comme « incitation à la violation des mesures sanitaires », « complicité dans la sortie illégale d’un individu du territoire national » et « propagation d’informations mensongères et calomnieuses à propos d’une femme à cause de son sexe ».

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Bien entendu, maître Ziane n’a pas échappé à ce qui est devenu l’inculpation générique des autorités marocaines : l’affaire de mœurs. On rajoutera le délit de « participation à un acte d’adultère ».

Un ultime chef d’accusation qui a fait rire le tout Maroc : le procureur l’a accusé formellement et par écrit d’avoir eu un « mauvais comportement donnant un mauvais exemple aux enfants ».

Au Maroc, on le sait, dans les affaires politiques, la profusion d’accusations, de toutes sortes, indique souvent que le parquet n’a pas de preuves concrètes. Ce sont des hameçons jetés au petit bonheur la chance pour tenter de pêcher une condamnation. Qui vient toujours grâce à la « générosité » des magistrats.

En février 2022, il a été, comme tout le monde s’y attendait, condamné en première instance à trois ans de prison ferme, et à une lourde amende. Il aurait dû, comme le lui conseillaient certains proches, se faire oublier et cesser de s’exprimer publiquement. Mais c’était mal connaître Mohamed Ziane.

Dans une vibrante interview accordée au site espagnol El Independiente en octobre dernier, l’avocat s’est étonné des absences répétées hors du royaume de Mohammed VI, et a affirmé que par « manque de volonté » du roi, le pays était « gouverné par les amis du souverain ». Il a surtout ébauché l’idée d’une transition du pouvoir vers le prince héritier.

Il aurait dû, comme le lui conseillaient certains proches, se faire oublier et cesser de s’exprimer publiquement. Mais c’était mal connaître Mohamed Ziane

Ces sorties sont-elles à l’origine des déboires de Ziane ? Peut-être pas, car ses ennuis ne datent pas d’octobre.

Mais elles ont sûrement aggravé son cas et poussé un segment musclé de l’État à redoubler d’efforts et même à forcer, voire violenter, les règles de droit pour venir à bout d’une voix populaire dans la rue et les réseaux sociaux. Et incontrôlable.

Dans un pays soumis à une effroyable chappe de plomb, toute expression contraire à la pensée unique des tenants du pouvoir est devenue synonyme de crime et son auteur lourdement condamné.

Pour son procès devant la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Rabat, qui s’est tenu en une seule séance le 7 novembre, l’ancien bâtonnier n’a pu assurer sa défense pour la simple raison qu’il n’a pas, selon la plainte qu’il a déposée par la suite devant un juge d’instruction pour « faux en écriture publique », été formellement notifié de sa convocation.

La cour s’est néanmoins réunie en son absence, et a délibéré sans avoir entendu l’accusé ou son avocat. Une première entorse à la loi. D’autres suivront.

Le jour du verdict, le lundi 21 novembre, Barlamane, un site proche du ministère de l’Intérieur, a publié un article à 16 h 58 dans lequel il annonçait que la cour d’appel avait ordonné la mise en détention de Ziane et qu’elle avait confirmé la peine infligée en première instance.

Et effectivement, vers 18 h 20, une escouade de vingt policiers en civil faisait irruption dans le bureau de son avocat pour appréhender Ziane. Mais quand son conseil a exigé de voir le mandat d’amener et de détention de la chambre criminelle, les vingt policiers, qui à aucun moment ne s’étaient identifiés comme tels, ont refusé de le montrer.

Or, la loi est formelle, la police ne peut pas procéder à l’arrestation d’un justiciable, fût-il condamné, sans ce sésame judiciaire connu sous les termes juridiques d’« ordonnance spéciale motivée ».

Ziane a été conduit en prison alors que – énième entorse à la loi ! – l’administration pénitentiaire n’aurait jamais dû accepter de mettre en détention un condamné sans que son emprisonnement ne soit assorti de l’un des titres exigés par l’article 608. La fameuse ordonnance spéciale motivée.

D’après des sources bien informées, si la cour d’appel a bien confirmé la peine infligée en première instance à Ziane, elle n’a pas ordonné, dans un premier temps, son placement en détention, suivant ainsi l’avis du parquet général qui n’avait pas demandé cette mesure extrême dans son réquisitoire définitif du 7 novembre.

Une malencontreuse pirouette

Les vingt policiers qui l’ont arrêté n’avaient donc aucun document justifiant leur intervention. « Par quel miracle », se sont demandé, indignés, les nombreux soutiens de l’ancien député, « le site Barlamane a pu être informé d’un mandat d’amener et de détention qui n’existait pas quand Ziane a été arrêté ? »

Barlamane a bien tenté le jour suivant de se justifier en assurant avoir eu « accès à la sentence » de la cour avant la publication de son article. Or, comme a pu le constater Middle East Eye en prenant connaissance du document du verdict, il n’y a aucune mention de ce mandat d’amener dans… la sentence.

De plus, l’ordonnance spéciale motivée est un document à part qui accompagne le verdict quand la cour décide de placer en détention le condamné. Ce qu’elle n’a pas fait puisque, rappelons-le, le procureur général ne l’avait pas demandé le jour du procès, le 7 novembre.

Traduction : « Ziane en prison : le tout selon le manuel du Maroc pour amaigrir, harceler et enfin incarcérer les critiques du régime. Toutes les étapes contre Ziane qui nous ont conduits à la triste nouvelle d’aujourd’hui sont décrites dans le chapitre 5 du [Manuel du Maroc pour écraser la dissidence]. »


D’ailleurs, dans la soirée du 21 novembre, quelques heures après l’arrestation arbitraire de Ziane, le procureur général près la cour d’appel de Rabat s’est fendu d’un communiqué dans lequel il a tenté de justifier l’arrestation de l’avocat.

Dans ce communiqué, le procureur a expliqué que la détention de l’ancien ministre avait été ordonnée par lui-même sur la base du verdict prononcé. Il a cité deux articles du Code de procédure pénale, le 392 et le 414. Le premier était la clef juridique nécessaire pour toute incarcération décidée par la cour, mais personne n’a compris ce que venait faire dans ce cas de figure le deuxième. 

Mais voilà, quand l’avocat de l’ancien bâtonnier s’est étonné par écrit qu’il n’y avait aucune mention de détention dans le verdict et que le 21 novembre, la cour n’avait pas émis de mandat d’amener et de détention, comme le stipule l’article 392 cité par le parquet général dans son communiqué, ce dernier a sorti un lapin de son chapeau.

Et il s’est emmêlé les pinceaux avec une explication invraisemblable.

C’est seulement après le verdict de confirmation de la peine, selon la version du procureur général, c’est-à-dire dans la soirée du 21 novembre, qu’il a demandé à la cour de délibérer une deuxième fois de la même affaire pour émettre la fameuse ordonnance spéciale motivée.

Une malencontreuse pirouette qui ne passe pas d’après des professionnels du droit, puisque les magistrats qui ont condamné Ziane étaient juridiquement dessaisis du dossier après la chose jugée. Ils ne pouvaient donc délibérer une deuxième fois de la même affaire.

Les trois juges de la chambre correctionnelle de la cour d’appel auraient donc, en toute illégalité, obtempéré à un ordre du parquet général et émis à posteriori un mandat d’amener et de détention qu’ils n’avaient pas prévu.

Des révélations sur neuf hautes personnalités marocaines

Reste maintenant les raisons qui ont poussé les donneurs d’ordres à bousculer le parquet général de Rabat, les juges de la cour d’appel de la capitale et l’administration pénitentiaire pour forcer la détention arbitraire d’un opposant.

Dans la presse étrangère, on croit que les mésaventures de Ziane ont été provoquées après ses appels au roi pour qu’il rentre au Maroc ou qu’il cède le trône à son fils. C’est probable.

Mais des sources marocaines avancent une tout autre explication. Mohamed Ziane allait faire des révélations importantes sur neuf hautes personnalités marocaines formant ce qu’il a appelé une « bande ». En fait, une « structure occulte » dont avait déjà parlé dans le passé l’historien et activiste des droits de l’homme Maâti Monjib.

Un  noyau dur qui a la haute main sur l’État qu’il manipule à sa guise et hors de tout contrôle. Une entité secrète qui opère en dehors des lois et en violation de la Constitution. La « structure occulte » met une cible sur le nom de la victime et la machine de l’État – presse, police et justice – se charge de le broyer

Un noyau dur qui a la haute main sur l’État qu’il manipule à sa guise et hors de tout contrôle. Une entité secrète qui opère en dehors des lois et en violation de la Constitution. La « structure occulte » met une cible sur le nom de la victime et la machine de l’État – presse, police et justice – se charge de le broyer.   

Dans une vidéo diffusée le 13 novembre 2022 sur la chaîne YouTube du site d’information Al-Hayat al-Yaoumia, Mohamed Ziane avait égrené quelques informations sur cette « structure » en lâchant deux premiers noms, celui du chef du gouvernement Aziz Akhannouch et celui du ministre du Budget Faouzi Lekjaâ.

Selon ce qu’a pu savoir l’auteur de ces lignes, sauf pour un, Ziane allait révéler dans de futures vidéos l’identité du reste des membres de cette « structure » opaque.

Il s’agirait, selon un document manuscrit laissé par maître Ziane et dont MEE a pu obtenir une copie, du grand ordonnateur de ce noyau dur qui se trouve être un conseiller royal et éminence noire du régime connu pour son amitié avec le roi ; d’un très important ministre ; d’un responsable de l’administration pénitentiaire ; d’un haut magistrat qui s’est impliqué ces dernières années dans les procès politiques ; ainsi que de deux responsables policiers chargés de la persécution de tout ce que le Maroc compte de politiciens contestataires, d’activistes des droits humains et de journalistes indépendants.

Le chef du gouvernement Aziz Akhannouch serait, selon Mohamed Ziane, impliqué dans une structure occulte du pouvoir (AFP/Fadel Senna)
Le chef du gouvernement Aziz Akhannouch serait, selon Mohamed Ziane, impliqué dans une structure occulte du pouvoir (AFP/Fadel Senna)

L’ancien bâtonnier allait non seulement donner leurs noms mais révéler également des faits précis dans une prochaine vidéo, imitant ainsi son ancien client, le journaliste Taoufik Bouachrine, qui avait déjà alerté dans l’un de ses éditoriaux en 2017, un an avant sa condamnation, de ce « State capture » piloté par un gouvernement de l’ombre.

Mais avant que l’ancien ministre n’actionne le mécanisme de cette noria de révélations, la « structure » a été plus rapide et a frappé fort en violant consciemment les règles du droit et toute décence. En prêtant le flanc. Inconsciemment cette fois. Embastiller un octogénaire malade, chose que Hassan II n’a jamais faite, n’est pas l’expression de la force d’un État, mais plutôt la preuve de sa faiblesse.
 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Ali Lmrabet est un journaliste marocain, ancien grand reporter au quotidien espagnol El Mundo, pour lequel il travaille toujours comme correspondant au Maghreb. Interdit d’exercer sa profession de journaliste par le pouvoir marocain, il collabore actuellement avec des médias espagnols. Ali Lmrabet is a Moroccan journalist and the Maghreb correspondent for the Spanish daily El Mundo.
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