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Maroc : le bâillonnement des libertés révèle la vulnérabilité de la monarchie

Les derniers jugements abusifs prononcés contre des journalistes et activistes des droits de l’homme confirment la dérive autoritaire du régime de Mohammed VI
Une activiste marocaine lors d’une manifestation pour la libération du journaliste Soulaiman Raissouni, à Rabat, le 10 juillet 2021 (AFP/Fadel Senna)
Une activiste marocaine lors d’une manifestation pour la libération du journaliste Soulaiman Raissouni, à Rabat, le 10 juillet 2021 (AFP/Fadel Senna)

Le roi du Maroc ne tolère aucune voix d’opposition à son régime, comme le montre l’acharnement du makhzen (pouvoir central) à étouffer les voix des opposants à la monarchie.

Intellectuels engagés, défenseurs des droits de l’homme ou journalistes critiques, personne n’est à l’abri d’un procès si jamais il ou elle décide de passer les fameuses « lignes rouges » :  « porter atteinte » à la monarchie, à la personne du roi, à l’islam et à l’« intégrité territoriale » du Maroc.

Vendredi 11 mars, plus de 40 enseignants ont été condamnés à deux mois de prison avec sursis pour avoir manifesté sans autorisation en faveur d’une réforme de leur statut professionnel, une crise qui paralyse l’enseignement public au Maroc depuis 2019.

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Le 3 mars, le journaliste et défenseur des droits humains marocain Omar Radi a été condamné en appel à six ans de prison ferme dans une double affaire d’« espionnage » et de « viol ».

Il s’agit du deuxième journaliste indépendant marocain condamné en une semaine à une lourde peine de prison pour des accusations à connotation sexuelle : un autre journaliste, Imad Stitou, 32 ans, a lui été condamné à un an de prison, dont six mois ferme, dans la même affaire de viol, comme en première instance.

Le 24 février, la justice marocaine a confirmé en appel une peine de cinq ans de prison ferme à l’encontre du journaliste indépendant Soulaiman Raissouni, pour « agression sexuelle ».

La veille, l’avocat marocain et ex-ministre des Droits de l’homme Mohamed Ziane a été condamné à trois ans de prison ferme à la suite d’une plainte déposée par le ministère de l’Intérieur. 

En janvier, l’Association marocaine des droits humains (AMDH) a souligné en conférence de presse combien le Maroc avait connu en 2021 « une régression sans précédent » en matière de liberté d’expression et de la presse.

L’association a recensé 170 cas de poursuites judiciaires ou d’incarcérations visant des journalistes, des blogueurs et des militants de mouvements sociaux l’an dernier. Le pays occupe la 136e place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF). 

Le « piège à miel » 

Au début de son règne, à l’instar de son père, Mohammed VI s’était montré particulièrement méprisant à l’égard de la presse nationale. Les rares interviews qu’il daignait livrer étaient accordées aux médias internationaux, espagnols notamment.

Sur le plan des droits de l’homme, les actes du jeune monarque laissaient pourtant présager une rupture avec le legs de son père : il s’autoproclama « roi des pauvres », limogea le très craint ministre de l’Intérieur Driss Basri, mit sur pied une Instance équité et réconciliation chargée de faire la lumière sur les violences des années de plomb, etc.

Beaucoup ont d’ailleurs cru à cette manœuvre, qui s’avèrera par la suite un stratagème habile visant à assurer une succession pacifique du trône alaouite.

Vingt ans plus tard, la justice n’arrive toujours pas à marquer son indépendance vis-à-vis du pouvoir, en statuant dans des affaires à charge souvent fomentées par les services de renseignement

Car chemin faisant, le nouveau règne s’est confirmé comme une version revisitée d’un autoritarisme prêchant une démocratie de façade et vantant les mérites d’une monarchie capable de contrer l’islamisme radical.

Un épouvantail brandi à chaque fois que le régime était pris en flagrant délit d’atteinte aux droits et libertés, surtout après les attentats meurtriers du 16 mai 2003 à Casablanca.

Ceci a contribué à renforcer l’ascendant des sécuritaires sur la population et, de surcroît, sur les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme.

Malgré les dérives avérées, les autorités continuent de dénigrer les rapports attestant de la détérioration des droits de l’homme dans le royaume, à l’instar de la dernière publication de Human Rights Watch dénonçant notamment les poursuites judiciaires des opposants inspirées par des motifs politiques.

Le pouvoir tente par tous les moyens de réduire au silence les détracteurs les plus récalcitrants : intimidation, persécution, lynchage médiatique, amendes, détentions arbitraires et condamnations.

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Au début des années 2000, le régime a tout fait ou presque pour museler une presse dite indépendante, dont la plupart des pionniers ont été poussés à l’exil après l’interdiction de leurs publications, souvent à la suite de condamnations abusives. Ce fut le cas notamment d’Aboubakr Jamaï, Ali Lmrabet, Ahmed Réda Benchemsi et Hicham Mansouri.

Vingt ans plus tard, la justice n’arrive toujours pas à marquer son indépendance vis-à-vis du pouvoir, en statuant dans des affaires à charge souvent fomentées par les services de renseignement.

Ces dernières années, comme l’a rapporté la presse britannique, les autorités auraient recouru à ce que les espions appellent « le piège à miel » (technique d’approche d’une cible par le sexe) afin de faire taire les opposants récalcitrants.

Une vieille pratique sordide déjà mise en œuvre en 2007 lorsque Rachid Gholam, artiste international de renom, membre d’Al Adl Wal Ihsane (islamiste), a été accusé d’« adultère » par la justice dans une affaire orchestrée par les services de renseignement.

Risque d’implosion sociale

En 2019, le « piège à miel » s’est refermé sur le directeur du journal Akhbar al-Yaoum, Taoufik Bouachrine, condamné à quinze ans de prison ferme pour violences sexuelles.

Les défenseurs des droits de l’homme ne sont pas en reste. Tel Fouad Abdelmoumni, ancien président de l’Association marocaine de défense des droits humains, militant de Transparency International Maroc, qui a été filmé, en 2021, à son insu, dans son intimité – des scènes divulguées dans son entourage et celui de sa compagne.

La même année, les autorités marocaines s’en sont prises à une youtubeuse anti-régime du nom de Dounia Filali, actuellement réfugiée en France, l’accusant à tort d’avoir « vendu des poupées sexuelles gonflables » !

La mère d’Omar Radi lors d’une manifestation de soutien à son fils, le 22 septembre 2020 à Casablanca (AFP/Fadel Senna)
La mère d’Omar Radi lors d’une manifestation de soutien à son fils, le 22 septembre 2020 à Casablanca (AFP/Fadel Senna)

Mohamed Ziane, avocat et fondateur du Parti marocain libéral, a été condamné en février, entre autres, pour « adultère ». L’ex-bâtonnier de Rabat a accusé en novembre 2020 les services de sécurité d’avoir « truqué » une vidéo pour présenter de façon compromettante une entrevue entre lui et une cliente mariée dans une chambre d’hôtel.

Cette tendance a continué en février 2022 avec la confirmation en appel de la condamnation de Soulaiman Raissouni pour « agression sexuelle » contre un jeune homosexuel, la condamnation à six ans de prison ferme d’Omar Radi et celle d’une année d’Imad Stitou, dont six mois avec sursis, alors qu’aucune preuve compromettante n’a pu être dévoilée pour étayer l’accusation de « viol », à en croire RSF.

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Les verdicts prononcés contre les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes critiques ainsi que les quelques rares intellectuels engagés confirment le parti pris du pouvoir. Le cas de l’historien Maâti Monjib qui, après avoir évoqué l’existence de « la police politique », a été condamné à un an de prison pour « fraude » et « atteinte à la sécurité de l’État », n’en est qu’un exemple récent.

C’est dire la volonté de la vieille garde de renouer avec l’autoritarisme d’État, en procédant à un bâillonnement systématique de la liberté d’expression. Une dérive dangereuse susceptible de conduire à une implosion sociale qui risque de saper les simulacres de stabilité politique vantés par la propagande officielle.

Un jeu dangereux à un moment où les indicateurs socioéconomiques du royaume sont dans le rouge et où les manifestations se multiplient pour protester contre la cherté de la vie et l’injustice sociale.

En février, des manifestations ont éclaté à Rabat et dans d’autres villes pour dénoncer la baisse du pouvoir d’achat sur fond de hausse des prix des matières premières, les inégalités sociales grandissantes et la corruption.

Fin février, les transporteurs routiers marocains ont mené une grève de plusieurs jours pour protester contre la hausse des prix des carburants, notamment du gazole.

Force est de constater qu’au Maroc, les libertés sont de plus en plus réprimées et la monarchie de plus en plus vulnérable !

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Aziz Chahir is an associate researcher at the Jacques-Berque Center in Rabat, and the secretary general of the Moroccan Center for Refugee Studies (CMER). He is the author of Who governs Morocco: a sociological study on political leadership (L'Harmattan, 2015). Aziz Chahir est docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à Salé, au Maroc. Il travaille notamment sur les questions relatives au leadership, à la formation des élites politiques et à la gouvernabilité. Il s’intéresse aussi aux processus de démocratisation et de sécularisation dans les sociétés arabo-islamiques, aux conflits identitaires (le mouvement culturel amazigh) et aux questions liées aux migrations forcées. Consultant international et chercheur associé au Centre Jacques-Berque à Rabat, et secrétaire général du Centre marocain des études sur les réfugiés (CMER), il est l’auteur de Qui gouverne le Maroc : étude sociologique sur le leadership politique (L’Harmattan, 2015).
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