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En Afrique du Nord, des journalistes de plus en plus muselés

Leurs soutiens dénoncent des procès « politiques » et leurs avocats ont épinglé de multiples irrégularités. Les autorités assurent que les poursuites n’ont rien à voir avec leur métier
Un militant marocain tient une affiche avec la photo du journaliste marocain Souleimane Raissouni, condamné à cinq ans de prison pour « agression sexuelle », le 10 juillet 2021 à Rabat (AFP/Fadel Senna)
Un militant marocain tient une affiche avec la photo du journaliste marocain Souleimane Raissouni, condamné à cinq ans de prison pour « agression sexuelle », le 10 juillet 2021 à Rabat (AFP/Fadel Senna)
Par AFP à TUNIS, Tunisie

Procès expéditifs ou à huis clos, lourdes peines de prison : plusieurs journalistes ont été pris ces derniers mois dans l’étau judiciaire au Maroc et en Algérie, frères ennemis du Maghreb qui referment ensemble une brève embellie de liberté d’expression, selon les défenseurs des droits humains.

« Ce sont deux systèmes déstabilisés qui réagissent mal et sont en train de s’enfermer de façon surprenante dans une spirale » de répression, estime le Français Christophe Deloire, directeur général de l’ONG Reporters sans Frontières.

D’un côté, Alger, qui fait face depuis 2019 à une contestation inédite, marquée au début par une certaine libération de parole, a censuré plusieurs médias indépendants et condamné des journalistes.

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Parmi eux, Adel Sayad, journaliste d’une radio locale, s’est vu infliger samedi deux ans de prison ferme pour des publications sur Facebook.

En septembre 2020, le journaliste reconnu Khaled Drareni, fondateur d’un site d’information indépendant et correspondant de chaînes européennes, avait été condamné à deux ans de prison pour « incitation à attroupement non armé » après avoir couvert une manifestation du mouvement prodémocratie, le hirak.

« Dans l’Algérie de 2021, un mot peut vous mener en prison, on doit être attentif à tout ce qu’on dit ou écrit », déplore Khaled Drareni, qui a bénéficié d’une grâce présidentielle et attend un procès en cassation.

Autre figure emblématique, Rabah Karèche, journaliste à Tamanrasset (sud), incarcéré depuis trois mois pour avoir rendu compte d’un mouvement de protestation de Touaregs contre l’expropriation de leurs terres.

Au Maroc, Souleimane Raissouni, le rédacteur en chef d’un journal indépendant aux opinions critiques, a été condamné la semaine passée à cinq ans de prison.

Un tribunal de Casablanca a condamné lundi le journaliste et défenseur des droits humains Omar Radi à six ans de prison dans une double affaire d’« espionnage » et de « viol », un verdict dénoncé par plusieurs ONG. 

Omar Radi, 35 ans, affirme être poursuivi en raison de ses opinions critiques du pouvoir. Il a toujours nié les accusations à son encontre : « atteinte à la sécurité intérieure de l’État », avoir reçu des « financements étrangers » en lien avec « des services de renseignement » et « viol ».

Comme d’autres confrères avant eux, les deux sont poursuivis  pour des affaires de mœurs, le premier pour « agression sexuelle », le second pour « viol ».

Des procès « politiques »

Leurs soutiens dénoncent des procès « politiques » et leurs avocats ont épinglé de multiples irrégularités : écoutes illégales, enquêtes policières à charge, audiences non contradictoires, etc. 

Les autorités, elles, assurent que les poursuites n’ont rien à voir avec leur métier et mettent en avant « l’indépendance de la justice ». Les plaignants nient de leur côté toute « instrumentalisation ».

« Le mode opératoire au Maroc est de lancer une kyrielle d’accusations criminelles contre le journaliste ciblé, tandis que les autorités algériennes préfèrent recourir à des délits que le code pénal définit de façon très vague », détaillait l’été dernier l’ONG Human Rights Watch.

Dans une déclaration d’une fermeté peu habituelle envers son allié marocain, le département d’État américain a averti lundi qu’il « suivait » le procès d’Omar Radi et a exprimé sa « déception » après la lourde condamnation de Souleimane Raissouni.

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Cette procédure « est en contradiction avec les promesses fondamentales du système marocain sur des procès équitables […], et avec le calendrier de réformes de sa majesté le roi Mohammed VI », a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price.

L’Algérie s’est de son côté retrouvée pointée du doigt en 2020 par deux résolutions successives du Parlement européen, soulignant « la détérioration de la situation des droits de l’homme » et mentionnant le cas de Khaled Drareni.

Signe d’une fermeture grandissante, entre les difficultés d’accréditation et les contrôles étroits sur le terrain, de moins en moins de correspondants étrangers sont présents en Algérie et au Maroc.

« Cela discrédite ces pays et risque de porter atteinte à leur image, voire à certaines relations diplomatiques », a averti Christophe Deloire.

Par opposition, la Tunisie, jeune démocratie se targuant d’une grande liberté de parole, caracole au 73e rang du classement RSF de la liberté de la presse, loin devant le Maroc (136) et l’Algérie (146), et Tunis s’en prévaut dans les forums internationaux.

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Pourtant, au Maroc comme en Algérie, le pouvoir a conscience d’une aspiration au changement, et promis des réformes. Mais « il y a loin des annonces à la réalité », déplore Christophe Deloire.

En février, un collectif incluant des journalistes marocains exilés avait accusé Rabat de vouloir « museler le journalisme d’investigation ».

Pendant que les procès se poursuivent, certains journalistes se sont tournés vers les instances internationales.

Le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire a ainsi été saisi sur les cas d’Omar Radi et Souleimane Raissouni.

Le caricaturiste algérien Nime, condamné fin 2019 à de la prison pour un dessin mettant en scène le chef de l’armée choisissant un président, a quant à lui fini par s’exiler récemment en France.

Par Caroline Nelly Perrot

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