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Maroc : pourquoi l’histoire du « complot iranien » ne tient pas

En accusant le Hezbollah d’armer le Front Polisario, Rabat cherche en réalité à se positionner à moindre frais aux côtés des États-Unis et de l’Arabie saoudite

Dans un bel exercice d’hypocrite unanimité, les ministres arabes de l’Information ont condamné mercredi 9 mai « l’ingérence flagrante de l’Iran dans la question de l’intégrité territoriale du royaume », lit-on dans une dépêche de l’agence de presse officielle marocaine (MAP). 

Cette déclaration survient une semaine après la surprenante décision du Maroc de rompre, et pour la deuxième fois en quelques années – la dernière fois c’était en 2009 – ses relations diplomatiques avec l’Iran. 

Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, a déclaré que des artificiers et des instructeurs militaires du Hezbollah s’étaient rendus à Tindouf, au Sahara occidental, pour former des commandos du Front Polisario (AFP)

De quoi s’agit-il ? Selon le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, l’Iran, à travers son bras armé, le Hezbollah, aurait utilisé son ambassade à Alger pour faire passer des armes aux combattants du Front Polisario et aurait également procédé à leur instruction en matière d’espionnage en territoire algérien. 

Au Maroc, cette affaire, léthargie persistante oblige, ne soulève aucune réaction autre que l’approbation molle à un oukaze qu’on sait venu directement du Palais royal. Il est de notoriété publique que le département des Affaires étrangères fait partie des ministères dits de souveraineté, c’est-à-dire pilotés directement par l’entourage royal. 

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On voit mal M. Bourita prendre une décision de cette magnitude sans avoir reçu une indication en ce sens du conseiller royal Taïb Fassi, qui est, on a pu le voir ces dernières années, le vrai patron de la diplomatie marocaine.

Quant au chef du gouvernement, Saâdeddine el-Othmani, dont tout le monde connaît le poids réel dans un gouvernement, qui lui-même fait de la figuration, personne ne songe à lui imputer cette rupture. Même s’il s’est empressé, après en avoir pris connaissance, d’applaudir béatement. 

Comploter au grand air

L’Iran étant aujourd’hui au centre de l’actualité mondiale, et faute de faits prouvés et argumentés, on peut aisément deviner les raisons de cette rupture. 

Premièrement, une question : pourquoi le ministère des Affaires étrangères ne présente pas publiquement ses preuves (des vidéos, des enregistrements audio, des documents, etc.) pour que l’opinion publique internationale et les États étrangers puissent jauger d’eux-mêmes de la supposée implication du pays des mollahs dans une entreprise de déstabilisation de la région ? 

Tous les experts de ce conflit savent que l’Algérie et Cuba forment depuis longtemps, dans leurs académies militaires, les combattants sahraouis

Deuxièmement, personne ne comprend pourquoi le Maroc a rompu ses relations diplomatiques avec le lointain Iran et non pas avec la voisine Algérie qui, si l’on en croit les Marocains, a facilité le transit des armes iraniennes destinées aux camps de réfugiés sahraouis de Tindouf et a permis que les instructeurs du Hezbollah puissent comploter au grand air sur son territoire. 

Si les informations dont dispose le Maroc sont solides et véridiques, alors il ne s’agit pas d’un complot irano-hezbollahi mais plutôt d’un complot irano-hezbollahi-algérien.

Le roi Mohammed VI lors de son voyage à Cuba, en avril 2017 (AFP)

Troisièmement, tous les experts de ce conflit savent que l’Algérie et Cuba forment depuis longtemps dans leurs académies militaires les combattants sahraouis. Et pas seulement au maniement des armes. Or, non seulement le Maroc n’a jamais menacé l’Algérie de rompre ses relations avec elle si elle continuait à former les indépendantistes, mais il vient de renouer ses relations diplomatiques avec Cuba, après un voyage touristique du roi Mohammed VI dans l’île castriste. 

D’ailleurs, un ambassadeur marocain vient tout juste, ce mois-ci, de prendre ses quartiers à La Havane, qui vient de réaffirmer son soutien à une « indépendance totale » du Sahara occidental. 

Autres paraboles marocaines

Récapitulons. Pourquoi se fâcher avec l’Iran et accuser le Hezbollah, et faire fi de l’apport non dissimulé et conséquent, et ce depuis toujours, de l’Algérie et de Cuba aux revendications indépendantistes sahraouies ?

Cette « ténébreuse » affaire de complot iranien nous rappelle irrésistiblement d’autres paraboles marocaines qui n’ont jamais été prouvées.

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Dans le passé, le Maroc a essayé de convaincre avec moult déclarations et zéro preuve, que le Front Polisario était impliqué dans un vaste réseau de trafic d’organes humains. Des accusations qui n’ont été ni reprises par la presse internationale, ni validées par des organismes indépendants. Même pas par des États africains favorables au postulat marocain. 

De même, il y a quelques années, Rabat a essayé d’impliquer le Polisario dans le terrorisme islamiste en en faisant un complice d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et des groupes terroristes qui sillonnent le vaste désert du Sahara. 

Personne à Washington, ni dans les capitales européennes, ne croit le Polisario capable de défier l’Algérie, son puissant protecteur, en s’alliant avec ses ennemis d’AQMI

Cette fois-ci, quelques organisations internationales qui ont bénéficié de largesses marocaines (selon les documents confidentiels des services secrets marocains révélés par le hacker Chris Coleman), et des lobbyistes américains ont tenté de convaincre l’administration et le Congrès américains. En vain. 

Personne à Washington ni dans les capitales européennes, ne croit le Polisario capable de défier l’Algérie, son puissant protecteur, en s’alliant avec ses ennemis d’AQMI. Ce serait tout simplement suicidaire. 

Un contresens

Cette énième affaire iranienne est en réalité une tactique (le parent pauvre de la stratégie) et un clin d’œil envoyé à l’administration américaine. Tactique parce que rompre les relations avec l’Iran, bête noire de Trump, permet au Maroc de se positionner à moindre frais aux côtés des États-Unis et de l’Arabie saoudite. 

En mettant le Polisario et l’Iran dans le même sac, le Maroc cherche à rendre « antipathiques » les indépendantistes sahraouis aux yeux de Washington et attirer vers eux les foudres de l’administration Trump. 

En se positionnant contre l’Iran, le Maroc chercherait à se rapprocher de Donald Trump (Reuters)

Pour cette dernière, dirigée par un politicien qui a une vision assez primitive du monde, l’ami de mon ennemi est forcément mon ennemi. C’est-à-dire, si l’ennemi iranien soutient le Polisario, donc le Polisario est forcément l’ennemi des Américains. En fait, c’est un contresens. 

Le Front Polisario n’est ni l’ami des Iraniens, et encore moins du Hezbollah, ni l’ennemi des Américains. Au Proche-Orient, les indépendantistes sahraouis n’ont pratiquement aucun soutien. À part peut-être quelques déclarations isolées de la Syrie et cette récente sortie, vite rectifiée par l’émirat, de l’ambassadeur koweïtien auprès des Nations unies, qui a défendu au Conseil de sécurité le droit des Sahraouis à l’autodétermination. 

Il ne faut pas être sorcier pour comprendre que par ce geste, Rabat a voulu faire un clin d’œil aux Américains

Donc, il ne faut pas être sorcier pour comprendre que par ce geste, Rabat a voulu faire un clin d’œil aux Américains après l’annonce, lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité de l’ONU chargé du renouvellement de la Mission des Nations unies au Sahara occidental (MINURSO), de l’intention des États-Unis à prendre « leurs responsabilités » au cas où Marocains et Sahraouis n’arriveraient pas à se mettre d’accord dans un laps de temps de six mois.

Certains croient que cette menace signifie qu’en cas d’échec des hypothétiques négociations entre Rabat et le Polisario, l’administration américaine reconnaîtrait, comme elle l’a fait avec Jérusalem, la marocanité du Sahara occidental. Un peu gros comme éventualité, mais ce serait une immense victoire des Marocains.

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D’autres, en revanche, pensent plutôt que ce terme signifie que les Américains imposeraient une solution salomonique qui ne plaira à aucun des deux belligérants, ou « parties » comme on dit en termes diplomatiques. 

Pour le moment, c’est un peu trop tôt pour savoir ce que mijotent les Américains. Mais avec un président imprévisible comme Donald Trump, il serait hasardeux de pencher pour l’une ou l’autre des deux options. Quoi qu’il en soit, l’affaire iranienne aura des conséquences sur la diplomatie marocaine. 

- Ali Lmrabet est un journaliste marocain, ancien grand reporter au quotidien espagnol El Mundo, avec lequel il collabore toujours. Interdit d’exercer sa profession de journaliste par le pouvoir marocain, il collabore actuellement avec des médias espagnols et francophones et prépare une thèse de doctorat sur l'histoire du Maroc. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : parade des soldats du Front Polisario, en 2016, à l’occasion du 40e anniversaire de la création de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) (AFP).

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