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Au nord du Maroc, le pouvoir réprime pour éviter un nouveau hirak 

Économiquement étranglés par la fermeture de la frontière avec l’Espagne, des habitants de la région de Tétouan ont manifesté pacifiquement vendredi. Les heurts avec les forces de l’ordre et les arrestations ont rappelé que les autorités ne feraient aucune concession 
La fermeture de la frontière avec Ceuta et Melilla impacte la situation socioéconomique des populations du nord du Maroc (Twitter)
La fermeture de la frontière avec Ceuta et Melilla impacte la situation socioéconomique des populations du nord du Maroc (Twitter)

‘Ach ach-ch’ab ou ‘ach ar-Rif (vive le peuple et vive le Rif), Silmiya silmiya wa souloutat al-qam’iya (manifestations pacifiques et autorités répressives) : ce sont-là quelques exemples des nombreux slogans scandés, sous un froid hivernal, par des manifestants désemparés rassemblés vendredi 5 février en début de soirée, au centre de Fnideq, une localité située à Tétouan (nord du Maroc). 

À l’approche de la célébration par les militants des droits humains de la journée du 20 février ayant marqué la naissance du mouvement du 20 Février à l’ère du « printemps démocratique » en 2011, la région du Rif a été secouée par un soulèvement populaire pacifique.

Ce dernier vient rappeler à ceux qui ne veulent pas l’entendre que le hirak du Rif, vaste protestation populaire déclenchée en 2016 par la mort d’un vendeur de poisson qui tentait de s’opposer à la police, est un mouvement social de fond susceptible de resurgir là où on l’attend le moins. 

Prises vraisemblablement de court par une mobilisation massive et impromptue de centaines de manifestants, notamment des jeunes, mais aussi des femmes et des enfants, les autorités ont décidé, comme à l’accoutumée, de recourir à la force pour réprimer les protestataires, dont nombreux ont été brutalement violentés et plusieurs arrêtés par les forces de police. 

Sur des vidéos diffusées en direct par des militants rifains sur les réseaux sociaux (notamment sawt acha’ab), on pouvait apercevoir les forces de l’ordre asséner des coups de matraque à de jeunes manifestants, y compris à des femmes, dont les cris de détresse interféraient avec les sirènes des estafettes de police et les ambulances qui transportaient les manifestants à terre après un passage à tabac. 

Traduction : « Manifestation à Fnideq au Maroc, avec arrestations d’un nombre inconnu de manifestants. Nous appelons les Marocains à réagir avec le hashtag #FreeKoulchi en précisant les informations sur les détenus. »

Redoutant les critiques pour avoir recouru à la violence afin d’écraser une manifestation pacifiste, les autorités se sont empressées de publier un communiqué officiel malencontreux dans lequel la préfecture de Madieq-Fnideq a affirmé que six agents parmi les forces de l’ordre avaient été « blessés par des jets de pierre de la part de quelques manifestants », et que dix personnes s’étaient « évanouies à cause des bousculades ». 

Sans surprise, les autorités ont aussi déclaré que ces manifestations avaient enfreint les mesures liées à l’état d’urgence sanitaire et qu’elles n’étaient pas « légales » puisqu’elles n’avaient pas été « autorisées ». 

En jouant la carte du « tout sécuritaire », une fois encore, le régime de Mohammed VI semble déterminé à en découdre avec toutes les manifestations malgré le caractère pacifique des protestations et la détresse de la situation socioéconomique intenable des populations marginalisées dans la région du nord tout particulièrement. 

Fermeture des points de passage frontaliers

Ces manifestants désabusés sont les représentants d’une population démunie qui subit jusqu’à maintenant en silence la décision des autorités marocaines de fermer, en octobre 2019, pour la première fois, Bab Sebta, un des deux points de passage frontaliers qui séparent les enclaves espagnoles du Maroc (Rabat ne reconnaissant pas la souveraineté espagnole sur Ceuta et Melilla). 

Avec la fermeture de la frontière marocaine, le 13 mars 2020 face à la pandémie de COVID-19, le transport de marchandises non déclarées s’est brutalement arrêté. 

Cette situation a négativement impacté la situation socioéconomique des populations du nord, notamment, dont une grande partie dépend du marché de la contrebande, un trafic qui pèse 20 milliards de dirhams par an (environ 1,8 milliard d’euros), selon les douanes marocaines. 

Des Marocaines de Fnideq désespèrent de retourner travailler à Ceuta et Melilla et se retrouvent privées de leurs moyens de subsistance en raison de la fermeture des frontières, en août 2020 (AFP)
Des Marocaines de Fnideq désespèrent de retourner travailler à Ceuta et Melilla et se retrouvent privées de leurs moyens de subsistance en raison de la fermeture des frontières, en août 2020 (AFP)

Ceci étant dit, on ne peut pas réduire pour autant la recrudescence des protestations dans la région du nord à la crise économique, laquelle a été aggravée par la crise sanitaire due au COVID-19 et la fermeture des frontières sur les marchandises provenant de la contrebande. 

Selon une source ayant pris part aux manifestations de Fnideq, les autorités ont procédé à l’arrestation de nombreux activistes politiques, dont notamment des membres de l’association d’obédience islamiste Al Adl Wal Ihsane (Justice et spiritualité), ainsi que des militants issus des partis politiques de gauche. 

Cette version a été vite confirmée à la lecture du communiqué publié le 6 février par l’Union nationale des forces populaires (USFP, gauche, actuellement membre de la coalition gouvernementale), dans lequel on peut lire notamment ceci : « L’USFP n’a jamais appelé à une manifestation dans la région de Fnideq, dont les populations ont décidé de descendre dans la rue pour protester contre la fermeture des frontières marocaines avec les enclaves de Ceuta et Melilla. En outre, le parti dénonce l’arrestation de son membre, al-Khalil Jebbabri [relâché samedi], ainsi que l’agression par les forces de l’ordre de deux de ses militants. » 

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Les autorités ont procédé également à l’arrestation de quelques membres d’Al Adl Wal Ihsane soupçonnés par les services de renseignement d’être impliqués dans l’organisation des manifestations.

Dans un communiqué du 6 février, l’association islamiste opposée à la monarchie a appelé les autorités à libérer Yassine Razine, un membre actif dans la région. Mais c’était sans compter l’intransigeance du système politico-judiciaire qui a décidé de placer en garde à vue de nombreux activistes et de transférer quatre manifestants devant la justice.      

Il n’est pas anodin de relever ici que les manifestations de Fnideq coïncident, comme par hasard, avec le 6 février, date de la commémoration du décès d’Abdelkrim al-Khattabi, le fondateur de la république du Rif en 1921. 

Par ailleurs, il n’est pas exagéré d’affirmer que le régime de Mohammed VI ne semble pas disposé à se réconcilier avec le Rif dans la perspective de préserver la paix sociale. 

Risque d’implosion sociale

Les autorités semblent ainsi déterminées à ne faire aucune concession face aux pressions exercées sur le pouvoir pour libérer les activistes du hirak. 

Malgré les multiples mouvements de grève de la faim observés par de nombreux détenus, le régime refuse toujours de les gracier, préférant à la place la politique de la fermeté et de l’inflexibilité, qui pourrait s’avérer à terme une stratégie à haut risque, comme en témoigne ainsi la vague de solidarité qui ne cesse de s’accroître en faveur des détenus du hirak. 

La politique du « tout sécuritaire » adoptée par le régime de Mohammed VI pourrait déboucher inéluctablement sur une implosion sociale avec en soubassements des revendications politiques, voire identitaires, de plus en plus extrémistes et violentes. 

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Sinon, comment expliquer la décision de l’administration pénitentiaire, tout récemment, de séparer les détenus du hirak du Rif dans ce qui semble être un acte gratuit de provocation visant, à terme, à dissuader les populations rifaines d’emprunter la voie de la protestation ? 

Or, dans la réalité – les manifestations de Fnideq n’en sont que la parfaite illustration –, la polarisation et l’exacerbation des tensions pourraient conduire à une radicalisation du mouvement de protestation dans le Rif et ailleurs. 

Car ce sont là justement les germes insidieux d’un séparatisme politique qui ne dit pas son nom. C’est pourquoi le régime est plus que jamais appelé à sortir de son tropisme en mettant un terme à cette chape de plomb qui empêche la classe politique de sortir, elle aussi, de son omerta pour daigner proposer de véritables alternatives à une politique sécuritaire qui n’a d’ailleurs jamais répondu aux revendications des populations. 

Face à un pouvoir central tétanisé par les effets dévastateurs de la pandémie de COVID-19 – comme en témoigne l’improvisation du régime dans l’organisation de la campagne de vaccination –, comme cela a été annoncé en grandes pompes par la propagande officielle, il est temps que les sécurocrates cèdent la place aux politiques, afin que ces derniers puissent mettre en place des réponses à la misère et à l’exclusion. 

Or, cette politique de bricolage tente de colmater les brèches et de prescrire des calmants au lieu de s’attaquer à la racine du mal. 

Sinon, comment expliquer le fait que les autorités tiennent une réunion en présence du wali de la région Tétouan-Tanger-Hoceima pour décider, unilatéralement, du lancement d’un programme d’accompagnement des jeunes et des femmes pour l’accès au marché de l’emploi, juste à quelques heures des manifestations dans la région de Fnideq ?

Point de passage entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta, à Fnideq (AFP)
Point de passage entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta, à Fnideq (AFP)

On est en droit de se demander où sont passés les politiques et où en sont les projets de développement lancés par le pouvoir en 2016, quelques temps après l’éclatement du hirak du Rif. Pour le moment, nulle part. 

Face à la léthargie des édiles locaux et l’indifférence des autorités, la société civile avait multiplié en vain les initiatives pour trouver une issue à la crise socioéconomique insoutenable dans le Rif, comme en témoigne à juste titre la proposition désespérée d’un « groupe de réflexion pour la défense des droits des populations de la préfecture de Madieq-Fnideq ».

Vendredi, les populations de Fnideq ont manifesté haut et fort leur indignation face à un pouvoir qui continue fâcheusement d’user et d’abuser de la violence sécuritaire pour endiguer des manifestations pacifiques. 

Demain, ce sera peut-être le tour d’autres régions de monter au créneau pour dénoncer l’échec d’un régime de plus en plus autoritaire et policier qui peine à préserver la paix sociale, la faillite d’un État central à garantir la citoyenneté et la dignité humaine, et la démission d’une classe politique aux abonnés absents.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Aziz Chahir is an associate researcher at the Jacques-Berque Center in Rabat, and the secretary general of the Moroccan Center for Refugee Studies (CMER). He is the author of Who governs Morocco: a sociological study on political leadership (L'Harmattan, 2015). Aziz Chahir est docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à Salé, au Maroc. Il travaille notamment sur les questions relatives au leadership, à la formation des élites politiques et à la gouvernabilité. Il s’intéresse aussi aux processus de démocratisation et de sécularisation dans les sociétés arabo-islamiques, aux conflits identitaires (le mouvement culturel amazigh) et aux questions liées aux migrations forcées. Consultant international et chercheur associé au Centre Jacques-Berque à Rabat, et secrétaire général du Centre marocain des études sur les réfugiés (CMER), il est l’auteur de Qui gouverne le Maroc : étude sociologique sur le leadership politique (L’Harmattan, 2015).
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