Meurtre de Jo Cox : avons-nous cherché les mauvais « extrémistes » ?
Le meurtre brutal de la députée de West Yorkshire Jo Cox a montré des failles que très peu dans l’establishment étaient prêts à admettre jusqu’à présent.
Le racisme en Grande-Bretagne est, heureusement, moins flagrant et beaucoup moins brutal qu’aux États-Unis. Les organisations d’extrême droite rencontrent généralement plus de difficultés dans ce pays qu’en Amérique – où leurs membres sont autorisés à porter des armes – ou que dans le reste de l’Europe, où leurs opinions et leurs candidats sont entrés dans la politique traditionnelle. C’est un problème beaucoup plus sophistiqué ici.
Alarmisme
L’appel des organisations hostiles aux migrants et aux musulmans comme le British National Party (BNP) et la Ligue de défense anglaise (EDL) a été assourdi au fil des ans. C’est en partie à cause de l’opposition et du mépris généralisés à l’échelle nationale pour les groupes ouvertement racistes, mais aussi parce que ces opinions se sont propagées de manière troublante dans le grand public. Les partis politiques comme UKIP existent presque exclusivement pour reconquérir la souveraineté perçue comme perdue face à l’Union européenne (UE) et, en quelque sorte, faire passer la Grande-Bretagne en premier.
Menant la charge pour le Brexit, UKIP et ses partisans ont, par exemple, agité le spectre d’une Grande-Bretagne inondée par des millions de Turcs si la Grande-Bretagne reste dans l’UE. Il est peu étonnant que toutes les campagnes pour « sortir » ou « rester » dans l’UE aient été suspendues suite à l’assassinat de Jo Cox.
Jo Cox était très admirée et aimée de ses électeurs et de ceux qui la connaissaient, mais il se pourrait bien qu’elle ait été tuée justement parce qu’elle se souciait de tous et pas seulement de ceux qui s’identifient uniquement comme Britanniques. Jo Cox s’est battue pour obtenir des zones « sans bombardement » en Syrie et était une ardente défenseure des droits des migrants et des droits de l’homme. Après l’attaque, elle a agonisé dans les bras de son assistante, une musulmane.
Il était stupide de ne pas s’attendre à ce que l’atmosphère créée par la rhétorique ultra-nationaliste et exclusiviste n’entraîne pas, à un moment ou à un autre, le genre de tragédie qui s’est produite dans le West Yorkshire la semaine dernière.
Alors que le gouvernement s’est apparemment concentré sur la radicalisation parmi les musulmans, il a totalement échoué à en faire de même avec l’essor des opinions prônant la suprématie blanche.
La plupart des gens qui ont connu le largement discrédité programme Prevent du gouvernement – qui contraint légalement le secteur public à signaler les éventuels « radicaux » aux autorités – vous diront qu’ils ont peu de formation, ou de dispositions, pour définir ou identifier l’extrémisme musulman et encore moins pour reconnaître l’extrémisme de droite. On pouvait s’y attendre, les appels à abandonner Prevent sont désormais courants puisque la plupart des gens ne considèrent pas l’espionnage comme la solution.
Maintenant que Jo Cox est devenue la première députée assassinée en 26 ans, les choses doivent changer. Il est temps de limiter le cycle du langage populiste employé par les médias et les politiciens qui a alimenté une telle haine.
Terrorisme ou pas ?
En 2007, l’ancien candidat du Parti national britannique (BNP) Robert Cottage a été accusé de se préparer à une guerre raciale au Royaume-Uni. Il se trouvait en possession de la plus grande cache d’explosifs chimiques en son genre jamais découverte dans le pays et a plaidé coupable devant un tribunal de Manchester en vertu de la loi sur les substances explosives (1883). Cottage n’a pas été accusé de terrorisme.
En 2015, le soldat britannique Ryan McGee originaire de Manchester, partisan du Ku Klux Klan et de l’EDL, se trouvait en possession de bombes artisanales bourrées de 187 shrapnels pour maximiser les dommages. McGee était en outre en possession de couteaux, de haches et d’imitation de fusils et avait regardé des vidéos de décapitations et d’exécutions d’une balle dans la tête sous un drapeau à croix gammée nazie. Il avait aussi un drapeau « No Surrender » (« pas de reddition ») de l’EDL dans sa chambre. Il a été poursuivi et condamné en vertu de la loi sur les substances explosives (1883) et condamné à une peine de deux ans de prison. Le tribunal a décrété que McGee n’était qu’un adolescent immature, pas un terroriste.
Bien qu’il soit flagrant qu’il existe deux poids, deux mesures par rapport à la façon dont les musulmans accusés de crimes similaires sont traités, il est évident que, lorsque cela l’arrange, la Grande-Bretagne dispose des ressources suffisantes pour traiter ces questions et que les lois antiterroristes ne sont même pas nécessaires.
Lorsque Anders Breivik a perpétré un meurtre de masse à Oslo, on a relativement peu parlé de l’idéologie qui l’a fait agir de cette façon. Breivik détestait les immigrants en général et les musulmans en particulier, mais il a choisi de n’en tuer aucun, ce qui, bien que surprenant, était de mauvais augure.
Breivik a choisi de déclencher sa guerre contre « les siens » parce qu’il considérait leurs opinions comme une traîtrise des siennes. Ces personnes s’étaient « vendues » au multiculturalisme et avaient contribué à diluer sa nation et sa race et à l’infecter avec des cultures, des croyances et un sang étrangers. Selon sa vision du monde, ils ont échoué à « faire passer la Norvège d’abord ». Breivik et Mair avaient des motifs et occasions suffisants pour tuer des migrants et des musulmans, mais les deux ont choisi de cibler ceux qu’ils percevaient comme des défenseurs de ces deux groupes.
La Grande-Bretagne d’abord
Le Southern Poverty Law Centre a rapporté que l’assassin de Jo Cox, Thomas Mair, était un partisan de la National Alliance, une organisation néonazie américaine. Un manuel qu’il a acheté auprès de l’organisation détaille comment construire un engin explosif improvisé et des pistolets. Il aurait utilisé une arme à feu artisanale pour tirer sur Jo Cox.
Le rapport ajoute que Mair était « l’un des premiers abonnés et partisans de SA Patriot », un magazine sud-africain pro-apartheid publié par le raciste White Rhino Club. Ses objectifs déclarés comprennent l’opposition aux « sociétés multiculturelles » et à « l’islam expansionniste ».
Les témoins ont rapporté que Mair a crié « Britain first » (« la Grande-Bretagne d’abord ») avant de tirer sur Jo Cox. La police enquête sur ses liens avec l’organisation ultra-nationaliste anti-musulmans Britain First, qui nie toute relation. Le groupe dispose d’une aile appelée Britain First Defence Force, qui effectue des « patrouilles chrétiennes » et des « invasions de mosquée » dans les zones à majorité musulmane. Il gère également des « camps d’entraînement activiste » en vue de la confrontation. Fondé par d’anciens membres du BNP, la devise de Britain First est « reprendre notre pays ».
Lors de l’élection du maire de Londres, le chef de Britain First, Paul Golding, a notoirement tourné le dos à Sadiq Khan lorsque le gagnant a été annoncé. Lors de la campagne électorale, l’adjointe de Golding, Jayda Fransen, a écrit :
« … Ils affronteront l’ire du mouvement Britain First, ne vous y trompez pas ! Nous ne nous reposerons pas tant que chaque traître ne sera pas puni pour ses crimes contre notre pays. Et par ‘’puni’’, j’entends la bonne vieille justice britannique au bout d’une corde ! »
Lors de sa première comparution devant le tribunal, lorsqu’on lui a demandé de confirmer son nom, Mair a répondu : « Mon nom est mort aux traîtres, liberté pour la Grande-Bretagne. »
Deux poids, deux mesures
C’est devenu une sorte de blague sur les réseaux sociaux : chaque fois qu’un homme blanc commet un acte de violence motivé par l’idéologie, il ne se voit pas qualifié de terroriste et est décrit par les médias traditionnels comme un « solitaire » qui a souffert de « problèmes psychologiques ».
Au bon moment, il a déjà été dit que Mair était un solitaire qui avait des « antécédents de troubles mentaux ». En outre, sa famille et ses amis ont dit qu’il était « doux » et « gentil » et qu’il « ne ferait pas de mal à une mouche ». Soit dit en passant, lorsque le directeur de recherche de CAGE, Asim Qureshi, a décrit le bourreau du groupe État islamique Mohammed Emwazi comme « un beau jeune homme » qui était « gentil » et « ne ferait pas de mal à une mouche », cela a suscité l’indignation nationale. L’hypocrisie ne saurait être plus évidente.
On saura dans les jours à venir si le meurtre de la députée Jo Cox était motivé par la politique ou était un acte de sauvagerie aveugle. Cependant, le gouvernement ne peut plus ignorer ce que le reste d’entre nous peut voir clairement.
- Moazzam Begg est un ancien détenu de Guantánamo. Il occupe actuellement le poste de directeur des relations extérieures de l’organisation militante CAGE, basée au Royaume-Uni.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : la police scientifique britannique examine le lieu où la députée travailliste Jo Cox a été tuée à Birstall (Royaume-Uni), le 16 juin 2016 (AA).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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