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Pourparlers de Genève sur le Yémen : échec voulu par les agresseurs

Si ces pourparlers ont échoué, c’est bien parce que les agresseurs qui bombardent le pays – la « coalition » dirigée par les Saoudiens et sponsorisée par le Royaume-Uni et les Etats-Unis – voulaient qu’ils échouent

Les pourparlers de Genève pour la paix au Yémen ont été rompus la semaine dernière, avant même d’avoir commencé. En effet, les délégations n’ont même pas réussi à entrer dans la même pièce : comment auraient-elles pu trouver un accord ? Ce résultat n’a pas vraiment surpris, ni les observateurs ni les belligérants de la guerre désastreuse qui sévit au Yémen. Mais dans l’ensemble, quand on entend déplorer les « échanges de récriminations » et « une intransigeance bien partagée », n’oublions pas que, si ces pourparlers ont échoué, c’est bien parce que les agresseurs qui bombardent le pays – la « coalition » dirigée par les Saoudiens et sponsorisée par le Royaume-Uni et les Etats-Unis – tenaient à ce qu’ils échouent.

Fait majeur, le cessez-le-feu proposé par le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a été refusé par les Saoudiens, alors même que, partout ailleurs, c’est la condition élémentaire à tout pourparler de paix. Naturellement, le Houthis ont refusé de négocier tant que les Saoudiens continueraient de les bombarder. Et les Saoudiens ont refusé d’interrompre leurs bombardements tant que les Houthis ne se seraient pas retirés de toutes les villes prises pendant la guerre. Autrement dit, les Houthis proposaient un cessez-le feu réciproque quand les Saoudiens posaient, comme condition préalable aux négociations, rien moins qu’une reddition totale. Vu que les Houthis n’ont perdu que peu de terrain depuis le début des bombardements en mars, il n’en était pas question, évidemment.

Pendant ces pourparlers, les Yéménites alliés aux Saoudiens – les forces fidèles au président en exil Hadi, parvenu au pouvoir en 2012 suite à une élection dont il était le seul candidat – partageaient de toute évidence la mauvaise foi de leurs bailleurs de fonds. Comme l’écrit Medhat al-Zahed dans l’hebdomadaire Al Ahram Weekly :

« En réponse à l’appel de Ban Ki-moon, proposant deux semaines de trêve humanitaire à l’occasion du mois sacré du Ramadan, le gouvernement yéménite en exil a pris un ton moins conciliant, c’est le moins qu’on puisse dire : son ministre des Affaires étrangères a en effet déclaré que le Ramadan est un mois consacré au djihad et que rien n’empêche donc de poursuivre les combats... Le rejet de cette trêve fut encore plus catégorique du côté d’Ahmed al-Masiri, chef des Forces de résistance du Sud, qui luttent sur le terrain contre les Houthis et les régiments de l’armée yéménite fidèles au président Ali Abdallah Saleh... Il a repoussé l’idée d’une trêve humanitaire, affirmant que c’était « hors de question, tant pendant qu’après le Ramadan ». « Le Ramadan est un mois sacré, pendant lequel il est permis de faire le djihad », a-t-il déclaré... La conférence s’est ouverte sur des polémiques très houleuses, où la délégation yéménite brandissait les slogans que lui souffle Riyad. « Nous ne sommes pas ici pour négocier mais faire appliquer la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies », a-t-il déclaré. « Il s’agit de rétablir le gouvernement et retirer les milices ». Tant de rigidité de la part du gouvernement yéménite et de son bailleur saoudien s’explique très bien : ils étaient dès le début opposés aux négociations. Ils ont tenu à les qualifier de « consultation » et ont d’entrée fortement insisté pour qu’elles se déroulent à Riyad. « Nous avons accepté [de venir à Genève] par complaisance envers les Nations unies, pour qu’on ne puisse pas dire que nous sommes contre la paix ou entêtés », a rappelé al-Masiri.

En clair, le camp anti houthi n’avait lui-même pas la moindre intention de négocier ou d’accepter un cessez-le-feu. En venant à Genève, ils n’avaient qu’une chose en tête : présenter la guerre en cours de telle manière que seuls les Houthis portent le chapeau.

En fait, cette obstination à saborder toute chance d’un règlement négocié en faveur de la poursuite de la guerre et du chaos coïncide exactement avec le lancement de la campagne de bombardements par l’Arabie saoudite elle-même. Un mois après le début de ces bombardements, il s’est avéré que l’opération « Tempête Décisive » avait été programmée au moment précis où les belligérants yéménites allaient signer un accord de partage du pouvoir, qui aurait pu mettre fin à la guerre civile : « Selon l’ancien Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations unies pour le Yémen, Jamal Benomar, les négociations entre tous les principaux acteurs au Yémen étaient sur le point d’aboutir sur un accord intérimaire de partage du pouvoir, quand soudain, le 25 mars, l’Arabie saoudite et ses alliés lançaient l’opération Tempête Décisive (Wall Street Journal du 26 Avril). Malgré la poussée des Houthis au sud Yémen, les représentants du sud sont restés à la table des négociations. Le début de frappes aériennes par l’Arabie saoudite et ses partenaires a mis fin aux négociations. Elles ont conduit à une escalade spectaculaire de la violence entre Houthis et milices du sud, déterminées, avec le soutien de l’Arabie saoudite, à reprendre l’avantage – perdu au sud – sur les Houthis et leurs alliés » (Jamestown.Foundation).

Pourquoi ? C’est la grande question. Pourquoi l’Arabie saoudite étendrait-elle sans raison une guerre déstabilisatrice sur sa propre frontière sud et persisterait-elle, alors même que de toute évidence leur Tempête « décisive » ne l’était en rien ?

Réponse : elle ne cherche pas simplement, comme on le prétend souvent, à soustraire le gouvernement du Yémen à l’influence chiite – comme s’il était évident qu’un gouvernement sunnite s’oppose nécessairement à un gouvernement chiite. Voilà bien une analyse typique de la manière dont la presse orientaliste occidentale s’entête à vouloir rendre « naturelles » et réifier les divisions religieuses et ethniques, d’une façon qui suggère que l’intolérance sectaire ferait en quelque sorte partie de l’ADN des non-Européens.

En réalité, les dirigeants saoudiens sunnites n’ont pas hésité, par le passé, à soutenir un mouvement chiite yéménite – précurseurs des Houthis, par-dessus le marché – par exemple lorsque, dans les années 1960, la famille royale zaïdite – chiite – se trouvait menacée par un mouvement républicain soutenu par l’Egypte : lors de ce conflit, Saoudiens sunnites et Iran chiite étaient du même côté. L’implication saoudienne au Yémen n’a rien à voir avec je ne sais quelle séculaire identité sectaire. Il s’agit d’une stratégie spécifique, très récente en fait, puisqu’elle ne remonte qu’au milieu des années 2000, où l’alliance Arabo-israélo-américano-britannique s’est mis en tête de déverser des milliards de dollars pour former des escadrons de la mort sectaires, et les lancer ensuite contre l’axe de résistance dirigé par l’Iran, la Syrie et le Hezbollah. Les Houthis, qui menaçaient la base régionale de l’un des plus puissants de ces groupes – celle d’Al-Qaïda dans la péninsule arabe – risquaient de faire capoter cette stratégie. Depuis, elle prospère, car la situation chaotique provoquée par l’intervention saoudienne a fourni les conditions idéales de sa propagation.

- Dan Glazebrook est rédacteur politique spécialisé en politique étrangère occidentale. Il est l’auteur de Divide and Ruin: The West’s Imperial Strategy in an Age of Crisis (Diviser pour détruire et régner : la stratégie de l’impérialisme occidental en temps de crise).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Ismael Ould Cheikh Ahmed, envoyé spécial du Yémen, participant à la conférence de presse qui a suivi les pourparlers de paix sur le Yémen, tenus le 19 juin dans les bureaux des Nations Unies à Genève (AFP)

Traduction de l'anglais (original) par Dominique Macabies.

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