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Pourquoi Ahrar al-Sham lutte contre lui-même – et quel en est l'impact sur la bataille pour la Syrie

Les désaccords idéologiques et stratégiques menacent l'unité d'Ahrar al-Sham, l'un des groupes rebelles les plus puissants en Syrie

Le puissant mouvement islamiste Ahrar al-Sham traverse une crise existentielle interne qui pourrait avoir un impact significatif non seulement sur le groupe lui-même, mais également sur la dynamique locale du conflit syrien.

Les désaccords entre les dirigeants du mouvement ont atteint un sommet le 10 décembre dernier quand seize factions locales du groupe se sont unies pour former une nouvelle sous-faction appelée Jaish al-Ahrar, sous la direction de l'ancien chef d'Ahrar al-Sham, Hashim al-Cheikh.

Certains ont attribué ces différences à des rivalités idéologiques.

Les cadres pragmatiques du mouvement veulent le transformer en un groupe islamiste plus acceptable sur le plan politique en s'éloignant du puritanisme salafiste-djihadiste et en renforçant leur coopération avec l'Occident et d'autres factions rebelles syriennes. Mais un courant jusqu’au-boutiste au sein d'Ahrar al-Sham embrasse le puritanisme salafiste-djihadiste et cherche à opérer une fusion avec d'autres groupes radicaux comme Jabhat Fatah al-Sham. Les responsables de la ligne dure souhaitent aussi se distancer de la Turquie, de l'Occident et de leurs alliés syriens.

D'autres proches du groupe ont considéré cette division comme une lutte de pouvoir et un affrontement de stratégies.

Que la raison soit l'une ou l'autre – ou un mélange des deux, ce qui est le plus probable – la dynamique future du conflit dépend de la façon dont le mouvement gèrera ces divisions.

Organisé et puissant

Ahrar al-Sham, également connu sous le nom de Harakat Ahrar al-Sham al-Islamiyya, est une coalition d'unités islamistes et salafistes multiples qui se sont regroupées en une seule brigade pour combattre le régime syrien.

Le mouvement a été fondé il y a cinq ans par Hassan Abboud et d'autres anciens prisonniers islamistes du régime d'Assad, libérés de la prison de Sednaya peu de temps après le début du soulèvement en 2011. Basé initialement dans le gouvernorat d'Idleb, il s’est rapidement étendu à toute la Syrie, bien qu’il demeure actif principalement au nord et à l'ouest du pays.

À une plus grande échelle, ce clivage au sein d’Ahrar al-Sham accroît davantage les divisions et la fragmentation entre les groupes rebelles, qui se trouvent déjà dans un état désastreux

Ahrar al-Sham est considéré comme le groupe rebelle le plus organisé et le plus puissant avec, selon les estimations, environ 20 000 combattants. Le mouvement génère de l'argent en contrôlant les points de passage avec la Turquie, mais il dépend principalement du soutien étranger de la Turquie et du Qatar.

Le groupe a été confronté à une menace existentielle similaire au schisme interne actuel lorsque plus de 40 de ses dirigeants ont été tués le 9 septembre 2014 par une attaque au gaz menée lors d’une réunion de haut niveau du groupe dans l'une de ses bases souterraines les plus sécurisées à Idleb.

Cependant, le groupe avait réussi à surmonter cette attaque en réaffirmant le leadership collectif à travers son Conseil de la Choura (conseil consultatif).

Un combattant d’Ahrar al-Sham dans le quartier de Tadamon, au sud de Damas, le 15 juin 2015 (AFP)

Questions sous-jacentes

La participation d'Ahrar al-Sham à l'opération militaire dirigée par les Turcs contre l'État islamique (EI) en Syrie et ses discussions relatives à une fusion avec Jabhat Fateh al-Sham, l'ancien affilié d’al-Qaïda, Jabhat al-Nosra, sont les deux principales questions sous-jacentes qui ont fait apparaître les récentes rivalités au sein du groupe.

Le 20 septembre, le Conseil de la Choura d'Ahrar al-Sham a publié une fatwa (décision religieuse) autorisant la lutte aux côtés de la coalition turque contre l’EI. La fatwa a conduit à une division au sein de l'organisation, certains s'y opposant parce que les conditions religieuses nécessaires dans de tels cas n'étaient, selon eux, pas remplies.

En conséquence, au moins une faction, al-Ashidda, plusieurs individus et deux membres du Conseil de la Choura ont fait défection.

De plus, les récentes négociations sur la fusion entre Jabhat Fateh al-Sham et Ahrar al-Sham, parmi d'autres groupes, ont eu un effet particulièrement clivant au sein du mouvement.

Alors que l'aile dure était en faveur de la fusion proposée, la considérant comme un moyen de renforcer l'unité des rebelles, les pragmatiques du groupe l’ont refusée par peur de perdre du soutien et d'être étiquetés comme un groupe terroriste, ce qui coûte cher.

Bien que des négociations similaires de fusion aient eu lieu au cours des dernières années, les discussions sur une possible alliance ont refait surface après la création de Fateh al-Sham et la rupture de ses liens avec al-Qaïda, ce qui était auparavant présenté comme le principal obstacle à la fusion.

Comportement inédit

Contrairement aux cas précédents, où celui qui recevait la majorité du soutien prenait la tête du groupe, l'élection d'un nouveau leader en novembre dernier a été la dernière goutte qui a conduit à une importante polarisation interne.

Habituellement, le chef du groupe est élu par la majorité des 22 membres du Conseil de la Choura et dispose d’un mandat d’un an.

Peu importe comment et quand les luttes intestines du groupe seront résolues, elles auront probablement un impact significatif non seulement sur le mouvement mais aussi plus généralement sur le conflit

Bien qu’Ali al-Omar, l’actuel dirigeant du groupe, ait reçu la majorité des voix en novembre, plusieurs irréductibles ont protesté contre son élection. Huit membres de la Choura ont suspendu leur adhésion, expliquant que leur décision résultait de l'impasse dans laquelle se trouvait actuellement la résolution des problèmes internes du mouvement.

Les radicaux ont refusé d'accepter tout candidat autre que les deux qu'ils avaient proposés – l'ancien chef du mouvement Hashim al-Sheikh ou son commandant militaire, Abou Saleh Tahhan.

Ce comportement sans précédent a eu lieu après que les partisans de la ligne dure ont accusé les pragmatiques de les marginaliser en vue de modifier l'identité du groupe et de le rendre plus acceptable aux niveaux régional et international.

La tension a encore augmenté avec la création ce mois-ci d’une nouvelle sous-faction, Jaish al-Ahrar, menaçant de conduire le groupe à une rupture totale et à une scission désordonnée.

Les radicaux ont refusé de considérer la subdivision qu’ils ont créée comme un divorce. Ils l’ont au contraire décrite comme une tentative pour empêcher le mouvement de se désintégrer en rassemblant tous ceux qui ont l'intention de faire défection.

Impact significatif

Peu importe comment et quand les luttes intestines du groupe seront résolues, elles auront probablement un impact significatif non seulement sur le mouvement mais aussi plus généralement sur le conflit.

Il semble que les partisans de la ligne dure, qui sont minoritaires au sein du Conseil de la Shoura, tentent de ne pas tenir compte du vote de la majorité en démontrant qu'ils sont beaucoup plus forts parmi les factions armées du mouvement.

Si ce clivage est résolu par le biais de négociations et que les partisans de la ligne dure réussissent à obtenir davantage d'influence et de meilleures conditions au sein du mouvement, celui-ci sera probablement paralysé chaque fois qu'il sera nécessaire de prendre une décision stratégique. Les partisans de la ligne dure auront appris qu'ils peuvent bloquer les décisions en générant une crise.

Cependant, si le mouvement ne parvient pas à résoudre cette division, cela conduira vraisemblablement à davantage de défections d'individus et de factions, voire à une scission complète entre Jaish al-Ahrar et le mouvement, bien que cela soit plus improbable.

Fragmentation des rebelles

Jabhat Fatah al-Sham profitera probablement de l'un de ces résultats. Si la fracture d'Ahrar reste irrésolue, l'ancienne filiale d'al-Qaïda est susceptible d’attirer plus de combattants en provenance du mouvement divisé, ce qui pourrait en faire le plus puissant des groupes rebelles.

Mais une résolution de la crise pourrait tout autant bénéficier à Jabhat Fatah al-Sham, donnant à ses alliés au sein d'Ahrar une plus grande influence lui permettant d’assurer de bonnes relations et de maintenir une coordination étroite entre les deux organisations – deux conséquences qui continueront de compliquer les efforts menés par les États-Unis pour éliminer Jabhat Fatah al-Sham.

À une plus grande échelle, ce clivage au sein d’Ahrar al-Sham accroît davantage les divisions et la fragmentation entre les groupes rebelles, qui se trouvent déjà dans un état désastreux. La récente et importante perte de l'est d’Alep par les rebelles face au régime syrien a limité encore plus leur pouvoir et leurs territoires.

Cette division augmentera donc probablement la tension et les luttes intestines entre les groupes rebelles et diminuera le niveau de soutien accordé par leurs partisans. Cela compliquera également les tentatives en cours pour unifier les efforts des rebelles au sein d’une même coalition, ce qui est plus que nécessaire pour réussir à tenir bon et à empêcher une répétition ailleurs en Syrie de ce qui s'est passé à Alep.

Les possibilités d'un résultat positif sont minces. Le mouvement pourrait toutefois tirer le meilleur profit de cette situation et prendre des mesures audacieuses pour continuer à marginaliser ses extrémistes et adopter un programme national acceptable, ce qui pourrait le rapprocher des autres groupes rebelles et de leurs soutiens occidentaux et lui permettre de jouer un rôle politique plus important à l'avenir.

- Haid Haid est un chroniqueur et chercheur syrien associé à la Chatham House. Il se concentre sur la politique de sécurité, la résolution de conflits et les mouvements kurdes et islamistes. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @HaidHaid22.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Image : Capture d’écran d'une vidéo téléchargée en 2013 par le groupe rebelle syrien Ahrar al-Sham (AFP)

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