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Pourquoi Israël a bombardé un réacteur nucléaire syrien il y a dix ans

Pour la première fois, des politiciens et des chefs des renseignements israéliens ont évoqué ce qu’il s’est passé lors du bombardement de 2007 en périphérie de Deir ez-Zor. Pourquoi maintenant ?

Après plus de dix ans de silence et de censure stricte, Israël reconnaît enfin un secret de Polichinelle. 

Mercredi, l’establishment militaire et politique israélien a autorisé ses anciens chefs de l’armée et des renseignements, ainsi que des anciens ministres, à raconter comment l’armée de l’air israélienne a bombardé en septembre 2007 un réacteur nucléaire que la Syrie avait construit clandestinement avec l’aide de la Corée du Nord.

Il était situé en périphérie immédiate de Deir ez-Zor, la plus grande ville à l’Est de la Syrie, dont se sont emparées les forces de l’État islamique (EI) en 2014 et qu’elles ont contrôlée pendant plus de trois ans.

Imaginez si l’EI avait mis la main sur du plutonium et d’autres éléments permettant de fabriquer des bombes nucléaires. L’action d’Israël – une décision difficile prise par le Premier ministre de l’époque Ehud Olmert, après avoir demandé sans succès au président américain George W. Bush de bombarder le bâtiment – a empêché les terroristes les plus sanguinaires du monde d’acquérir les armes les plus meurtrières au monde.

Pourquoi maintenant ?

Après l’attaque, le président syrien Bachar al-Assad avait nié catégoriquement que son pays avait construit un réacteur nucléaire en violation de ses engagements internationaux à l’égard du traité de non-prolifération et de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Aujourd’hui, le voile du secret est levé et l’establishment militaire israélien n’est pas vraiment inquiet de la réaction d’Assad, s’il réagit. Les membres des services de renseignement israéliens s’attendent à ce qu’Assad ravale à nouveau sa fierté et ne réagisse pas. Si tel est le cas, ce sera l’aveu qu’il mentait lorsqu’il avait nié avoir un réacteur et la preuve qu’il violait les conventions internationales.

« Il n’a pas été construit sur le côté obscur de la lune, mais dans un pays voisin dont nous avions toujours pensé que nous savions tout »

- Tamir Pardo, ancien directeur adjoint du Mossad

Une question importante se pose : pourquoi Israël confirme-t-il ce raid aujourd’hui ? La réponse est complexe, mais l’explication la plus fiable est que le gouvernement y a été contraint par la Cour suprême, qui a entendu l’appel des journalistes israéliens demandant l’autorisation de publier des articles reposant sur des « sources israéliennes ». À défaut, les médias israéliens devaient recycler des articles publiés à l’étranger.

Aucune attaque en territoire ennemi n’est facile, mais les avions de chasse F-15 et F-16 israéliens fabriqués aux États-Unis étaient protégés par un brouillage électronique sophistiqué qui avait aveuglé les défenses aériennes syriennes et ils n’avaient eu aucun mal à larguer 17 tonnes d’explosifs sur la cible et à confirmer visuellement qu’elle avait été détruite.

Les installations étaient presque identiques au complexe nucléaire de Yongbyon en Corée du Nord, qui produisait du plutonium pour des bombes nucléaires, selon les responsables du renseignement israélien, et n’était qu’à quelques semaines du début de la production de matériaux hautement radioactifs.

L’une des « grandes réussites » d’Israël

Les ministres et les responsables israéliens en sont fiers. Olmert, qui avait démissionné plus tard dans un contexte d’accusations de corruption qui l’ont conduit en prison pendant dix-huit mois, nous a affirmé qu’il s’agissait de l’une de ses décisions les plus importantes et les plus difficiles, et qu’il en était fier. Même son ennemi juré, l’ancien ministre de la Défense Ehud Barak, nous a déclaré que c’est à « Olmert que revient tout le mérite de cette décision hardie ».  

La levée du secret entraîne également une bataille d’ego entre les deux plus grandes agences de renseignement d’Israël. « La révélation du réacteur est l’une des plus grandes réussites du renseignement militaire [l’agence connue sous son acronyme hébreu, Aman] en particulier et des renseignements israéliens en général », a déclaré le général de brigade Shalom Dror, qui en 2007 était un major chargé de recherches sur la Syrie à Aman.

L’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert photographié le 29 décembre 2015 (AFP)

Pourtant, Tamir Pardo, directeur adjoint du Mossad à l’époque – et chef de l’agence d’espionnage de 2011 à 2015 – n’est pas d’accord : « Pendant des années, la Syrie a construit un réacteur nucléaire sous notre nez, et pendant des années, nous ne l’avons pas su. Il n’a pas été construit sur le côté obscur de la lune, mais dans un pays voisin dont nous avions toujours pensé que nous savions tout. »

Le général israélien le plus haut gradé de l’époque, Gabi Ashkenazi, s’est rappelé avoir reçu des signalements concernant de nombreuses nations arabes de la part d’Aman et du Mossad, mais aucun lien sérieux avec les termes « Syrie » et « nucléaire ».   

« Bien sûr, les soupçons sont apparus, mais il n’y avait aucune preuve », a déclaré Ashkenazi, lieutenant-général à la retraite. « Et dans le renseignement, il y avait beaucoup de soupçons. Le nucléaire syrien n’était pas un sujet considéré comme important. »  

Le rôle d’Abdul Qadeer Khan

Le fait que l’on n’ait pas prêté attention à tout cela était le résultat du traumatisme subi par le milieu du renseignement israélien vers la fin de 2003. Le dictateur libyen Mouammar Kadhafi avait publiquement admis qu’il avait un programme d’armes nucléaires, et les gouvernements occidentaux avaient rapidement découvert que les savoir-faire et les matériaux avaient été vendus aux Libyens par Abdul Qadeer Khan, le « père de la bombe nucléaire pakistanaise », qui s’est par la suite mis à son compte et a fait fortune en tant que trafiquant nucléaire.

Les chefs de l’espionnage israélien ont tressailli en admettant qu’ils avaient commis une erreur comparable à la guerre de 1973, quand Israël avait été pris par surprise par les armées de ses voisins le jour de Yom Kippour. Israël n’avait pas complètement ignoré Khan : ils avaient de fortes preuves indiquant qu’il avait aidé l’Iran à initier ses ambitions nucléaires militaires non reconnues. Cependant, ils ne réalisaient pas que ses efforts de vente avaient réussi ailleurs.

Cette photo montre une autre vue de l’installation syrienne ciblée en 2007 (AFP)

Shabtai Shavit, qui était directeur du Mossad dans les années 1990, avait déclaré il y a quelques années que les services israéliens connaissaient les voyages de Khan pour vendre ses produits au Moyen-Orient, mais ne comprenaient pas comment l’ingénieur pakistanais pouvait fournir un moyen rapide et facile pour se lancer sur le chemin conduisant à un arsenal nucléaire. « Si nous l’avions compris, j’aurais recommandé qu’il soit assassiné, et cela aurait été l’une des rares fois où l’élimination d’une personne aurait pu changer l’histoire », avait affirmé Shavit.

Après la révélation que la Libye de Kadhafi était dangereusement avancée dans son travail nucléaire, les chefs des services de renseignement militaire israéliens avaient ordonné que toutes les preuves rassemblées – mais classées sans beaucoup d’analyse – soient réexaminées.

À LIRE : Le conflit israélo-iranien en Syrie débouchera-t-il sur une guerre ?

Aman a découvert des rapports sur les visites de Khan en Arabie saoudite, en Égypte et en Syrie. Parce que les deux premières nations étaient amies des États-Unis, il semblait hautement improbable qu’elles cherchent à obtenir des armes nucléaires. L’agence a redoublé d’attention sur la Syrie, où Assad est arrivé au pouvoir par défaut en 2000 lorsque son père est mort après le décès du frère aîné de Bachar, préparé pour le pouvoir, dans un accident de voiture.

Meir Dagan, directeur du Mossad de 2002 à 2011 et décédé il y a deux ans, s’est joint à Ashkenazi pour demander au Premier ministre Ariel Sharon un budget supplémentaire destiné spécifiquement à la recherche d’un projet nucléaire en Syrie. La célèbre Unité 8200 d’Aman a considérablement accru sa surveillance de toutes les communications syriennes. 

Preuves irréfutables

Ibrahim Othman, directeur de la Commission syrienne de l’énergie atomique, était considéré comme l’homme qui devait connaître les secrets. Il est devenu une cible hautement prioritaire des renseignements israéliens, mais Othman et d’autres hauts fonctionnaires du gouvernement à Damas étaient extrêmement prudents.

Comme cela a déjà été signalé en dehors d’Israël, les agents du Mossad avaient fait irruption dans sa chambre d’hôtel à Vienne, où il était resté pour une réunion de l’AIEA. Là, ils sont tombés sur une mine d’or : Othman a laissé un appareil numérique dans la pièce contenant des données qui, déchiffrées par les laboratoires des renseignements israéliens, comprenaient des photos d’Othman en compagnie de scientifiques nord-coréens et de l’intérieur de Deir ez-Zor, montrant clairement qu’il s’agissait d’un réacteur nucléaire pour produire du plutonium.

Les photos étaient la preuve irréfutable corroborant les soupçons d’Israël. L’information a été transmise en urgence à Olmert, qui avait alors approché Bush, demandant si les États-Unis feraient quelque chose. Bush avait refusé, expliquant que les forces américaines étaient enlisées en Irak et en Afghanistan et qu’il ne voulait pas ouvrir un troisième front – mais il n’avait rien dit à propos d’un raid israélien. Pour Olmert, c’était suffisant : il a interprété cela, et à juste titre, comme un feu vert, et a demandé à Ashkenazi de préparer une attaque aérienne.

- Yossi Melman, analyste du renseignement et de la défense pour Maariv et d’autres médias israéliens, et Dan Raviv de i24News sont co-auteurs de Spies Against Armageddon : Inside Israel’s Secret Wars.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : cette image non datée publiée par le gouvernement américain montre un bâtiment après son bombardement en Syrie (Gouvernement américain/Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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