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Qatar et OPEP : raisons et enjeux d’un divorce

Même si le Qatar ne pèse pas lourd au sein de l’OPEP, son départ – une première au Moyen-Orient – n’est pas à minimiser. D’autant qu’il est un signal envoyé à l’Arabie saoudite et une opportunité de se rapprocher de Washington

Avant le Qatar, qui quittera l’OPEP en janvier 2019, trois pays avaient pris une décision similaire dans l’histoire de cette organisation qui a été créée en 1960 : l’Équateur, le Gabon et l’Indonésie. Les deux premiers pays ont plus tard rejoint l’OPEP et en sont toujours membres.

L’Indonésie a suspendu sa participation à l’OPEP en 2009, est revenue en 2016 et elle est repartie fin 2016, avec regret d’ailleurs (le cas de l’Indonésie est très particulier car ce pays est devenu un importateur net de pétrole alors que l’OPEP regroupe des exportateurs nets). 

De plus, trois nouveaux pays, tous situés en Afrique – l’Angola, la Guinée équatoriale et la République du Congo (Congo Brazzaville) – ont adhéré à l’OPEP depuis 2007. L’organisation conserve donc une bonne attractivité. 

C’est la première fois qu’un pays du Moyen-Orient, qui est le cœur de l’organisation, quitte l’OPEP. Tout ceci ne peut et ne doit pas être pris à la légère

Le chiffre actuel de quinze membres, y compris le Qatar, est le plus élevé jamais enregistré dans l’histoire de l’OPEP. Ces quinze pays sont en Afrique (sept), au Moyen-Orient (six) et en Amérique du Sud (deux).

Cela dit, le départ du Qatar n’est pas sans importance et, ce, pour trois raisons : son adhésion remonte à 1961, soit il y a 57 ans. Ce pays a été le premier à rejoindre l’OPEP après la fondation de celle-ci en septembre 1960 à Bagdad par cinq autres États – l’Iran, l’Arabie saoudite, l’Irak, le Koweït et le Venezuela – et c’est la première fois qu’un pays du Moyen-Orient, qui est le cœur de l’organisation, quitte l’OPEP. Tout ceci ne peut et ne doit pas être pris à la légère.

Des raisons économiques et pas du tout politiques ?

Doha a souligné que sa décision de retrait ne devait pas être analysée sous un angle politique et que la raison essentielle était sa volonté de se concentrer sur le gaz naturel au sein de son portefeuille hydrocarbures.

Le Qatar contrôle en effet les troisièmes plus importantes réserves prouvées de gaz au monde après la Russie et l’Iran, dans cet ordre. Le pays est un gros producteur de gaz naturel, et il est surtout le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL). 

Cet argument est essentiel car le Qatar estime que l’OPEP ne lui apporte pas une valeur ajoutée particulière, l’organisation ne s’occupant que du pétrole brut et non du gaz naturel ou des liquides de gaz naturel.

De plus, son faible poids au sein de l’OPEP est un facteur supplémentaire derrière son retrait. Pour les dirigeants qataris, qui raisonnent souvent comme des hommes d’affaires dans la gestion de l’émirat, l’heure est venue de se concentrer sur l’essentiel, le gaz naturel, et de se retirer d’autres activités ou entreprises.

À LIRE ► Gaz et crise du Golfe : comment le Qatar pourrait prendre le dessus

Les déclarations officielles des responsables qataris selon lesquelles la politique n’a rien à voir avec le départ du pays de l’OPEP ne sont cependant pas complètement convaincantes. Aux raisons énergétiques et économiques évoquées ci-dessus, il faut ajouter trois autres éléments : les différends avec deux autres membres de l’OPEP et non les moindres, à savoir l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) ; l’hostilité du président Donald Trump envers l’OPEP ; et la transition énergétique pour lutter contre le changement climatique qui favorise le gaz naturel par rapport aux autres énergies fossiles, le pétrole et le charbon.

Du rififi au sein du Conseil de coopération du Golfe

Depuis juin 2017, le Qatar subit de sérieuses sanctions politiques et économiques de la part de quatre autres pays arabes : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte. 

Dix-huit mois après, ces sanctions sont toujours en vigueur en dépit des efforts de médiation du Koweït et des appels répétés des États-Unis pour que ces cinq pays se mettent autour d’une table en vue de régler leurs différends par la négociation plutôt que de se diviser au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et d’affaiblir le CCG face à l’Iran.

Au sein de l’OPEP, chaque État a certes une voix mais l’Arabie saoudite est le leader de fait de cette organisation en raison de son poids considérable. La production saoudienne représente un tiers de la production de pétrole brut de l’organisation. 

Le pays est aussi le premier exportateur de pétrole au monde, le troisième producteur derrière les États-Unis et la Russie et le second détenteur de réserves pétrolières prouvées après le Venezuela (AFP)

Le pays est aussi le premier exportateur de pétrole au monde, le troisième producteur derrière les États-Unis et la Russie et le second détenteur de réserves pétrolières prouvées après le Venezuela. 

Pour le Qatar, son départ de l’OPEP est aussi un moyen d’envoyer un signal à l’Arabie saoudite même si les considérations énergétiques et économiques ont pesé lourdement dans cette décision. Mais, pour ne pas jeter plus d’huile sur le feu, ce signal politique restera implicite. 

Trump contre l’OPEP

Pour le Qatar, comme pour les autres pays membres du CCG, la relation avec Washington est fondamentale puisque les États-Unis sont le grand protecteur des pays arabes du Golfe. L’OPEP a rarement été en odeur de sainteté à Washington mais la situation a empiré avec Donald Trump qui a dédié plusieurs de ses fameux tweets à l’organisation au cours des dernières semaines et des derniers mois. 

À chaque fois que le président américain a parlé de l’OPEP en 2018, ce n’était pas pour lui faire des compliments. Dans le contexte des sanctions imposées par l’Arabie saoudite et ses alliés, ce peut être une opportunité pour le Qatar de se rapprocher encore plus de l’administration Trump, ce qui ne serait pas un atout négligeable dans le jeu de poker entre Doha et Riyad.  

Dans le contexte des sanctions imposées par l’Arabie saoudite et ses alliés, ce peut être une opportunité pour le Qatar de se rapprocher encore plus de l’administration Trump, ce qui ne serait pas un atout négligeable dans le jeu de poker entre Doha et Riyad

Certes, en termes purement quantitatifs, le départ du Qatar n’est pas un événement majeur pour l’organisation. La production de pétrole brut de ce pays est de 600 000 barils par jour environ sur un total OPEP de 33 millions de barils/jour actuellement, soit 1,8 %. Sur un marché pétrolier mondial, dont la taille est à présent de 100 millions de barils/jour, la part du Qatar ne dépasse pas 0,6 %. L’OPEP représente un tiers de ce marché et l’impact direct du départ de l’émirat est donc négligeable. 

De plus, depuis la fin 2016, l’organisation coopère avec dix pays non-OPEP, dont la Russie, et le poids combiné de ces 25 pays est de 50 % de la production mondiale de brut. 

L’OPEP peut bien sûr se passer du Qatar mais le Qatar peut aussi se passer de l’OPEP. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’un enjeu essentiel. En même temps, ce départ n’est pas passé inaperçu et Doha a gagné la bataille de la communication ou, au moins, la première manche. 

Cette décision ne devrait cependant pas faire école car le cas du Qatar est très spécifique pour les raisons indiquées ci-dessus. Il est très peu probable que d’autres pays membres se précipitent pour suivre cet « exemple ». Cela dit, il est important pour l’OPEP d’être attentive aux intérêts, besoins et contraintes des petits producteurs de pétrole en son sein si l’organisation veut à terme conserver la diversité qui a été et qui demeure la sienne aujourd’hui.

- Francis Perrin est chercheur associé au Policy Center for the New South (Rabat) et directeur de recherche à lIRIS (Paris)

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Saad Sherida al-Kaabi, ministre des Affaires énergétiques du Qatar, participe à la 175e Conférence de l’OPEP à Vienne (Autriche), le 6 décembre 2018 (AFP).

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