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Oui, les Qataris serrent la main des femmes !

La polémique qui a entouré la cérémonie de clôture de la Coupe du monde des clubs au Qatar a ravivé critiques et jugements hâtifs à l’encontre du pays et, plus largement, de la culture arabo-musulmane, avec en toile de fond la question de la condition des femmes
Des membres de la Hamad Medical Corporation du Qatar participent à un défilé militaire pour marquer la fête nationale de leur pays, dans la capitale Doha, le 18 décembre 2020 (AFP)

Le 11 février, à Doha, se tenait la cérémonie de clôture de la Coupe du monde des clubs. Avant que les joueurs ne viennent saluer les représentants de la FIFA et du Qatar puis récupérer leur trophée, les arbitres se sont présentés devant la tribune officielle.

Sur les images disponibles (qui circulent sur les réseaux sociaux), trois arbitres hommes saluent Gianni Infantino, président de la FIFA, puis cheikh Joaan ben Hamad al-Thani, président du Comité olympique du Qatar et frère de l’émir, par un « check » du poing (contexte sanitaire oblige).

C’est ensuite au tour de deux femmes arbitres. Elles sont d’abord saluées par Gianni Infantino, qui semble leur glisser quelques mots à l’oreille. Puis elles arrivent à la hauteur du cheikh et passent leur chemin, sans qu’aucun regard ne soit échangé entre eux.

Dès lors, la polémique est lancée. Le cheikh aurait-il refusé de serrer la main de ces femmes ? Celles-ci auraient-elles reçu des instructions de la part du président de la FIFA, comme certains ont pu le suggérer ?

Au-delà, la question sous-jacente est celle, bien plus importante, de la condition des femmes dans cet émirat et, plus largement, dans les pays du Golfe. Le Qatar, incarné ici par cheikh Joaan ben Hamad al-Thani, méprise-t-il les femmes ?

Les Qataris ne méprisent pas les femmes

En tant que femme expatriée au Qatar pendant plus de quatre ans, cette polémique ne m’a pas laissée indifférente. J’ai visionné de nombreuses fois les images, qui semblent coupées, et n’ai pu en tirer aucune conclusion claire.

En revanche, je peux me fier à mon expérience. Je croise en effet souvent des Qataris dans ma vie personnelle et professionnelle. J’ai même eu l’occasion de rencontrer cheikh Joaan ben Hamad al-Thani, qui m’a serré la main très naturellement.

Je connais donc la réalité du terrain et les règles qui régissent les interactions hommes-femmes.

Il me paraît impensable que cheikh Joaan ait délibérément ignoré ces deux femmes arbitres, refusant de les saluer sous le seul prétexte de leur condition féminine. Cela irait à l’encontre de ce qu’est le pays, de ses valeurs profondes, de son ouverture au monde

Le Qatar est un pays musulman et, de ce fait, il ne faut guère s’attendre à la traditionnelle et très française « bise » pour saluer ses interlocuteurs.

En tant qu’homme occidental, vous pouvez saluer un Qatari ou une Qatarie en lui serrant la main. En revanche, pour une Qatarie, si elle place sa main sur son épaule opposée, cela signifie qu’elle ne souhaite pas vous saluer en vous serrant la main. Mais elle ne vous ignorera pas pour autant. Il y aura un sourire, un hochement de tête. En tout état de cause, pas d’indifférence.

Si vous êtes une femme, vous pourrez serrer la main de votre interlocuteur qatari. C’est la règle qui s’impose dans 99 % des cas.

Il se peut toutefois, et très marginalement, que certains se sentent gênés par ce contact physique avec une femme. Il est alors important de respecter cette pudeur. Sur les dizaines de Qataris que j’ai rencontrés, y compris de nombreux membres de la famille royale, un seul n’a pas souhaité me serrer la main. Il m’a souri très chaleureusement et je n’ai ressenti aucun malaise.

Il me paraît donc impensable que cheikh Joaan ben Hamad al-Thani ait délibérément ignoré ces deux femmes arbitres, refusant de les saluer sous le seul prétexte de leur condition féminine. Cela irait à l’encontre de ce qu’est le pays, de ses valeurs profondes, de son ouverture au monde.

Les Qataries sont des femmes actives

Le Qatar n’est pas ce petit État rigoriste que certains décrivent. Associer, comme cela est malheureusement trop souvent le cas, piété religieuse et mépris de la femme, est une erreur.

Faut-il en effet rappeler que les Qataries étudient et travaillent, qu’elles sont actives et visibles dans tous les pans de la société ? Qu’elles entreprennent et gèrent leurs affaires sans immixtion masculine ?

Faut-il aussi rappeler que les étrangères résidant au Qatar ou visitant le pays ne sont pas tenues de se voiler et qu’elles aussi peuvent conduire et travailler sans autorisation du sexe opposé ?

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Les Qataries elles-mêmes ne sont pas formellement obligées de se voiler. Toutefois, la coutume implique, chez tous les Qataris, de revêtir leur tenue traditionnelle dans leur vie sociale lorsqu’ils se trouvent au Qatar : abaya (tunique) et hijab (voile) pour les femmes, thob (tunique), ghutra (foulard) et ugal (anneau maintenant le foulard sur la tête) pour les hommes.

Il faut y voir tout autant le respect d’une tradition séculaire que la volonté de maintenir cohésion et unité au sein d’une communauté nationale qui ne représente que 10 % de la population totale.

Les clichés associés aux pays arabo-musulmans et, plus particulièrement, au Qatar sont souvent le fruit d’une interprétation erronée de la réalité et d’un regard biaisé de certains Occidentaux sur ces pays.

Les figures fortes que représentent cheikha Moza bint Nasser (co-fondatrice et présidente de la Qatar Foundation), cheikha Hind bint Hamad al-Thani (vice-présidente et CEO de la Qatar Foundation) et cheikha al-Mayassa bint Hamad al-Thani (présidente de Qatar Museums), respectivement mère et sœurs de l’émir actuel, ne sont pas le fruit d’une communication factice à l’attention des Occidentaux. Elles sont le reflet de la société qatarie, dans laquelle la femme occupe un rôle central et actif.

Cheikha Moza bint Nasser au stade international Khalifa à Doha, le 4 octobre 2019 (AFP)
Cheikha Moza bint Nasser, mère de l’émir Tamim ben Hamad al-Thani, au stade international Khalifa à Doha, le 4 octobre 2019 (AFP)

Le Qatar détient, dans le Golfe, le taux le plus élevé de femmes qui travaillent (56,64 % en 2021, contre 22,09 % en Arabie saoudite, 52,05 % aux Émirats arabes unis, 45,31 % au Koweït, 35,97 % au sultanat d’Oman et 44,91 % à Bahreïn).

Du côté législatif, il faut en outre noter de nets progrès en matière de congé maternité et d’égalité salariale. Des progrès qui incitent toujours plus de femmes à travailler.

Les Qataries ne sont pas des femmes opprimées

J’ai le plaisir de côtoyer et de travailler avec les femmes et les hommes du Qatar.

Jamais n’ai-je perçu les Qataries comme victimes d’un système oppressif masculin. Certes, le Qatar est une société patriarcale et le statut des femmes n’est pas (encore) strictement identique à celui des hommes.

Les clichés associés aux pays arabo-musulmans et, plus particulièrement, au Qatar sont souvent le fruit d’une interprétation erronée de la réalité et d’un regard biaisé de certains Occidentaux sur ces pays

Certes, il existe sans doute des disparités entre certaines franges de la population qatarie, plus ou moins conservatrices, mais les choses progressent indéniablement et la réalité du terrain est bien plus nuancée que les clichés habituellement véhiculés.

L’évolution du statut et de la place des femmes va indéniablement dans le sens de l’égalité. Une égalité qui est d’ailleurs inscrite dans la Constitution qatarie (article 18). 

En tant que femme occidentale, jamais n’ai-je été mise à l’écart ou méprisée par des hommes. En plein mouvement « #MeToo », je n’ai qu’exceptionnellement vécu des situations gênantes ou ambiguës et jamais du fait de Qataris, dont le respect à mon égard a toujours été sans faille. Je ne peux malheureusement pas en dire autant de ma vie professionnelle en France !

Qu’un Qatari vous serre la main ou pas, il n’y aura jamais d’indifférence ou de mépris à votre égard, y compris si vous êtes une femme. Cela irait non seulement à l’encontre des valeurs de la société qatarie – dans laquelle, répétons-le, les femmes tiennent une place majeure –, mais encore plus largement de la culture arabe, selon laquelle les invités doivent tous être traités avec respect.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Julie Boisard-Pétrissans est docteure en droit et titulaire du CAPA. Après avoir débuté sa carrière en tant qu’avocate à Paris puis à Londres, elle a rejoint le leader mondial de l’information juridique (LexisNexis), où elle a occupé différents postes à la direction éditoriale puis au business développement de la région MENA. Elle a lancé puis dirigé les opérations de ce groupe au Qatar de 2016 à 2019, avant d’y créer son cabinet de conseil en affaires. Elle habite désormais à Paris, où elle poursuit ses activités entre la France, le Qatar et le Maroc. Elle est l’auteure du livre Le Qatar déQrypté : guide du doing business au Qatar (MeltingBook).
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