Quand il est question des réfugiés, Trump et l'UE forment les deux faces d'une même pièce
Au milieu de l'indignation médiatique suscitée par l'interdiction d’entrée aux États-Unis prononcée par Donald Trump à l’encontre de sept pays à majorité musulmane, rares sont ceux qui ont lu l'histoire de Samuel, un Congolais de 6 ans dont le corps sans vie a été retrouvé sur une plage de Cadix, au sud-ouest de l’Espagne.
Ce que Trump appelle un mur, l'UE l’a appelé opération Triton. Ce qu'il appelle une interdiction, l'UE l’a appelé un accord UE-Turquie
Samuel est l'un des centaines d'enfants morts en traversant la Méditerranée depuis que la photo d'Alan Kurdi a fait la une des médias de par le monde. La découverte du corps de Samuel a incité une ONG locale, l'Association des Droits de l'Homme d'Andalousie (APDHA), à publier une déclaration accusant l'UE d'hypocrisie dans sa condamnation des dernières politiques de Trump.
APDHA ne peut comprendre, pouvait-on lire dans le communiqué, comment la chef de la politique étrangère de l'UE, Federica Mogherini, pouvait condamner l'interdiction de Trump alors que « l'Union européenne reste fermée [aux immigrants] telle une forteresse ».
En effet, l'UE a réagi à l'interdiction de Trump en adressant une semonce vertueuse qui malheureusement contredit ses récentes politiques. « En Europe, nous avons une histoire qui nous a appris que [...] vous pourriez finir en prison si vous construisez tous les murs autour de vous », a déclaré Mogherini en réponse au décret de Trump.
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Se plaignant de la possibilité que l'interdiction affecte les citoyens européens, le porte-parole de l'UE, Margaritis Schinas, a été encore plus catégorique : « Dans l'Union européenne, nous ne pratiquons aucune discrimination fondée sur la nationalité, la race ou la religion », a-t-il affirmé.
Mais est-ce vraiment le cas ?
En d'autres termes, l'UE ne peut rivaliser avec le franc-parler du président américain.
Ce que Trump appelle un mur, l'UE l’a appelé opération Triton. Ce qu'il appelle une interdiction, l'UE l’a appelé un accord UE-Turquie.
Bien que certains pays européens se soient donné beaucoup de mal pour venir en aide aux réfugiés, les politiques adoptées par l'UE et celles actuellement mises en œuvre par Trump se résument à la même volonté de sceller les frontières par tous les moyens possibles.
Pas de murs, mais une patrouille côtière
En 2014, le gouvernement italien s'est à plusieurs reprises tourné vers l'UE pour demander de l'aide. Il avait dépensé 9,5 millions de dollars par mois pour une opération navale et aérienne, Mare Nostrum, qui avait sauvé 150 000 vies en Méditerranée en l’espace d’une année.
Le nombre de morts a augmenté de façon dramatique, passant de 17 à 900. Tandis que les navires de la marine patrouillaient aux frontières européennes, 1 migrant sur 23 se noyait en mer
Toutefois, son économie stagnante ne pouvant plus supporter une telle dépense, l'Italie a demandé l'aide de l'UE pour la mise en place d'une opération de sauvetage commune.
La réponse de l'UE a été : merci, mais non merci. Plusieurs pays, en particulier le Royaume-Uni, ont soutenu que des opérations de sauvetage telles que Mare Nostrum constituaient un « facteur d'attraction involontaire » pour les migrants.
À la place, a été lancée l’opération Triton, menée par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, avec la collaboration volontaire de quelques États membres.
Le budget conjoint de cette opération commune n’a pas dépassé les 3 millions de dollars par mois, par rapport aux 9,5 millions de dollars dépensés auparavant par un seul pays. Plus important encore, Triton était une opération de sécurité frontalière, dépouillée de l'objectif humanitaire de sauver des vies.
François Crepeau, rapporteur des Nations unies sur les droits des migrants, a déclaré que la décision de l'UE consistait à dire : « laissez-les mourir parce que c'est une bonne dissuasion ».
En effet, la politique de dissuasion de l'UE a coûté des milliers de vies. Plutôt que de baisser, le nombre de migrants ayant traversé la Méditerranée centrale au cours des trois premiers mois de 2016 est resté élevé par rapport à la même période en 2015 (passant de 20 899 à 21 385), selon Amnesty International.
Le nombre de morts a toutefois augmenté de façon dramatique, passant de 17 à 900. Tandis que les navires de la marine patrouillaient aux frontières européennes, 1 migrant sur 23 se noyait en mer. L'année précédente, les opérations de sauvetage d'un seul pays avaient réduit cette probabilité à 1 sur 50.
Les détracteurs ont fait valoir que la politique de dissuasion à court terme de l'UE équivalait à « tuer les migrants par négligence ». Ainsi que l’a demandé Charles Heller, professeur à l'Université Goldsmith de Londres, « pouvons-nous vraiment qualifier d’erreur la fin de Mare Nostrum et son remplacement par Triton en sachant parfaitement les conséquences que cela aurait ? ».
Si la réponse est non, alors l'Union européenne est également coupable d'avoir érigé un mur, celui-ci bien plus mortel que tout ce que Trump pourrait jamais construire le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique.
Pas d'interdiction, mais un accord avec la Turquie
Le 18 mars 2016, l'UE a signé un accord avec la Turquie visant à endiguer le flux de réfugiés vers la Grèce, principalement des citoyens syriens, irakiens et afghans.
En échange d'un généreux pactole de 3 milliards d'euros, la Turquie s'est engagée à accepter le retour des demandeurs d'asile qui s’étaient rendus en Grèce via la Turquie. Alors que l'accord a fermé les portes de la forteresse Europe aux demandeurs d'asile, il les a ouvertes aux citoyens turcs grâce à la libéralisation des visas – au mépris des déclarations du porte-parole de l'UE sur la non-discrimination fondée sur la nationalité.
Pour être juste, il convient de noter que seuls 578 retours avaient eu lieu entre la signature de l’accord et septembre 2016 – faisant de celui-ci une bonne affaire pour la Turquie. Dans le cadre de cet accord, 1 614 réfugiés syriens ont également été réinstallés légalement dans l'UE.
Le principal motif de préoccupation, cependant, est que l'accord repose sur une autre prémisse erronée. La Turquie a été désignée par l'UE comme un « pays tiers sûr » auquel les réfugiés pourraient être renvoyés légalement, alors que des organisations de défense des droits de l’homme bien établies comme Human Rights Watch (HRW) ont exprimé leur inquiétude à ce sujet.
Encore une fois, pour atteindre leur objectif de limitation des arrivées dans l'UE, les décideurs européens ont considérablement écorné les principes du droit et créé un précédent dangereux en violant le droit de trouver refuge.
La Turquie « n’est pas sûre »
Comme l'a déclaré HRW, les demandeurs d'asile syriens ne bénéficient pas d'une protection complète en Turquie telle que définie par les normes fixées par la Convention de 1951 sur les réfugiés. Le processus accéléré aux frontières envisagé dans le cadre de l'accord expose aussi les réfugiés au danger d'être renvoyés sans un examen approprié de leur dossier personnel et sans évaluation de leur vulnérabilité.
« Si le chaos a caractérisé la réaction de l'UE et de ses États membres en 2015, les politiques mal avisées et impropres en matière de droits de l’homme ont défini 2016 », a déclaré Human Rights Watch. « [L'accord UE-Turquie] a envoyé le message selon lequel la protection des réfugiés pourrait être marchandisée, externalisée et bloquée. »
S'il est compréhensible que l'UE cherche à régulariser les flux migratoires, elle doit le faire en respectant des normes morales plus élevées que celles de Donald Trump. Sinon, le mépris de l'UE pour les conséquences de ses politiques et accords bilatéraux transformera Trump en un modèle d'honnêteté intellectuelle.
- Federica Marsi est diplômée en journalisme de la City University de Londres. Elle vit actuellement à Beyrouth. Avant de partir pour le Liban, elle réalisait des reportages depuis la Tunisie et les territoires palestiniens occupés. Ses travaux ont été publiés entre autres par Al-Jazeera, Vice UK, Open Democracy, The Middle East Magazine et Wired. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @bocchia.
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Photo : un migrant apparaît dans le reflet d’une fenêtre sur laquelle est écrit « aide-moi » alors qu'il sort d'un entrepôt abandonné utilisé comme abris de fortune près de la gare principale de Belgrade le 27 janvier 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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