Que nous réserve 2024 ? Guerre, « méga-menaces » et l’Occident et Israël au banc des accusés
Rares sont ceux qui diront que 2023 a été une bonne année pour la paix dans le monde ou la prospérité économique. Une enquête Ipsos menée dans 34 pays a révélé que 70 % des personnes interrogées considéraient 2023 comme une mauvaise année pour leur pays et 53 % comme une mauvaise année pour elles-mêmes et leur famille.
Pendant au moins 70 ans, la foi dans le progrès, malgré les défis, a été le credo de la société occidentale.
L’horreur dévastatrice à Gaza, et avant elle le siège russe de Marioupol, a clairement montré, au cas où quelqu’un en douterait, que l’idée de progrès vers la démocratie, les droits de l’homme, l’autodétermination et la paix, n’était qu’un fragile espoir plutôt qu’une réalité.
Nous vivons désormais à l’ère des « méga-menaces », selon l’expression de l’économiste Nouriel Roubini. Nous revenons à l’instabilité mondiale de 1914-1945
Nous vivons désormais à l’ère des « méga-menaces », selon l’expression de l’économiste Nouriel Roubini. Nous revenons à l’instabilité mondiale de 1914-1945.
Cette vérité était peut-être déjà écrite en Syrie, où des horreurs indicibles se sont déroulées, certaines enregistrées par le nouveau mécanisme des réseaux sociaux mondiaux, d’autres restées confinées dans l’obscurité des prisons de la mort de Bachar el-Assad, où aucune lumière n’entre ni ne sort. Et pourtant les auteurs de ces actes s’en sont tirés à bon compte.
Les libéraux occidentaux, jusqu’en octobre dernier, se sont contentés de dire que « nous » n’aurions jamais eu recours à de telles méthodes pour mener nos guerres et défendre nos alliés régionaux au Moyen-Orient. Ne parlons pas de l’Irak et des horreurs qui y ont été déchaînées par la destruction de l’État et de l’armée, et par le déchaînement des milices sectaires, le tout faisant partie du plan visant à laisser « les choses se passer », selon les mots immortels du feu Donald Rumsfeld.
Vent de morosité et d’apocalypse
Mais en 2023, les décennies de propagande sur la « seule démocratie du Moyen-Orient » ont été mises à mal lorsqu’Israël, imbriqué dans le système politique occidental par le biais de liens commerciaux et militaires, et du soutien des médias, a lancé une guerre d’anéantissement contre les Palestiniens de Gaza. Au lendemain de l’attaque du Hamas, le 7 octobre, l’Occident a soutenu Israël à bout de bras.
En ce début d’année 2024, un vent de morosité et d’apocalypse imminente, avec l’impression prégnante qu’aucun dirigeant ne semble avoir la volonté ou la capacité d’empêcher le pire de ce qui s’est passé à Gaza et dans ses environs, ni les nouvelles horreurs qui se succèdent au fil des jours.
J’écris ces lignes alors que le secrétaire d’État américain Antony Blinken effectue une nouvelle tournée inutile au Moyen-Orient (qui s’est terminée le 11 janvier), offrant à Israël de nouveaux « droits » pour mener sa guerre contre le Hamas jusqu’au dernier Palestinien.
Les progrès qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale et la décolonisation de l’Asie et de l’Afrique au cours des décennies qui ont suivi, voire l’idée même d’ordre international, semblent de plus en plus être une illusion, ou simplement un sous-produit de l’équilibre de la terreur de la guerre froide entre Washington et Moscou.
Quatre-vingts ans après l’Holocauste, sommes-nous revenus à la case départ : la loi universelle de la force et de l’agression ?
Dans la mesure où les dirigeants occidentaux se sont rendus totalement complices de la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza et ont cherché à étouffer les voix critiques à l’égard de cette guerre par la répression et la chasse aux sorcières, il ne s’agit pas là d’une hyperbole.
Ailleurs, les guerres soutenues par l’Occident en Libye et au Yémen ont donné naissance au monstre des Forces de soutien rapide du Soudan (FSR), la milice de prédilection des tyrans du Golfe et des puissances européennes qui cherchent à limiter les migrations en provenance d’Afrique.
Après avoir acquis richesse et puissance de feu dans ces conflits, les chefs des FSR ont retourné leurs armes contre Khartoum, faisant fuir des millions de personnes et semant le chaos dans le deuxième plus grand pays d’Afrique dans la guerre qui a débuté en avril.
Nos dirigeants sont obnubilés par la « menace » des migrations en provenance des zones de guerre, négligeant allègrement que les populations fuient les guerres menées par l’Occident en Afghanistan, en Irak, en Syrie et ailleurs
En Europe et au Royaume-Uni, nos dirigeants sont obnubilés par la « menace » des migrations en provenance des zones de guerre, négligeant allègrement que les populations fuient les guerres menées par l’Occident en Afghanistan, en Irak, en Syrie et ailleurs.
Le refus de nos élites politiques de proposer des solutions significatives aux problèmes majeurs auxquels nos sociétés sont confrontées, tels que l’inégalité, la pauvreté, les niveaux d’endettement record, ou la défaillance des services publics, autres que davantage de privatisation et d’austérité, reflète les échecs de leur approche des problèmes globaux.
Au cours d’une année marquée par des températures record, des méga-incendies et des inondations meurtrières, la conférence de la COP28, qui s’est tenue à la fin de l’année 2023, a été une farce tragique, dirigée par un ministre du Pétrole d’Abou Dabi et contrecarrée par des lobbyistes de l’énergie et des États pétroliers. La conférence n’a offert aucun moyen tangible de répondre à la nécessité urgente de mettre fin à l’utilisation des combustibles fossiles, si ce n’est à une date lointaine et trop tardive.
Le fossé entre l’Occident et le reste du monde est devenu un gouffre
Il existe de rares exceptions, comme la Colombie du président de gauche Gustavo Petro, qui a déclaré à la COP28 que « La Colombie a cessé de signer des contrats pour l’exploration du charbon, du pétrole et du gaz ».
En revanche, l’enthousiasme et la ferveur avec lesquels les dirigeants occidentaux ont soutenu la lutte de l’Ukraine contre la Russie après l’invasion de cette dernière en février 2022 étaient sans précédent.
La Russie avait envahi le pays et l’Occident voulait l’aider. La petite question du réarmement de l’Ukraine par l’OTAN et de son bombardement du Donbass depuis 2014 n’était qu’un détail mineur éclipsé par l’invasion agressive de Poutine.
Le fossé entre l’Occident et le reste du monde est devenu un gouffre. Le reste du monde s’est tenu à l’écart et a vu l’Amérique et l’Europe venir en aide à ses frères chrétiens blancs en Ukraine, tout en ouvrant ses portes à des millions de réfugiés ukrainiens. Pendant ce temps, les réfugiés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord se noyaient dans la Méditerranée.
Que fait la justice face aux criminels de guerre d’aujourd’hui ? La Cour pénale internationale a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre du président russe pour ses agissements en l’Ukraine, alors que les crimes de guerre qu’il a commis en Tchétchénie et en Syrie devraient suffire à l’envoyer sur le banc des accusés.
Mais les crimes des États puissants ne donnent jamais lieu à une quelconque reddition de comptes. Les criminels de guerre serbes, congolais ou soudanais peuvent être traduits en justice. Poutine, Bush, Biden et Blair sont à l’abri.
Tout n’est peut-être pas perdu. Si la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice aboutit, Benyamin Netanyahou et ses généraux pourraient connaître un destin de semi-paria.
Les crimes des États puissants ne donnent jamais lieu à une quelconque reddition de comptes. Les criminels de guerre serbes, congolais ou soudanais peuvent être traduits en justice. Poutine, Bush, Biden et Blair sont à l’abri
Il y a cinquante ans, les dernières guerres post-coloniales en Asie et en Afrique ont pris fin, les puissances occidentales renonçant finalement à leurs ambitions.
Les dernières guerres en Afrique contre le colonialisme de peuplement et ses mercenaires, en Namibie, en Angola et au Mozambique, ont pris fin il y a plus de trente ans. Grâce à la solidarité héroïque de Cuba et de Fidel Castro avec les mouvements de libération de l’Afrique australe, le régime d’apartheid sud-africain a fini par tomber.
Nelson Mandela avait déclaré que la bataille angolaise de Cuito Cuanavale contre les troupes sud-africaines en 1988 avait « détruit le mythe de l’invincibilité de l’oppresseur blanc ». Un écho peut-être à la bataille de 100 jours qui se déroule actuellement à Gaza entre les combattants palestiniens et les troupes israéliennes, ou de la campagne yéménite en mer Rouge pour soutenir Gaza : les petites nations qui défient les empires peuvent faire ce que le monde ne veut pas faire.
Impasse
L’ère actuelle de la mondialisation et du capitalisme financier est dans une impasse. Pourtant, l’ordre politique en place s’est montré incapable d’assurer la transition vers un ordre mondial durable, équitable et pacifique. Par le passé, lorsque les anciens ordres sociaux ne parvenaient pas à se renouveler et que les richesses se concentraient dans les mains d’une petite élite, la révolution devenait inévitable.
La dernière grande époque de la mondialisation, de 1870 à 1914, s’est achevée après le dépeçage du monde par les puissances coloniales et la tentative de l’empereur allemand Guillaume II de redessiner la carte de l’Europe selon son plan impérial. Le commerce s’est arrêté et les jeunes hommes d’Europe ont été sacrifiés dans les plaines boueuses d’Ypres, de la Somme et de Passchendaele.
La guerre s’est terminée par les révolutions russe et allemande et par l’effondrement des empires ottoman et autrichien. Trois décennies de crise, de totalitarisme et de guerre ont suivi.
Les révolutions du XXe siècle ont été sanglantes et brutales, mais elles ont radicalement changé l’ordre social, engendrant des avancées sans précédent pour les travailleurs, les femmes et les peuples colonisés.
Aujourd’hui, la question est d’imaginer quel type de processus ou de réorganisation internationale pourrait trancher le nœud gordien de l’impérialisme militaro-industriel qui gouverne actuellement les capitales de Washington, Londres, Bruxelles et Moscou.
Peut-être que 2024 apportera une réponse. Si ce n’est pas une révolution, d’autres chocs géopolitiques ou économiques semblent presque certains.
- Joe Gill a vécu et travaillé en tant que journaliste à Oman, à Londres, au Venezuela et aux États-Unis, pour des journaux tels que le Financial Times, Brand Republic, Morning Star et le Caracas Daily Journal. Il a poursuivi des études de maîtrise en politique de l’économie mondiale à la London School of Economics. @gill_joe
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