L’Occident paiera un lourd tribut pour avoir dilapidé sa crédibilité vis-à-vis d’Israël
L’occupation israélienne ne se limite pas à la Palestine. La réaction des élites occidentales aux massacres perpétrés par Israël à Gaza montre qu’Israël occupe également l’esprit des dirigeants américains et européens.
Au-delà de ses colonies sur les terres palestiniennes, Israël va plus loin en établissant des colonies politiques dans les capitales occidentales.
Ces manœuvres rencontrent un manque d’opposition sans précédent, avec des responsables politiques de tous bords qui s’unissent pour soutenir Israël après l’attaque du Hamas du 7 octobre.
Le contraste est saisissant entre leurs discours passionnés sur l’invasion russe de l’Ukraine et leur rhétorique détachée et fanatique sur Israël.
Au sein des institutions internationales, nous avons vu l’Occident opposer son veto à des résolutions sur l’aide humanitaire de base, compromettant ainsi gravement toute revendication d’autorité morale.
Ces phénomènes ne peuvent être appréhendés qu’à travers le prisme de l’influence durable d’Israël sur les États-Unis et l’Europe. L’influence d’Israël sur les gouvernements du Moyen-Orient est également évidente, dans la mesure où ils répercutent ses politiques lorsqu’ils sont confrontés à la « menace » de la démocratie dans leur pays.
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a bien résumé la situation lorsqu’il a déclaré le mois dernier : « Aux dirigeants des États arabes, aux dirigeants qui s’inquiètent de l’avenir de leur pays et du Moyen-Orient, je dis une chose : vous devez vous opposer au Hamas. […] Je suis convaincu que de nombreux dirigeants arabes le comprennent. » De toute évidence, c’est le cas.
Réaction docile des dirigeants du Moyen-Orient
Depuis un mois, alors que des millions de personnes dans le monde entier protestent contre l’offensive à Gaza, la tragédie se mue en génocide. Les manifestations actuelles sont une révélation brutale du fossé qui sépare les opinions publiques occidentales de leurs dirigeants.
Dans ce paysage tumultueux, les déclarations du président américain Joe Biden font écho aux raisons invoquées par le président russe Vladimir Poutine pour justifier l’invasion de l’Ukraine.
Cette position est soutenue par des ministres européens qui semblent incapables de voir le parallèle avec les agissements de la Russie, tandis que la réaction docile des dirigeants du Moyen-Orient ressemble à l’attitude d’Israël face à d’autres atrocités dans le monde.
Dans un contexte d’escalade des tensions politiques et économiques mondiales, et alors que les cartes des alliances évoluent, l’Occident est confronté à la réalité de l’effondrement de son influence. Cela aura des conséquences considérables dans les années à venir.
Dans une ère marquée par l’érosion de la démocratie, la montée du populisme, l’effritement de la relation entre droits de l’homme et prospérité et une grave crise de la cohésion géopolitique, l’Occident paiera un lourd tribut pour avoir si allègrement dilapidé sa crédibilité vis-à-vis d’Israël.
Une question demeure toutefois : les dirigeants politiques et les médias traditionnels occidentaux peuvent-ils oser sortir des limites imposées par Israël dans la définition de son discours sur l’occupation de la Palestine et le massacre à Gaza ? Mais surtout, alors que les protestations se multiplient et que le soutien de l’opinion publique à Israël s’effondre, le soutien occidental à Israël s’est-il transformé en réquisitoire ?
Cette crise transcende l’hypocrisie et les deux poids, deux mesures. Si l’Occident ne se défait pas de l’occupation israélienne et ne réoriente pas ses intérêts vers un ordre international fondé sur des règles, la crise ne fera que s’intensifier.
Cette situation met en péril la délicate stabilité mondiale qui a émergé après la Seconde Guerre mondiale.
Dans un scénario qui rappelle L’Aveuglement, le roman du prix Nobel de littérature José Saramago, on pourrait croire que le 7 octobre, les élites politiques occidentales ont brusquement perdu la vue toutes en même temps. Depuis, elles insistent pour que le reste du monde s’abstienne de témoigner de ce qu’elles sont elles-mêmes incapables de voir.
Et pourtant, les événements continuent de se produire au vu et au su du monde entier. La bande de Gaza est transformée en un gigantesque camp de concentration, où 2,3 millions de personnes sont prises au piège. Elle devient par la même occasion une épreuve de vérité morale.
Les élites politiques occidentales ont brusquement perdu la vue toutes en même temps. Depuis, elles insistent pour que le reste du monde s’abstienne de témoigner de ce qu’elles sont elles-mêmes incapables de voir
Dans le même temps, tout espoir de voir Israël faire preuve d’un minimum de retenue semble avoir été vain. Il n’y a aucune issue claire à la crise actuelle. Une paix durable à Gaza, en Cisjordanie occupée ou dans l’ensemble de la région sera impossible tant qu’Israël ne reconnaîtra pas le droit à l’existence des Palestiniens.
Le projet colonial d’Israël repose sur la disparition des Palestiniens, une population aussi importante que la population juive d’Israël. Si l’État persiste dans cette obsession, le poids du fardeau israélien sur Washington et l’Europe augmentera considérablement, à moins qu’ils ne commencent à voir clair et ne changent de cap.
À ce stade, les dirigeants israéliens peuvent aisément légitimer tout crime commis par les forces étatiques ou défendre toute violation des droits de l’homme. La mentalité de l’occupation israélienne est intimement liée à un état de faillite morale.
Pourtant, de Netanyahou à ses ministres, des chefs religieux aux journalistes, les politiques israéliennes restent une source unique de fierté dans une grande partie du pays. L’État n’a pas ménagé ses efforts pour stigmatiser et opprimer les Juifs du monde entier qui résistent à cette folie.
Si Washington et les capitales européennes persistent à penser qu’ils peuvent supporter le poids d’Israël et de sa campagne d’atrocités sans répercussions, ils se trompent lourdement.
Il serait dans l’intérêt des élites occidentales – et de l’humanité dans son ensemble – qu’elles se désengagent du blocus politique imposé par Israël, avant qu’une catastrophe encore plus grande ne se produise.
- Taha Özhan est universitaire et écrivain. Titulaire d’un doctorat en politique et relations internationales, il est actuellement directeur de recherche au Ankara Enstitüsü. Avant cela, il a été chercheur invité à l’Université d’Oxford (2019-2020), a présidé la Commission des affaires étrangères du Parlement turc (2015-2018) et a conseillé le Premier ministre turc (2014-2016). Il a publié des ouvrages sur la politique mondiale et régionale, la théorie politique et des relations internationales, ainsi que les mouvements politiques au Moyen-Orient. Son dernier livre s’intitule Turkey and the Crisis of the Sykes-Picot Order (2015).
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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