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Guerre Israël-Palestine : bombe après bombe, Israël met en lambeaux l’influence américaine dans le monde

Le soutien américain au génocide d’Israël à Gaza est en train de détruire l’image des États-Unis dans le monde musulman, voilà ce qu’entendent les diplomates et chefs des renseignements américains
Le président américain Joe Biden s’exprime lors d’une conférence de presse, le 25 octobre 2023 (AFP)
Le président américain Joe Biden s’exprime lors d’une conférence de presse, le 25 octobre 2023 (AFP)

On en est aujourd’hui au deuxième mois de la guerre à Gaza, et Israël n’a aucune stratégie de désengagement crédible. 

Il n’y aura pas de « mission accomplie », aucun équivalent au discours de George W. Bush sur l’U.S.S. Abraham Lincoln, déclarant la victoire en Irak, le 1er mai 2003.

S’opposant aux appels au cessez-le-feu, les États-Unis n’ont trouvé aucun moyen pour l’instant d’amener Israël à faire une pause dans les combats, ne serait-ce que quelques heures, sans parler d’une pause suffisamment longue pour permettre un échange d’otages et de prisonniers.

Pour Joe Biden, Israël est un train fou qui a déjà dévasté son retrait militaire stratégique de la région, les accords d’Abraham, et une grande partie de son autorité dans le monde musulman et dans le Sud global

Pour le président américain Joe Biden, Israël est un train fou qui a déjà dévasté son retrait militaire stratégique de la région, les accords d’Abraham, et une grande partie de son autorité dans le monde musulman et dans le Sud global.

S’il n’y prête pas attention, le pouvoir destructeur de cette guerre pourrait faire dérailler ses plans pour un second mandat. Sur le plan national, il est à court de capital politique.

S’il envisageait ne serait-ce que de tirer l’un des nombreux leviers susceptibles de faire cesser les bombardements de Gaza – en interrompant le réapprovisionnement en bombes et obus intelligents –, les Républicains lui tomberaient dessus.

Dans cette guerre, les États-Unis ne dirigent même pas de l’arrière – pour reprendre le petit mot d’esprit de Barack Obama à propos du renversement désastreux du dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Ils plongent dans l’inconnu.

Frustration

Les diplomates et responsables des renseignements américains ont des rencontres pénibles avec leurs homologues turcs et arabes lors de leurs tournées régionales.

À l’occasion de réunions qui durent des heures, on leur dit en face qu’Israël est en mission génocidaire de vengeance, que les États-Unis soutiennent ce génocide et que son soutien à cette guerre met en lambeaux son image dans le monde musulman. Oublions les crimes de guerre. Qu’est-ce que la politique américaine exactement ?

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Si les États-Unis ont fait la guerre au monde entier pour se débarrasser d’al-Qaïda, et que le groupe État islamique (EI) comme al-Qaïda existent toujours, pourquoi un mouvement plus ancré et discipliné comme le Hamas serait-il éradiqué par les Israéliens ?

Et pourquoi vouloir chasser le Hamas de Gaza ? À Gaza, le Hamas est localisé. Les États-Unis ont-ils oublié l’époque où le Fatah, première occurrence de la résistance armée palestinienne, enlevait des villageois et détournait des avions ? Pourquoi faire du Hamas une organisation internationale ?

Les diplomates américains et les chefs de la sécurité n’ont rien à répondre à ces arguments. En privé, ils conviennent qu’Israël n’a aucun espoir d’éradiquer le Hamas, qu’Israël n’a aucune stratégie de désengagement et qu’il avait cessé de les écouter avant même le début de la guerre.

Tout espoir que Biden soit en mesure de retenir Israël en l’étreignant les premiers jours suivant le choc de l’attaque par les combattants palestiniens le 7 octobre a produit un spectaculaire retour de bâton.

En privé, le secrétaire d’État américain Antony Blinken admet les relations exécrables avec Netanyahou avant la guerre, et la frustration des États-Unis à son égard aujourd’hui. 

Il se peut qu’ils réalisent enfin que la politique au Moyen-Orient d’une administration, qui a déclaré que « l’Amérique est de retour », a de gros problèmes.

L’Égypte, pas aussi ferme qu’elle en a l’air

Cela laisse grande ouverte la question de la gestion de cette crise par les dirigeants arabes.

Ce week-end, l’Arabie saoudite a accueilli deux sommets à Riyad : une rencontre de la Ligue arabe samedi suivie d’un sommet de l’Organisation de la coopération islamique.

Historiquement, les attentes sont faibles. Aucun de ces forums n’a produit quoi que ce soit de substantiel, hormis des discours. Je ne m’attendais à rien de différent cette fois.

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Les plus vives réactions aux bombardements viennent de l’Égypte et de la Jordanie, les deux États qui furent les premiers à reconnaître Israël. Tous deux sont profondément compromis par leur dépendance vis-à-vis de l’aide et de l’argent des Occidentaux.

Prenez l’Égypte. L’armée et l’État profond égyptiens ont clairement fait savoir que le nettoyage ethnique de Gaza était inacceptable et qu’ils ne céderaient pas un grain du sable du Sinaï pour relocaliser la population de Gaza.

Voilà un visage de l’Égypte.

Mais elle révèle son autre visage au poste-frontière de Rafah avec Gaza, le seul qui reste ouvert par intermittence.

Je crois savoir que l’Égypte a voulu remplacer les responsables qui contrôlent le passage côté gazaoui, actuellement gardé par le ministère palestinien de l’Intérieur dirigé par le Hamas. Elle désirait des responsables de l’ONU là-bas, mais a présenté cela comme une demande américaine. Cependant, interrogés à ce sujet par un pays tiers arabe, les États-Unis ont nié la paternité de cette initiative. Il s’avère que c’est une proposition purement égyptienne.

D’autres signes indiquent que la position égyptienne n’est pas aussi ferme qu’elle en a l’air.

Le site égyptien Mada Masr a signalé deux jours après l’attaque du Hamas que le gouverneur du Sinaï Nord Mohamed Abdel Fadel Shousha coordonnait des préparatifs en vue d’un énorme afflux de réfugiés.

L’armée et l’État profond égyptiens ont clairement fait savoir que le nettoyage ethnique de Gaza était inacceptable et qu’ils ne céderaient pas un grain du sable du Sinaï pour relocaliser la population de Gaza

Ce dernier a donné l’ordre de dresser un inventaire des ressources dans les moulins, boulangeries, marchés et stations-essence gérés par l’État, « ainsi que les capacités des écoles, les logements, les terres vacantes qui seront désignés comme des abris humanitaires si nécessaire ».

Les manifestations publiques de soutien à Gaza sont un autre signe. Le Caire a connu sa plus grande manifestation pour la Palestine en dix ans, lorsque la place Tahrir a été ouverte dans les premiers jours du conflit. Mais réalisant rapidement que l’activisme politique pourrait échapper à tout contrôle, la répression n’a pas tardé et il n’y a plus eu de manifestation depuis. 

Quant à la Jordanie, elle est sincèrement inquiète. Le ministre jordanien des Affaires étrangères Ayman Safadi a déclaré que toute expulsion de Palestiniens de Gaza équivaudrait à une « déclaration de guerre » pour la Jordanie. La reine Rania de Jordanie a donné des interviews fermes à CNN.

Mais la Jordanie a empêché sa population d’aller à la frontière avec Israël et ne peut diffuser sa politique qu’à travers la communauté internationale. Elle a rappelé son ambassadeur à Israël seulement après que la Bolivie eut rompu tout lien avec Israël.

Une fin définie

Au départ, la Syrie a publié un communiqué exprimant son soutien à la population palestinienne. Le 26 octobre, le président Bachar al-Assad a déclaré : « Le cœur de la politique américaine est l’escalade militaire et la création du chaos. » 

L’Arabie saoudite travaille encore dessus. L’un de ses voisins, le Qatar, qui a récemment émergé du siège de son territoire et de son espace aérien, rechigne à le qualifier de cause perdue, bien qu’il y ait une hostilité viscérale vis-à-vis des Émirats arabes unis à Doha.

Officiellement, l’Arabie saoudite a condamné le meurtre de civils palestiniens et son ministre des Affaires étrangères a publié une série de communiqués fermes.

Des milliers de manifestants anti-Israël se rassemblent devant la Maison-Blanche, réclamant la fin de la guerre entre Israël et le Hamas, à Washington, le 4 novembre 2023 (Reuters)
Des milliers de manifestants anti-Israël se rassemblent devant la Maison-Blanche, réclamant la fin de la guerre entre Israël et le Hamas, à Washington, le 4 novembre 2023 (Reuters)

Mais personne ne sait exactement ce que désire le prince héritier Mohammed ben Salmane. Il n’a pas autorisé les manifestations – semblables à celles qui ont eu lieu à Amman, au Caire ou à Beyrouth. Et l’énorme festival de Riyad s’est tenu comme prévu, comme si rien ne s’était passé sur le seuil de l’Arabie saoudite.

Hormis le Qatar, la Turquie, l’Iran et la Malaisie, aucun des pays de la région n’a désigné le Hamas comme un partenaire légitime dans les négociations.

La Turquie est sur le point d’étoffer sa propre proposition de trêve, assurée par des pays garants. Cela pourrait être similaire au rôle de la FINUL dans le sud du Liban.

Mais si la Turquie devait jouer un tel rôle à Gaza, elle devrait être convaincue que le processus de paix garanti aura une fin définie. En d’autres termes, cet élan pour la paix devrait culminer bientôt sous la forme d’un État palestinien, contrairement aux promesses jamais tenues d’Oslo.

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Benyamin Netanyahou a également détruit sa relation personnelle avec le président russe Vladimir Poutine, avec lequel il était si proche autrefois que le Premier ministre israélien a réussi à obtenir de la Russie l’annulation de l’envoi de missiles S400 en transit vers Téhéran.

Il en va de même avec la Chine, avec laquelle Israël avait bâti patiemment une solide relation commerciale.

Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a déclaré que la Chine condamnait fermement et s’opposait aux actes qui blessent des civils et violent le droit international, réclamant un cessez-le-feu immédiat pour mettre fin à la guerre et assurer le minimum vital à la population de Gaza. C’était presque comme à l’époque du président Mao en ce qui concerne le conflit. 

De toute évidence, le Hamas ne se comporte pas comme s’il s’était rendu et qu’il était face à une extinction imminente. Il provoque les pires pertes de chars, de soldats et de véhicules à personnel israéliens que les standards établis par la précédente campagne. Il admet avoir perdu environ 200 de ses combattants. Et ce, sur une armée potentielle de 60 000 membres. 

« Il est possible de battre Israël »

Pour Abbas Kamel, le chef de la sécurité égyptienne, ainsi que pour le Qatar, le Hamas reste l’interlocuteur privilégié pour stopper ce conflit. Et il a montré, malgré les destructions provoquées par Israël à Gaza, qu’il peut facilement résister à plus d’un mois d’une telle démonstration de force.

Ceci, les générations futures de combattants palestiniens ne l’oublieront pas. Les attaques du 7 octobre et tous les combats depuis ont érigé un grand message lumineux dans le ciel : « Il est possible de battre Israël. »

L’un des messages envoyés à Israël par cette guerre, c’est que ce conflit ne peut pas s’achever par la force des armes alors des progrès auront été faits, malgré la souffrance indicible endurée par les civils dans cette guerre.

Plus important encore, cette guerre aura produit une évolution significative dans la communauté internationale, l’Amérique – et l’Europe – cédant une fois de plus du terrain face au reste du monde. Sa sphère d’influence se réduit, une atrophie accélérée par son propre orgueil démesuré.

Mis à l’épreuve, l’Occident s’est révélé incapable de modifier une politique de soutien aveugle et irréfléchi à Israël qui a depuis longtemps passé sa date d’expiration.

David Hearst est cofondateur et rédacteur en chef de Middle East Eye. Commentateur et conférencier sur des sujets liés à la région, il se concentre également sur l’Arabie saoudite en tant qu’analyste. Ancien éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, il en a été le correspondant en Russie, en Europe et à Belfast. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

David Hearst is co-founder and editor-in-chief of Middle East Eye. He is a commentator and speaker on the region and analyst on Saudi Arabia. He was the Guardian's foreign leader writer, and was correspondent in Russia, Europe, and Belfast. He joined the Guardian from The Scotsman, where he was education correspondent.
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