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Guerre Israël-Palestine : tout autant qu’Israël, l’Occident a le sang de Gaza sur les mains

Alors qu’Israël se déchaîne, la population de Gaza prend le chemin lent et silencieux de l’effacement. Ceux qui financent et rendent cela possible sont les États-Unis et leurs alliés européens
Des médecins palestiniens soignent des enfants blessés par les bombardements israéliens sur Gaza à l’hôpital al-Chifa, le 9 octobre 2023 (Reuters)
Des médecins palestiniens soignent des enfants blessés par les bombardements israéliens sur Gaza à l’hôpital al-Chifa, le 9 octobre 2023 (Reuters)

Ce n’est ni le Hamas ni le gouvernement Netanyahou qui ont le plus de sang sur les mains dans l’actuel massacre des Palestiniens et des Israéliens, c’est l’Occident.

Oui, des combattants palestiniens ont mené une attaque brutale contre les colonies israéliennes en périphérie de la bande de Gaza. Mais cette attaque n’a pas émergé de nulle part, sans avertissement. Ce n’était pas « gratuit », comme Israël voudrait nous le faire croire. 

Une Palestinienne après un bombardement, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 octobre 2023 (Reuters)
Une Palestinienne après un bombardement, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 octobre 2023 (Reuters)

En fait, les capitales occidentales savent exactement à quel point les Palestiniens de Gaza ont été provoqués, parce que ces mêmes gouvernements sont complices depuis des décennies de soutenir Israël alors qu’il a procédé au nettoyage ethnique des Palestiniens de leur patrie et emprisonné le reste de la population dans des ghettos à travers leur patrie.

Au cours des seize dernières années, le soutien occidental à Israël n’a pas faibli, même si Israël a fait passer l’enclave côtière de Gaza de la plus grande prison à ciel ouvert au monde à une horrible chambre de torture, où des expériences sont menées sur les Palestiniens.

Leur nourriture et leur électricité sont rationnées, des éléments essentiels de la vie leur sont refusés, ils sont progressivement privé d’accès à l’eau potable et on empêche leurs hôpitaux de recevoir des fournitures et du matériel médicaux.

Le problème n’est pas l’ignorance

Le problème n’est pas l’ignorance. Les gouvernements occidentaux sont informés en temps réel des crimes commis par Israël : dans des câbles confidentiels de leurs propres ambassades et dans d’innombrables rapports d’organisations de défense des droits de l’homme documentant le régime d’apartheid d’Israël sur les Palestiniens.

Et pourtant, à maintes et maintes reprises, les politiciens occidentaux n’ont rien fait pour intervenir, rien fait pour exercer une pression significative. Pire encore, ils ont récompensé Israël avec un soutien militaire, financier et diplomatique sans fin.

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L’Occident n’est pas moins responsable maintenant qu’Israël intensifie son traitement barbare de Gaza. Le ministre de la Défense Yoav Gallant a décidé cette semaine d’approfondir le siège de Gaza en arrêtant tout approvisionnement en nourriture et en électricité – un crime contre l’humanité. 

Il a qualifié la population palestinienne de l’enclave qui vit en cage – hommes, femmes et enfants - d’« animaux humains ».

La déshumanisation, comme l’histoire l’a prouvé à maintes reprises, est le prélude à des outrages et des horreurs toujours plus grands. 

Comment l’Occident a-t-il réagi ?

Le président Joe Biden a déclaré – d’un air approbateur – qu’une « longue guerre » est à venir entre Israël et le Hamas. Washington semble savourer les longues guerres, qui s’avèrent toujours une aubaine pour ses industries d’armement et une distraction vis-à-vis des problèmes internes. 

Un porte-avions américain est en route. Les responsables se préparent déjà à envoyer des missiles et des bombes qui seront à nouveau utilisés pour tuer des civils palestiniens depuis les airs, ainsi que des munitions pour les troupes israéliennes afin de mitrailler les communautés palestiniennes lors de l’invasion terrestre à venir.

Et, bien sûr, il y aura beaucoup de financement supplémentaire pour Israël – de l’argent qu’on ne trouve jamais quand il est nécessaire pour les citoyens américains les plus vulnérables.

Washington semble savourer les longues guerres, qui s’avèrent toujours une aubaine pour ses industries d’armement et une distraction vis-à-vis des problèmes internes

Ces fonds s’ajouteront aux près de 4 milliards de dollars que Washington envoie actuellement chaque année à un gouvernement israélien de fascistes déclarés et de suprémacistes ethniques dont le but explicite est d’annexer les derniers fragments restants du territoire palestinien – dès qu’ils pourront obtenir le feu vert de Washington.

Le Premier ministre britannique Rishi Sunak ne veut pas être en reste, car Israël inflige une sanction collective aux Palestiniens de Gaza et commence à les massacrer aussi indistinctement que le Hamas l’a fait pour les festivaliers israéliens ce weekend. 

Un drapeau israélien géant a été projeté sur la façade de la maison la plus connue de Grande-Bretagne : le 10 Downing Street, résidence officielle de Sunak. Le Premier ministre a offert une « assistance militaire » et des « renseignements », probablement pour aider Israël à bombarder la population en cage de Gaza.

Couverture diplomatique

En vérité, on n’aurait jamais pu arriver à une telle catastrophe sans que les puissances occidentales n’encouragent, ne subventionnent et ne fournissent une couverture diplomatique à la brutalité d’Israël envers le peuple palestinien, décennie après décennie.

Sans ce soutien indéfectible, et sans presse occidentale complice remodelant les vols de terres par les colons et l’oppression par les soldats comme une sorte de « crise humanitaire », Israël n’aurait jamais pu s’en tirer avec ses crimes.

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Il aurait été contraint de parvenir à un arrangement approprié avec les Palestiniens – et non les accords bidons d’Oslo qui n’avaient pour but que de piéger les « bons » dirigeants palestiniens à s’entendre dans l’assujettissement de leur propre peuple.

Israël aurait également été contraint à une véritable normalisation avec ses voisins arabes, au lieu de les forcer à accepter une Pax Americana au Moyen-Orient.

Au lieu de cela, Israël a été libre de poursuivre une politique d’escalade implacable, vendue par les médias occidentaux comme « calme » ou « tranquille » – jusqu’à ce que les Palestiniens tentent de riposter à leurs bourreaux. 

Ce n’est qu’alors que le terme « escalade » est utilisé. Ce sont toujours les Palestiniens qui « sont responsables de l’escalade les tensions ». L’état permanent d’oppression infligé par Israël peut alors être reconnu en toute sécurité et requalifié de « représailles ».

On s’attend à ce que les Palestiniens souffrent en silence. Parce que lorsqu’ils font du bruit, cela risque de rappeler aux opinions publiques occidentales à quel point les appels des dirigeants occidentaux à « l’ordre fondé sur des règles » sont vraiment bidons et égoïstes.

Où mène finalement cette indulgence sans fin de l’Occident ?

Il y a un mot pour cette politique, un mot que nous ne sommes pas censés utiliser pour éviter d’offenser ceux qui la mettent en œuvre, ainsi que ceux qui appuient discrètement sa mise en œuvre

Déjà, Israël est encouragé à rendre beaucoup plus explicite sa politique envers les deux millions d’habitants de Gaza. Il y a un mot pour cette politique, un mot que nous ne sommes pas censés utiliser pour éviter d’offenser ceux qui la mettent en œuvre, ainsi que ceux qui appuient discrètement sa mise en œuvre. 

Que ce soit à dessein ou par résultat, le fait qu’Israël affame les civils, les laisse sans électricité, les prive d’eau potable et empêche les hôpitaux de soigner les malades et les blessés – de soigner ceux qu’Israël a bombardés – est une politique génocidaire.

Les gouvernements occidentaux le savent aussi. Parce que les dirigeants israéliens n’ont pas caché ce qu’ils font. 

Il y a quinze ans, peu de temps après qu’Israël ait institué son siège étouffant sur Gaza par la terre, la mer et les airs, le vice-ministre de la Défense de l’époque, Matan Vilnai, a affirmé qu’Israël était prêt à mener une « Shoah » (mot hébreu pour Holocauste) sur Gaza. Si les Palestiniens veulent éviter ce sort, disait-il, ils doivent garder le silence lors de leur internement.

Six ans plus tard, Ayelet Shaked, qui allait bientôt être nommée à un ministère israélien important, déclarait que tous les Palestiniens de Gaza étaient « l’ennemi », et incluaient « ses personnes âgées et ses femmes, ses villes et ses villages, ses biens et ses infrastructures ».

Allemagne nazie

Elle appelait Israël à tuer les mères des combattants palestiniens qui résistent à l’occupation afin qu’ils ne puissent pas donner naissance à d’autres « petits serpents » – des enfants palestiniens.

Lors des élections législatives de 2019, Benny Gantz, alors chef de l’opposition et futur ministre de la Défense, a fait campagne avec une vidéo célébrant le temps qu’il a passé à la tête de l’armée israélienne, lorsque « certaines parties de Gaza ont été renvoyées à l’âge de pierre ».

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En 2016, un autre général, Yaïr Golan, qui était à l’époque le commandant en second de l’armée israélienne, a décrit les développements en Israël comme faisant écho à la période en Allemagne qui a précédé l’Holocauste.

Lorsqu’on lui a demandé de commenter la remarque de Golan lors d’une interview cette année, le général à la retraite Amiram Levin a convenu qu’Israël ressemblait de plus en plus à l’Allemagne nazie. « Ça fait mal, ce n’est pas agréable, mais c’est la réalité. »

Les dirigeants occidentaux ont observé tout cela : alors que les civils palestiniens – la moitié de la population de l’enclave sont des enfants – étaient affamés, privés d’eau potable, privés d’électricité, privés de soins médicaux appropriés et soumis à plusieurs reprises à d’horribles bombardements.

D’un côté, l’Occident a fait semblant d’hésiter longuement sur les subtilités juridiques de la « proportionnalité ». De l’autre, il a encouragé Israël. Il a parlé de « liens indéfectibles », de « droits incontestables », de « légitime défense ». 

Cela faisait écho à des personnalités comme Gallant. Les Palestiniens n’étaient pas des humains avec le libre arbitre. Ce n’étaient pas des gens qui luttaient pour leur liberté et leur dignité.

En 2016, un autre général, Yaïr Golan, qui était à l’époque le commandant en second de l’armée israélienne, a décrit les développements en Israël comme faisant écho à la période en Allemagne qui a précédé l’Holocauste

Ils n’étaient pas un peuple résistant à leur occupation et à leur dépossession, comme ils avaient pleinement le droit de le faire en vertu du droit international - un droit que le monde célèbre quand il s’agit des Ukrainiens.

Non, ils étaient soit les victimes, soit les partisans de leurs dirigeants « terroristes ». En tant que tels, ils ont été traités par l’Occident comme s’ils avaient perdu tout droit d’être entendus, d’être estimés, d’être traités comme des humains. 

Les politiciens et les médias occidentaux attendent des Palestiniens de Gaza qu’ils restent dans leur chambre de torture, tiennent leur langue et souffrent en silence silence afin de ne pas perturber les consciences occidentales.

Il faut le dire. La population de Gaza prend le chemin lent et silencieux de l’effacement. Et ceux qui financent et rendent cela possible sont les États-Unis et leurs alliés européens. Le sang de Gaza entache leurs mains.

Jonathan Cook est l’auteur de trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et le lauréat du prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Vous pouvez consulter son site web et son blog à l’adresse suivante : www.jonathan-cook.net.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Jonathan Cook is the author of three books on the Israeli-Palestinian conflict, and a winner of the Martha Gellhorn Special Prize for Journalism. His website and blog can be found at www.jonathan-cook.net
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