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France : les militants pro-palestiniens déplorent une solidarité à géométrie variable

Ils accusent le gouvernement Macron de fermer les yeux sur les bombardements massifs à Gaza et de manipuler l’émotion suscitée par les attaques du Hamas contre Israël pour censurer les voix de soutien aux Palestiniens
Des policiers anti-émeute place de la République lors d’une manifestation non autorisée de soutien aux Palestiniens jeudi (Reuters)
Par Samia Lokmane à PARIS, France

« J’ai arrêté de regarder les chaînes d’information car je ne supporte plus la subjectivité des journalistes et de leurs invités. La plupart défendent Israël inconditionnellement et approuvent les bombardements de Gaza en affirmant que l’État hébreux a le droit de se défendre », s’agace au téléphone Karim, un assureur franco-algérien qui habite Marseille, interviewé par Middle East Eye.

Excédé, il accuse des reporters et des analystes de reprendre les éléments de langage de l’armée israélienne en évoquant « des frappes ciblées » contre le Hamas.

« Comme toujours lorsqu’il s’agit du Proche-Orient, l’indignation est sélective. Il y a les morts israéliens, on parle de familles entières, de personnes âgées et d’enfants… puis, à côté, les Palestiniens sont désignés comme des victimes collatérales, sans nom, sans âge et sans visage », dit-il avec une grande tristesse.

« À la télévision, on voit les immeubles bombardés mais pas les tués. Le massacre se déroule à huit clos dans une prison à ciel ouvert où les populations déjà très éprouvées sont maintenant privées d’eau, de gaz et d’électricité. Israël se venge et tout le monde applaudit », s’insurge Karim.

Des rassemblements pro-palestiniens interdits

Mardi, lui et sa femme ainsi qu’un groupe d’amis ont bravé l’interdiction de la préfecture des Bouches-du-Rhône pour prendre part à un sit-in de soutien aux populations palestiniennes sur le vieux port.

La manifestation était organisée par le Collectif Marseille Gaza Palestine et l’Union départementale de la Confédération générale du travail (CGT 13). Xavier Manouz, délégué syndical, trouve inadmissible que les soutiens officiels s’expriment uniquement à l’endroit d’Israël.

« Que des prétextes. Au train où vont les choses, manifester pour la Palestine pourrait même devenir un délit. C’est honteux et indigne de la France »

- Noha, étudiante franco-libanaise

« La CGT condamne évidemment les attaques du Hamas contre les civils israéliens mais les Palestiniens méritent aussi notre compassion. La guerre ne s’est jamais arrêtée pour eux avec des politiques coloniales et un système d’apartheid qu’ils subissent depuis des décennies », dénonce-t-il auprès de MEE.

Le syndicaliste regrette par exemple la décision de la mairie de Paris d’illuminer la tour Eiffel aux couleurs d’Israël en solidarité avec les victimes des attaques du 7 octobre alors qu’elle n’a jamais pris de pareille mesure pour compatir avec les victimes palestiniennes.

Il s’insurge aussi contre les interdictions en série des rassemblements propalestiniens. Après Marseille, la préfecture de police de Paris a décidé, elle aussi, d’empêcher la tenue de deux manifestations, ce jeudi place de la République, à l’appel du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens et de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) pour réclamer la levée du blocus de Gaza, imposé depuis 2007.

La Tour Eiffel à Paris illuminée aux couleurs du drapeau israélien et arborant l’étoile de David en hommage aux victimes de l’offensive du Hamas, le 9 octobre 2023 (AFP/Julien de Rose)
La Tour Eiffel à Paris illuminée aux couleurs du drapeau israélien et arborant l’étoile de David en hommage aux victimes de l’offensive du Hamas, le 9 octobre 2023 (AFP/Julien de Rose)

Dans un arrêté, le préfet de police, Laurent Nuñez, a invoqué des « risques de troubles à l’ordre public ». À Lyon, où une manifestation a été interdite lundi 9 octobre, les autorités locales avaient avancé les mêmes arguments, comme à Bordeaux, où un rassemblement a quand même eu lieu le surlendemain.  

« Que des prétextes. Au train où vont les choses, manifester pour la Palestine pourrait même devenir un délit. C’est honteux et indigne de la France », commente Noha, une étudiante franco-libanaise qui vit à Paris.

De son côté, Bertrand Heilbronn, président de l’AFPS, évoque « une décision politique » qui confirme selon lui « la dérive du gouvernement français ».

« Nous sommes dans un tournant très grave. L’exécutif porte le discours d’Israël qui revendique le droit de se défendre afin de massacrer les Palestiniens », constate-t-il, amer, auprès de MEE.

« Chasse aux sorcières »

Pour aller outre l’interdiction de la préfecture, l’AFPS a introduit mercredi, en fin de journée, une action en référé devant le tribunal administratif de Paris. Mais le recours a été rejeté. À Bordeaux, la justice saisie par le Comité Action Palestine a également donné raison à l’administration, qui a évoqué à l’audience « un contexte particulièrement sensible » marqué par « des débats clivants et passionnels » et la multiplication des actes antisémites.

« L’émotion suscitée par les attaques du Hamas en France est instrumentalisée par le pouvoir politique pour faire taire les voix de soutien aux Palestiniens »

- Bertrand Heilbronn, président de l’AFPS

« L’émotion suscitée par les attaques du Hamas en France est instrumentalisée par le pouvoir politique pour faire taire les voix de soutien aux Palestiniens et instaurer un climat de chasse aux sorcières. Le ministre de l’Intérieur assimile publiquement toutes les manifestations de soutien aux Palestiniens à de l’antisémitisme », déplore Bertrand Heilbronn.

Au cours d’une interview télévisée ces derniers jours, Gérald Darmanin s’est notamment attaqué au parti de la gauche radicale La France insoumise (LFI), le soupçonnant d’être antisémite. La formation politique « n’a pas démontré l’inverse », a-t-il tranché.

Au lendemain des attaques du Hamas, LFI avait suscité l’opprobre d’une grande partie de la classe politique après avoir contextualisé l’offensive du Hamas en évoquant l’intensification de la politique d’occupation israélienne.

Le parti d’extrême gauche NPA de l’ancien candidat à la présidentielle Philipe Poutou est quant à lui visé par une enquête pour apologie du terrorisme après la diffusion d’un communiqué de soutien aux Palestiniens et aux moyens de lutte qu’ils ont choisis pour résister.

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« La France a fait des choix politiques dévastateurs sur le Proche-Orient. Tout en étant un allié d’Israël, elle avait auparavant une position ferme sur le respect des droits des Palestiniens. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », analyse Thomas Vescovi, chercheur indépendant en histoire contemporaine, dans une conversation avec Middle East Eye.

D’après lui, c’est surtout sous la présidence Sarkozy que l’utilisation de la théorie du choc des civilisations pour interpréter le conflit israélo-palestinien a débuté.

« François Hollande, ensuite, a considéré Israël comme un allié contre le terrorisme. Emmanuel Macron, pour sa part, avait, jusqu’au 7 octobre, complétement mis de côté le conflit pour s’intéresser aux prouesses technologiques d’Israël », poursuit le chercheur.

Deux jours après les attaques du Hamas, le président français s’est exprimé depuis l’Allemagne, où il était en visite, pour soutenir Israël en affirmant que la lutte contre le « terrorisme » était une cause commune et rappeler que la France se tenait à ses côtés pour qu’il soit en mesure de « se défendre ».

« Se défendre comment ? En instaurant un climat de terreur à Gaza et en obligeant des centaines de milliers de personnes à prendre à nouveau la route de l’exode pour fuir les bombardements ? », dénonce Noha, qui accuse la France de cécité face à un massacre.

Des comparaisons avec l’EI liées à un climat islamophobe

Pour Bertrand Heilbronn, la posture du gouvernement Macron est contre-productive et susceptible d’aggraver les tensions. « Comme pour les victimes israéliennes, ce qui se passe à Gaza crée aussi de l’émotion. Quand on demande l’arrêt des bombardements et des droits pour les Palestiniens, nous ne sommes pas dans une réaction de haine mais de recherche de la paix », souligne le président de l’AFPS, estimant nécessaire de continuer à agir pour infléchir la position française.

Dans un communiqué publié mardi, l’association a demandé à Paris et aux autres capitales européennes de se mobiliser pour un cessez-le-feu, l’arrêt des bombardements contre la bande de Gaza et « le siège totalement inhumain que fait subir Israël à la population ».

« En acceptant cette comparaison [entre le Hamas et l’EI ou al-Qaïda], on oublie le fait que la question palestinienne s’inscrit dans le cadre d’une lutte nationale contre l’oppression coloniale »

- Thomas Vescovi, chercheur en histoire contemporaine

Par ailleurs, bien qu’elle condamne les tueries perpétrées lors de l’attaque du Hamas, les qualifiant de crimes de guerre, l’AFPS estime que le peuple palestinien a le droit d’organiser sa résistance armée « dès lors qu’elle est conforme au droit international humanitaire ».

Thomas Vescovi, qui dénonce aussi les attaques commises par le Hamas contre les civils, récuse quant à lui la comparaison, largement relayée dans les médias, entre celles-ci et les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis menés par al-Qaïda et ceux du 13 novembre 2015 en France revendiqués par le groupe État islamique (EI).

 « En acceptant cette comparaison, on oublie le fait que la question palestinienne s’inscrit dans le cadre d’une lutte nationale contre l’oppression coloniale », explique-t-il, déplorant « un climat d’islamophobie très fort en France » qui favorise ce genre de parallèles.

À Paris jeudi, malgré le veto de la préfecture, des milliers de personnes se sont tout de même rassemblées sur la place de la République. Les slogans « Israël assassin, Macron complice » ou encore « Palestine vaincra » ont été scandés par des manifestants qui hissaient des drapeaux palestiniens.

Traduction : « Une manifestation massive à Paris jeudi malgré les arrestations policières aléatoires d’hier contre des manifestants et toute personne manifestant sa solidarité avec la Palestine. »

D’autres rassemblements interdits par l’administration se sont tenus le même jour à Rennes, à Toulouse et à Lille. Une dizaine de manifestants ont été interpellés par les forces de l’ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogènes.

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